Conférence de presse - Les noces funèbres

Isabelle Banos | 19 octobre 2005
Isabelle Banos | 19 octobre 2005

Trois mois seulement après avoir attiré les foules en masse dans les salles avec Charlie et la chocolaterie, Tim Burton revient à un genre qu'il avait déjà touché du doigt, en temps que producteur et scénariste, en 1993 avec L'étrange noël de Monsieur Jack : l'animation en stop motion. Entouré de sa compagne à la ville, Helena Bonham Carter, qui prête également sa voix à l'héroïne du film, du co-réalisateur Mike Johnson et de la productrice Allison Abbate, l'un des plus grands conteurs d'histoire que le cinéma ait connu était de passage à Paris il y a quelques semaines de cela pour parler de ses Noces funèbres.

Vos trois derniers films ont pour thème un manque de communication entre les parents et enfants. Est-ce un problème personnel ?
Tim Burton : J'aurais du mal à communiquer avec mes parents parce qu'ils sont tous les deux morts. Mais je ne communiquais déjà pas beaucoup avec eux lorsqu'ils étaient vivants. C'est vrai que c'est un problème pour moi.

Pour L'Étrange noël de Monsieur Jack, Tim Burton était créateur du film, là il n'est que co-scénariste, ce film n'est pas très burtonnien. Aux trois autres, qu'est-ce que pour vous un film burtonnien ?

Allison Abbate (Productrice) : C'est un équilibre entre le côté effrayant et gothique des morts et l'innocence et la beauté des vivants. Ce qui fait que ce film est burtonnien, c'est que les noces funèbres sont est si pleines d'espoir et d'amour.

Mike Johnson (co-réalisateur) : Un mot qui me vient à l'esprit quand on me parle des Noces funèbres, c'est aigre-doux. Pour moi ça résume bien le ton.

Helena Bonham Carter : En voyant Les Noces funèbres on a l'impression que Tim est sombre et dérangé. Quand on vit avec cet homme, il est bien, il est normal. À part ses cheveux. J'ai peut-être passé trop de temps avec lui maintenant. Il a un grand cœur. Les Noces funèbres ne sont pas effrayantes du tout, ce n'est pas sombre et tordu comme Tim. Une grande partie du travail de Tim est plein d'espoir et optimiste. C'est comme une signature qu'il laisse un peu partout.

Mike Johnson :Sur ce film, chaque personne qui y a contribué est un artiste. Les gens que vous voyez ici, les animateurs, les concepteurs des poupées, tout... C'est vraiment très différent d'autres films sur lesquels j'ai pu travailler. C'est un vrai plaisir de travailler comme ça, c'est une sensation étonnante.

Pourquoi faire de nos jours un film en stop motion, avez-vous utilisé des images générées par ordinateur ?
Tim Burton : J'ai toujours aimé le stop motion depuis les films de Ray Harryhausen. Pour L'Étrange noël de Monsieur Jack, des amis avaient fait un test il y a quelques années pour le réaliser en images de synthèse, mais cela n'avait pas la même beauté primaire, texturale, que les poupées. Je sens que c'est exactement le bon medium pour cette histoire. On a l'impression que le film aurait pu être fait à l'époque à laquelle l'histoire est censée se dérouler. Il y a quelque chose de particulier avec ce medium. Pour la partie sur les images de synthèse, on en utilise quelques fois sur les effets de particules (sourire, papillons, etc), parfois sur le voile, mais tous les mouvements des personnages que vous pouvez voir sont du pur stop-motion.

Combien de temps cela prend-il de faire une minute de film en stop motion ?
Tim Burton : Plusieurs jours, si un animateur peut nous faire 6 secondes par semaine on est content. Rendez vous compte qu'il faut 24 mouvements par seconde. C'est étonnant ce que peuvent faire les animateurs. Ce sont non seulement de grands techniciens, mais aussi de grands artistes.

