Robert Towne

Didier Verdurand | 7 septembre 2005
Didier Verdurand | 7 septembre 2005

Son nom ne dit probablement rien au grand public mais un cinéphile averti ne peut être qu'admiratif face à l'une des légendes vivantes du cinéma, Robert Towne, à qui le Festival de Deauville rend hommage. Scénariste, script doctor, réalisateur, producteur : Maître Towne en connaît un rayon depuis plus de trente ans passées à se forger l'une des plus prestigieuses carrières à Hollywood.

En tant que script doctor, vous êtes engagés à quel moment sur un film ?
Cela varie. Parfois, il faut modifier une scène la nuit avant le tournage. Ce fut le cas pour USS Alabama. Certaines scènes entre Denzel Washington et Gene Hackman ont été réécrites au téléphone, avec à l'autre bout du fil Don Simpson et Jerry Bruckheimer ! Le ciel peut attendre comporte une scène dans laquelle Warren Beatty parle de foot… Elle a été réécrite au téléphone ! Dans Le parrain, j'ai changé la veille du tournage des dialogues entre Marlon Brando et Al Pacino lors de la fameuse scène dans le jardin. Parfois, j'ai plus de temps, comme avec Mission : Impossible 1 & 2 où on m'avait demandé de retoucher le scénario six semaines à l'avance, ce qui ne les avait pourtant pas empêchés de me rappeler pendant le tournage ! Tout ça pour vous dire qu'il n'y a pas de règle, on peut vous appeler n'importe quand.


Vous ne le serez pas sur Mission : Impossible 3 ?
Non, j'étais trop pris sur mon film, Ask the dust. Donc c'est le réalisateur lui-même, J.J. Abrams qui a effectué des retouches.

Est-ce l'argent qui vous motive pour travailler si peu de temps sur ces films malades, puisque vous en êtes le docteur ?!
Pas seulement… Dans le cas du Parrain et du Ciel peut attendre, j'ai surtout accepté pour rendre service à des amis. Parmi les raisons qui peuvent vous convaincre, c'en est une bonne ! Il faut que je sois plus ou moins en rapport avec le projet, il est très rare que je me lance uniquement pour de l'argent – des propositions sont tentantes !


Vous ne devez pas être très populaire auprès des scénaristes qui écrivent les premières montures ?
Pas toujours. Dans le cas du Parrain et du Ciel peut attendre, ce sont les scénaristes eux-mêmes, respectivement Francis Ford Coppola et Elaine May qui m'ont demandé de les aider. Après avoir retouché Bonnie and Clyde, je suis devenu un proche ami des auteurs… Dans d'autres cas, c'est plus impersonnel. Par exemple, quatorze scénaristes avaient déjà travaillé sur Mission : Impossible, donc vous imaginez qu'ils ne peuvent pas tous apprécier ce que vous faîtes !

Justement, dans les années 70, on comptait moins de scénaristes sur un film qu'aujourd'hui…
Les dents de la mer a été une date importante parce que les recettes ont explosé les records et les studios ont changé leur vision du marché. L'argent est devenu une obsession. De nos jours, il y a plus de films produits et les studios payent de plus en plus cher des stars dans chaque domaine. Parfois, des scénaristes sont engagés sans qu'il n'y ait de véritable histoire, donc il faut en appeler d'autres en renfort et on se retrouve avec un nombre incroyable de scénaristes, crédités ou non.


Vous êtes nostalgiques de cette époque ?
Non, en tout cas j'essaie de ne pas l'être. Nous étions conscients à l'époque de la liberté dont nous jouissions. Je pense que les scénaristes et les cinéastes étaient plus en phase avec le public et partageaient les mêmes préoccupations. Ils n'avaient pas peur de parler du Vietnam et du Watergate, des films comme Chinatown, Les hommes du Président, Taxi driver, Le Retour (de Hal Hashby avec Jon Voight et Jane Fonda, Ndrl.) étaient proches des américains.

Un mot sur votre prochaine réalisation, Ask the dust ?
Il y a bien longtemps, quand je faisais des recherches pour l'écriture de Chinatown, j'ai lu de nombreux livres dont l'histoire se déroulait dans le Los Angeles des années 30 pour être évidemment le plus crédible possible. Parmi eux se trouvait un roman de John Fante dont je suis tout de suite tombé amoureux. C'est l'histoire d'un jeune italien qui part du Colorado pour arriver à L.A. durant la période de répression. J'ai écrit l'adaptation il y a onze ans et pendant dix ans, tout le monde a refusé de le produire. Même si ma mère avait été à la tête d'un studio, elle aurait refusé. Mais je gardais espoir car cela n'empêchait pas des comédiens comme Johnny Depp de vouloir interpréter le rôle. Au bout du compte, personne n'a demandé ses salaires habituels et le film a pu se faire (quatre minutes alléchantes ont été présentées à Deauville, Ndlr.) Val Kilmer l'aurait fait s'il ne s'était pas embarqué finalement dans Kiss kiss bang bang. Justin Kirk, qui joue dans Angels in America, était aussi à deux doigts de se lancer dans l'aventure. Idina Menzel, une comédienne remarquée à Broadway, était aussi sur le coup… Notre budget étant trop réduit, nous avons décidé de le tourner en Afrique du Sud et oublier L.A., qui a été recréé… sur deux terrains de foot ! Je ne peux pas dire si le succès sera au rendez-vous mais j'imagine que le couple Colin Farrell / Salma Hayek devrait attirer l'attention.


Le marketing est aussi de plus en plus important. Dîtes-moi tout, vous ne seriez pas l'auteur de la love story entre votre ami Tom Cruise et Katie Holmes ?
(Rire.) Non, et je n'en sais pas plus que vous sur ce sujet car nous avons tellement travaillé sur nos projets respectifs ces derniers mois que nous n'avons eu que peu d'occasions de parler ! Mais si vous connaissez Tom Cruise, vous savez que son enthousiasme est vraiment hors du commun, il lui est quasiment impossible de rester discret ou de faire le blasé quand il est heureux. Pour le peu que je sais de cette histoire, je peux vous dire que c'est lui qui a écrit cette histoire d'amour !

Roman Polanski vous a rendu hommage cette semaine à Deauville. Pourriez-vous retravailler ensemble un jour ?
Je ne crois pas... Nous sommes toujours amis, mais les chemins divergent. Cela peut paraître étonnant à dire mais je pense pas que ce n'est pas une mauvaise chose qu'il n'ait pas remis les pieds aux États-Unis depuis tant d'années. Il a trouvé une vraie stabilité en France, il a épousé une magnifique actrice, il connait un tas d'artistes européens qui sont très importants à la pop-culture, sa popularité est si forte... Je ne peux pas me promener avec lui à Paris ou ici à Deauville sans être témoin de preuves de sympathie et d'amour de la part du public !! Je le sens épanoui et j'aime partager des moments avec lui, mais vous savez, nous vivons à plusieurs milliers de kilomètres l'un de l'autre et c'est surtout pour cette raison que je vous réponds qu'à mon avis, nous ne retravaillerons jamais ensemble. Je terminerai en disant que Chinatown est certainement l'un des plus beaux films vus à l'écran à partir d'un scénario que j'ai écrit. Nous ne l'avions travaillé que six semaines et j'avoue que nous n'avions pas été mauvais sur ce coup !

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Robert Towne.
Les affiches donnent un bref aperçu des films écrits ou corrigés par Robert Towne durant sa carrière.

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