John Scott

Fabien Braule | 14 avril 2005
Fabien Braule | 14 avril 2005

Pour la deuxième année consécutive, John Scott dirige pour le Festival Jules Verne un grand concert de musique de cinéma le dimanche 10 avril 2005. Une centaine de musiciens et choristes ont interprété des pièces mémorables de John Williams, Jerry Goldsmith ou Elmer Bernstein, et de John Scott lui-même. Spécialiste de la musique romantique et épique, le compositeur de Greystoke, Antoine et Cléopâtre et Nimitz, retour vers l'Enfer, s'imposait comme un choix évident pour célébrer ces symphonies d'aventures.

Vous avez travaillé aussi bien sur des films d'aventures épiques comme 20.000 lieues sous les mers que sur des documentaires de grande envergure comme To the End of the Earth. Ne pensez-vous pas, en un sens, qu'il est naturel de vous voir maintenant travailler pour le festival Jules Verne ?
Je suis ravi qu'on m'ait invité à le faire !!! La question est délicate, mais je pense que le festival m'a offert de véritables opportunités… Être invité à remonter l'Amazone sur le Belem a été un moment enrichissant et une véritable inspiration. To the Ends of the Earth était une expérience très différente car je n'ai eu aucune part dans le tournage effectif du film. Je ne suis arrivé qu'après. Le festival Jules Verne est encore une nouvelle expérience, beaucoup plus satisfaisante.

Ce qui nous amène à ma question suivante … D'une manière étrange et pas si étrange, les voyages, les navires et l'océan semblent vous inspirer régulièrement.
C'est mon travail avec le commandant Jacques Cousteau qui semble en avoir décidé ainsi. C'est ce qui m'a amené vers ce métier car personne dans ma famille n'y était lié, mon père était policier. L'océan est en effet une source d'inspiration constante.

Le monde de Jules Verne possède une large palette d'images et d'histoires, il a inspiré de nombreux films et des partitions importantes (Voyage au centre de la Terre, Le Tour du monde en 80 jours…) et même la partition négligée de 20.000 lieues sous les mers de 1954. Comment avez-vous approché L'Ouverture Jules Verne ?
L'œuvre commence par une fanfare car je pensais que l'aventure de Jules Verne devenait un évènement en elle-même, un évènement qui réclamait l'affirmation de la fanfare. Elle semble proclamer : « Regardez, venez, nous sommes arrivés, le spectacle va commencer !!! » La suite de l'Ouverture se concentre davantage sur le personnage de Jules Verne et sur les histoires qu'il a écrites. Le morceau fait alors entendre des références à ces histoires. Inutile de les nommer, la musique les fait imaginer (Voyage au centre de la terre, Tour du monde, 20.000 Lieues…). L'Ouverture mélange les échos que ces histoires ont provoqués en moi avec la figure de Verne qui était né à Nantes sur la côte Atlantique et ressentait une forte affinité avec l'océan.

Que diriez-vous de votre propre 20.000 Lieues sous les mers ? C'était un film très intéressant fait pour le câble.
C'était intéressant d'abord parce que le film était réalisé par Michael Anderson que je n'avais jamais eu l'occasion de rencontrer, tout en sachant qu'il avait mis en scène Le Tour du monde en 80 jours de 1956. L'histoire du roman que je connaissais évidemment était excitante en elle-même, et ce malgré l'existence du classique de 1954. Et général j'évite les remakes : inutile de refaire ou de recopier un film ou un morceau qui a déjà été bien fait.

Écrivez-vous différemment pour un film de fiction et pour un documentaire ?
Oui, et la différence est énorme. Tout d'abord le récit au cœur du drame ou du film de fiction vous donne les idées musicales. Alors que généralement il n'y a pas de fil directeur dramatique dans un documentaire. C'est d'avantage une série d'affirmations.

Oui, c'est davantage la musique qui crée ce fil dramatique.
Vous savez, on fait des documentaires sur toutes sortes de sujets, sur l'eau que l'on met en bouteille, qui sont loin d'avoir une ligne dramatique. Et la musique se révèle souvent très utile, surtout si le documentaire est ennuyeux. Dans ce cas, la musique vous tient éveillé. Du moins, elle essaie. Je suis vraiment rentré dans le milieu du cinéma dans et par le documentaire. Ce qui s'est avéré être une excellente chose car j'ai commencé très tardivement : je jouais pour les autres compositeurs et musiciens, jusqu'à ce qu'une opération de la mâchoire m'en éloigne.