Allison Abbate : J'ai beaucoup appris sur l'animation en stop motion en me baladant sur le plateau, ainsi que sur les acteurs vocaux. C'est une forme d'art à part entière de donner vie à ces petites poupées. Cela nécessite du recul, des notions de danse et de sculpture. C'est très différent des images de synthèse.

Comment expliquez-vous qu'il puisse y avoir de la joie et du bonheur dans les ténèbres et la mort?
Tim Burton : Une de mes sources d'inspiration a été la culture hispanique de Los Angeles. Le jour des morts, on voit des squelettes en train de danser, de manger dans les restos et de faire la fête. Je trouve bien plus approprié et positif de gérer tout ceci dans la joie et le bonheur plutôt que dans d'autres cultures, où la mort est un sujet sombre, interdit et tabou.

Allison Abbate : Les morts ne sont pas à craindre. Si on aime les gens en vie, pourquoi ne pas les aimer dans la mort. C'est une des spécificités de notre film, c'est de montrer qu'il n'y a rien à craindre.

Vous transgressez un peu les règles du film pour enfants. Est-ce justement un film pour enfants ? L'humour constamment présent est-il une façon de désamorcer la noirceur du sujet ?
Tim Burton : Je ne pense pas. J'y pense comme quelque chose que j'aimerais voir. Quand on a fait L'Étrange noël de Monsieur Jack, beaucoup de parents ont trouvé que c'était trop noir pour que des enfants le voient. Mais beaucoup d'enfants ont aimé. Celui-ci est plus doux, c'est comme une love story où il y a des squelettes. Ce n'est pas un film que j'aurais peur de montrer à un enfant. Comme je disais, les enfants ont aimé L'Étrange noël de Monsieur Jack. Des gens me disent que même leurs chiens ont aimé. Les gens, les animaux… n'importe qui !

Helena Bonham Carter :Il n'y a rien dont on doit avoir peur. C'est une comédie, c'est une vision optimiste de la mort. Ce sont plus les parents qui ont peur de la mort que les enfants. Ma mère a une grande expérience des enfants et elle m'a dit : « les enfants adorent, ils ont besoin qu'on leur parle de ces choses-là ». Dans n'importe quel conte de fées, il y a toujours un coté sombre.

En demandant à Michael Gough et Christopher Lee de travailler dans le film, est ce une façon de rendre hommage à la Hammer ?
Tim Burton : Oui, ce sont des gens et des voix immenses. On a été très chanceux avec ce casting. Je pense que c'est parmi les meilleurs castings que je n'ai jamais eus. Les voix… Rencontrer ses idoles et travailler avec, c'est vraiment génial.

Comment s'est passé le casting, le rôle a-t-il été écrit pour vous ?
Helena Bonham Carter :Non, non j'ai du auditionner. Tim n'a pas pu me dire tout de suite si j'avais le rôle, je crois qu'il a mis deux semaines à se décider (Tim : l'animation est un procédé lent) Je n'ai pas eu la partie facile juste à cause de ma position. J'ai du travailler dur quand même.

Tim Burton : Oh, si peu.

Helena Bonham Carter :Tu as quand même du m'auditionner !

Tim Burton : Oh pas vraiment !

Helena Bonham Carter :Qu'est-ce que tu veux dire par là ? (rires)

Certaines personnes disent que le présent et l'avenir passent par les images de synthèse, et pourtant vous restez au stop motion. Ne pensez-vous pas que l'on perd le côté artisanal avec les images de synthèse ?
Mike Johnson : Non, c'est l'évolution de notre art. Notre rôle était de créer les animations les plus fluides possibles. L'animation saccadée ne fait pas le charme du stop motion. On a voulu créer quelque chose qui pouvait soutenir la comparaison avec les films en images de synthèse. On a poussé l'art du stop motion à ses limites. Pour moi ça marche. Je pense toujours que c'est bien et qu'on sent toujours la différence. Je peux vous garantir que la différence est bien réelle entre les personnages en stop motion et ceux que j'ai pu voir dans le test en images de synthèses. J'espère que les gens voient la présence des objets aussi.

