Mabrouk El Mechri (Virgil)

Vincent Julé | 23 août 2005
Vincent Julé | 23 août 2005

Coup de cœur d'une bonne partie de la critique, et espérons-le du public, Virgil est aussi la révélation d'un talent : le jeune cinéaste Mabrouk El Mechri. Son travail d'écriture et de mise en scène, à la fois référencé et original, méritait sans hésiter une rencontre. D'égal à égal, puisqu'il rappelle – et quelle vérité ! - « qu'il a plus de background en tant que spectateur qu'en tant que réalisateur ».

Sans être un conte de fées, ton parcours (BD, théâtre, fac d'arts et spectacles, petits jobs et l'association « Connu Méconnu » de Matthieu Kassovitz) se révèle exemplaire. Comme si tu savais ce que tu voulais et que tu y étais arrivé rapidement en fin de compte. À moins de 30 ans.
J'ai commencé à bosser dans le cinoche au moment de la création de l'association, en 1995, et on est un peu en 2005. Donc juste 10 ans, et cela en fait à peine cinq que j'en vis. C'est long, une bonne peine je crois. Il y a bien sûr eu à un moment cette espèce de course à vouloir réaliser son premier long avant 25 ans, comme Orson Welles ou même Matthieu Kassovitz avec Métisse, mais cela ne s'est pas fait. Et ce n'est pas une mauvaise chose. J'ai rencontré Gaumont il y a 5 ans sur un projet qui n'a pas abouti, et lorsque je le relis aujourd'hui, je suis super content de ne pas l'avoir concrétisé. La vitesse importe moins que la soif d'apprendre. Je n'ai pas été sur de nombreux films en tant qu'assistant, mais à chaque fois j'ai appris des choses. Ce qu'il ne faut pas faire par exemple.


Et puis il y a eu bien sûr cette association, « Connu Méconnu », qui réunissait des gens comme moi, sans piston, autodidactes. Nous avons appris notre métier sur le tas, selon le système D. Surveiller une rue ou encore éteindre des lampadaires à l'ancienne (entendre « à coup de lattes ») pour les besoins du chef op. L'essentiel est d'avoir les yeux bien ouverts sur un plateau où il y avait une caméra, que cela soit des séries télé de merde ou les téléfilms érotiques de M6 du dimanche soir. L'apprentissage t'amène, au fil des tournages, à toutes sortes de leçons. J'ai ainsi été 3e 3e assistant sur un film de Sally Potter, The Man who cried, avec Sacha Vierny à la photo – le mec qui s'occupe tout de même des films de Peter Greenaway. Il suffit alors de le regarder bosser.

Je n'ai pas eu l'occasion de voir tes courts, mais deux choses m'ont agréablement surpris dans Virgil : le refus du sentimentalisme et une véritable recherche esthétique, parfois visible mais toujours intéressante – je pense à la caméra fixée à cette portière de voiture qui se ferme.
Le problème, et cela ne date pas d'il y a 20 ans, est que dès que tu fais une mise en scène un peu visible, on te sort Spielberg, Tanrantino et autres consorts. Oui, mais tu regardes un film de Robert Wise, The Set-up (Nous avons gagné ce soir), pour signifier le temps qui passe, il n'hésitait pas à faire un travelling jusqu'à une horloge énorme. Citizen Kane, on ne peut pas faire mieux comme caméra plus visible, et cela va de séries B comme Le Jour où la Terre s'arrêta aux films de Billy Wilder. J'ai revu récemment Double Indemnity (1944 – Assurance sur la mort) avec Barbara Stanwyck, et il n'y a rien de plus stylistique que le meurtre du mari dans la bagnole. Tarantino n'a rien inventé. C'est une grammaire cinématographique très importante pour moi, car c'est aussi mon plaisir de spectateur.


Concernant tes références, tu as cité Robert Wise, mais j'ai aussi lu le nom de Paul Thomas Anderson.
C'est pour moi l'un des, voire le meilleur cinéaste en activité aux États-Unis. Il prend les lieux communs comme tu prends un platane en bagnole. Frontalement. Il y a plein de choses que je n'aime pas dans Magnolia, mais… En fait, la première fois que je vois un film, c'est en tant que spectateur, puis je le revois pour bosser. Ainsi, la scène de Tom Cruise au chevet de Jason Robarts peut paraître d'un ennui, sauf que, à la seconde vision, tu demandes ce que tu aurais fait. À savoir soit la même chose, soit moins bien. Des choix que je ferais par défaut, il les fait par conviction. Quelqu'un qui assume autant sa mise en scène aux États-Unis est assez rare aujourd'hui. Dans Punch-Drunk Love, il prend tous les clichés d'une comédie romantique, et la réinvente. Le scénario ne sert presque à rien, mais par sa mise en scène, il rend un objet autre. Filmé par un autre mec, le film n'existe pas.

C'est une question que l'on peut se poser : l'influence du nom au générique d'un Spielberg, Stone ou Nolan sur le film.
C'est complètement humain de ranger dans des cases, en se disant comme c'est Spielberg, c'est une intention, mais Michael Bay, c'est de la pompe. Il faut donc revoir les films. Une première vision est toujours tronquée par les ouï-dire, encore plus aujourd'hui avec la génération du net, dont on fait partie à coups de spoilers et de préjugés.


Tu fais référence directe à Punch-Drunk Love et PTA pour ton prochain film.
Sûr, pour moi, c'est la meilleure comédie romantique des dix dernières années, à côté de laquelle Bridget Jones est du pipi de chat. En France, la tradition est encore à la traduction américaine genre par genre. Et moi, j'ai envie de raconter une histoire d'hommes et de femmes, avec toujours un travail formel mais moins visible, car je me suis rendu compte sur Virgil que mon vrai kif de réalisateur est de diriger les acteurs. Je veux réussir à ne laisser aucun de mes personnages sur le carreau, un peu à la manière de la série Les Soprano, où personne n'est mis à la rue, du portier d'un restaurant à la femme de Tony. Il y a toujours quelque chose à en tirer, car, tout simplement, la vie est faite comme ça.

Et ton rêve de créer une série pour la télévision française ?
Aujourd'hui, la demande est forte, mais l'offre ne se casse pas le cul. Et puis, TF1 ne peut peut-être pas se permettre de mettre le triptyque « nudity, strong langage, graphic violence » à 21 heures. L'idée n'est pas d'y recourir systématiquement, bien sûr, mais au moins d'y avoir accès, et d'aller jusqu'au bout de sa ligne éditoriale. Seul Canal + peut le faire. J'ai des idées, mais je veux le faire bien, pas me précipiter. Je me suis rendu compte que ce n'était pas une mauvaise chose de laisser macérer les idées, bien au contraire.

Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait de Mabrouk El Mechri.

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