Allison Abbate : Quand les gens pensent que notre film contient des images de synthèse, je pense que c'est un compliment.

Dans quelle mesure Vincent votre court métrage dont le visage du héros rappelle Victor et des films que vous avez pu voir dans votre enfance comme Jason et les Argonautes sont présents dans votre esprit aujourd'hui et nourrissent votre imagination ?
Tim Burton : C'est un des premiers films que je me souviens avoir vu, il a eu un énorme impact sur moi. Dans L'Étrange noël de Monsieur Jack, il était facile de dessiner les personnages car ils relevaient totalement de l'imaginaire. En stop motion, les personnages humains sont toujours difficiles à rendre séduisants. J'ai conçu Victor comme si c'était Vincent un peu plus vieux. En partant de là, il a été plus facile de réaliser le design des personnages humains.

Concernant l'expression des personnages, vous avez créé une petite révolution dans l'univers du stop motion. Pouvez nous nous en dire plus ?
Tim Burton : Dans L'Étrange noël de Monsieur Jack, la technique était d'avoir différentes têtes correspondant à différentes expressions. Ici, on avait besoin d'un contrôle plus subtil des expressions. On utilise des têtes articulées que l'animateur peut manipuler. Cela n'avait jamais vraiment été fait avant. L'intérieur de la tête de ces poupées est vraiment étonnant, plein de vérins, de mécanismes en tous genres, qui donnent à l'animateur le contrôle des yeux ou des sourcils.

Helena, vous êtes à l'affiche de deux films en stop motion, êtes-vous tombée amoureuse de cette méthode ? Pour tous, pensez-vous que le stop motion soit la réponse de la poésie au formatage hollywoodien des Shrek et autres ?
Helena Bonham Carter :J'ai fait le dernier lorsque j'étais enceinte il y a deux ans. C'est sympa de faire du doublage. Il y a moins à attendre lors du tournage. Il n'y a pas à utiliser sa tête non plus, donc moins de maquillage...

Tim Burton : Mon avis personnel est qu'Hollywood repose trop sur la technique. Une compagnie de film reposant sur un programme d'animation assistée par ordinateur me semble choquante. Ils se reposent sur les ordinateurs parce que Pixar a fait de bons films, et donc tout le monde veut copier Pixar. On n'était pas très optimiste mais cela marche suffisamment bien, donc les studios suivent. Et tant mieux : plus il y a de méthodes d'animations différentes, et mieux c'est.

Mike Johnson : C'est une histoire de concordance entre l'histoire et l'animation

Au niveau du graphisme des personnages, les trois jeunes ont des caractéristiques très humaines et les parents sont plus caricaturaux. Pourquoi ce choix ?
Tim Burton : Vous avez tous des parents, vous devriez comprendre. Je me suis juste rappelé quand j'étais petit, les adultes me semblaient des étrangers. Ce qu'il y a de bien dans le film d'animation et dans ce genre de personnages, c'est que rien qu'en les voyant on peut se faire une idée du personnage et de son caractère. Beaucoup de gens se disent qu'on a fait comme Dreamworks : faire ressembler les personnages aux acteurs, mais ce n'est pas le cas. On a créé les personnages il y a des années. C'est juste qu'en choisissant les voix correspondantes on a naturellement trouvé des acteurs ressemblants.

Vous avez dirigé Johnny Depp sur Charlie et la Chocolaterie en même temps que vous travailliez sur ce film. Comment avez-vous fait pour travailler sur ce personnage alors qu'il était en plein « Willy Wonka » ?
Tim Burton : Il s'inquiétait. Un jour, il jouait Willy Wonka et il m'a demandé de faire une session sur Les Noces funèbres à la place. Je n'avais aucune idée de ce qu'il allait faire. C'est ce qui est bien chez lui. Il tourne tout en jeu. La plupart du temps, les acteurs travaillaient seuls sur leur personnage. Joanna et Albert ont eu quelques sessions ensembles pour enregistrer mais la plupart du temps les acteurs étaient seuls.

Comment avez-vous travaillé avec Dany Elfman pour le son ?
Tim Burton : J'ai travaillé avec lui sur deux films en même temps. Ce qui est dur pour lui c'est qu'il a eu besoin de commencer tôt, autant pour Charlie et la Chocolaterie que sur Les Noces funèbres, car, par exemple avec le piano, les animateurs doivent se baser sur la musique. De travailler sur ces deux films aurait pu le rendre schizo, mais bon il l'est déjà, donc aucun souci.

Comment avez-vous partagé le travail artistiquement ?
Tim Burton : Mike avait le travail difficile, le travail journalier à planifier pendant des années enfermé dans une pièce sombre. Tout est storyboardé.

Mike Johnson : Quand Tim est arrivé sur le projet il avait une idée très claire de ce que ça allait être et donc on a tout storyboardé.

Tim Burton : Il y avait à faire pour tout le monde. Quand on regarde le storyboard, on a l'impression de déjà voir le film avant qu'il soit tourné. On a essayé de ne pas réitérer ce qu'on avait fait sur L'Étrange noël de Monsieur Jack, à savoir qu'on changeait en permanence le storyboard, on faisait de nouvelles prises, un gars se pointait avec une nouvelle idée et on l'intégrait au film. C'était plus organique.

Autant L'étrange noël de Monsieur Jack, que celui-ci développe des thèmes qui vous sont chers, comme celui de l'outsider, l'amour qui survit à quelque chose, mais de manière plus large, de nouvelles choses, une dimension d'érotisme. Est-ce plus facile d'exprimer ces idées dans le cinéma d'animation que dans le film classique ?
Tim Burton : Oui, l'amour avec un cadavre il vaut mieux le réaliser en animation. On peut se faire arrêter sinon. On a essayé de résumer ce que pouvaient être les relations dans ce film, tous ces sentiments différents en même temps.

Pensez-vous que votre univers est mieux retranscrit en animation ? Qu'en pense votre compagne ?
Tim Burton : Ce projet ne pouvait se faire qu'ainsi de même que pour L'Étrange noël de Monsieur Jack. On essaie de choisir le bon média pour chaque projet.

Helena Bonham Carter :Il y a plus de poésie dans l'animation avec les poupées qu'en live, avec un acteur maquillé en cadavre. La tendresse et la poésie sont mieux exprimées par les poupées. C'est difficile à imaginer en vrai .

L'univers de Burton est très cohérent. Y a t il deux films qui pourraient n'en faire qu'un ?
Tim Burton : Bonne question ! Vous êtes psychologue ou quoi ? Je devrais peut-être aller dans les arbres respirer le pollen pour y réfléchir. Je pense que Les Noces funèbres sont un bon compagnon pour L'Étrange noël de Monsieur Jack. Il y a une connexion entre chacun des films puisque pour chaque on essaie de se faire plaisir et de le rendre aussi personnel que possible.

À quel point l'équipe est-elle déjà impliquée sur le DVD du film. Y verra-t-on les tests en images de synthèse ?
Tim Burton : Il pourrait y avoir des trucs très chiants sur les DVD: comme mes commentaires sur le film… Ici on peut avoir bien mieux en réalisant une sorte de documentaire sur la façon dont le stop motion est fait, en montrant les artistes en action.

Lors de la tournée française de Charlie et la Chocolaterie, on vous a demandé quel était votre rythme de travail et vous avez répondu que vous alliez vous calmer pendant quelque temps. Allez vous vraiment faire une pause ?
Tim Burton : On verra la semaine prochaine. Je pense que vous n'avez pas besoin de me voir pendant un ou deux ans ! Je veux m'occuper de ma vie personnelle, de mon enfant...

Propos receuillis par Stéphane Argentin.
Retranscription Isabelle Banos.

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