Vous avez travaillé avec John Barry et Henry Mancini. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
J'ai des souvenirs merveilleux d'Henry Mancini. Car avant tout j'aimais sa musique. Je ne savais pas que j'allais devenir compositeur de cinéma, mais je le regardais travailler, je continue de regarder ses partitions, sa manière de diriger un orchestre et d'ajuster la musique au film. C'est une leçon qu'aucune école ne peut vous donner.

Croyez-vous qu'il ait été une influence décisive sur votre œuvre ? La musique que vous écrivez sonne très différemment de la sienne.
Au tout début, une énorme influence. Si vous écoutez mes premières partitions, comme A Study in Terror, vous entendrez Henry Mancini. Jouer pour John Barry fut une expérience très différente. Pour nous, sa musique était beaucoup plus accessible, plus simple à jouer. Il m'a néanmoins donné une opportunité importante. J'étais saxophoniste pour lui et j'ai pu lui montrer ce que je savais faire dans le cadre du John Barry Rock n' Roll Band avant que lui-même ne devienne compositeur de cinéma. Il a ainsi pu proposer à d'autres personnes telles que moi de débuter dans le métier.

En ce qui concerne le concert du dimanche 10 avril, avez-vous vous-même sélectionné les morceaux ?
Non. C'est Jean Christophe Jeauffre (Président et fondateur du Festival) qui a fait ce choix. C'est un cinéphile passionné, et un fou de musique de cinéma. Il ne vit que pour ça. Le choix est dicté par les musiques qu'il aime. Mais il trace des fils directeurs comme le monde de l'aventure, du voyage, du western… C'est à cette occasion que j'ai composé Indian Nations, qui sera joué pour la première fois. Je ne l'ai encore jamais entendu. Peut-être aurais-je un choc terrible !!!

Vous êtes à la fois compositeur et chef d'orchestre, et vous avez eu l'occasion de diriger Steiner, Korngold, Stravinsky… Que diriez-vous du style de ces compositeurs et de la manière de les diriger. On ne dirige pas John Williams de la même manière que Jerry Goldsmith. Les dirigez-vous comme si c'était vos propres partitions, ou essayez-vous de recréer leur direction respective ?
Je n'aime pas copier qui que ce soit. S'il existe un enregistrement, la plupart des gens voudront entendre une exécution à l'identique, mais c'est la musique que j'aime. En tentant de copier, on n'égale jamais l'original. Donc, il faut se plonger dans la musique : on y voit ce que l'on y voit. D'excellents chefs d'orchestres m'ont appris que l'on peut trouver dans sa propre musique des choses que l'on n'y devinait pas. Lorsque je dirige, je ne m'imagine pas chef d'orchestre, je tâche d'établir un rapport avec l'orchestre. C'est ce dernier qui joue pour moi. Je ne leur demande pas, ne leur impose pas quoi que ce soit, je veux qu'ils jouent pour moi, non pas pour un maître de tâches, mais pour moi qui les fait jouer. Ils vous montrent alors qu'ils peuvent le faire et le font. C'est beaucoup plus enrichissant. Je ne peux même pas deviner le résultat avant d'avoir terminé l'exécution.

Croyez-vous que pour le concert du 10 certains morceaux soient plus difficiles à diriger que d'autres ?
Oh que oui ! Il y a des morceaux très difficiles. Ne serait-ce que parce que certaines pièces sont très difficiles à déchiffrer. L'écriture en est peu lisible. D'autant qu'elles ont été jouées une fois lors de l'enregistrement original, et pas ou peu depuis. C'est le cas de Spartacus d'Alex North. Aucun d'entre-nous ne parvient à le lire correctement. C'est aussi mal écrit que sur l'ordonnance d'un médecin. De toutes façons, Spartacus est une pièce extrêmement difficile, comme l'ouverture de Lawrence d'Arabie de Maurice Jarre, réputée pour sa difficulté et que nous avons interprétée l'an passé.

Votre musique est profondément ancrée dans la tradition romantique britannique. Voyez-vous des influences déterminantes dans votre travail comme Vaughan Williams ?
Je ne sais pas. La variété des sujets m'inspire je crois des musiques toujours différentes. J'écris probablement différemment lorsque je suis aux États-Unis ou en Angleterre. L'idée n'est pas aisée à formuler, mais mes racines sont anglaises et ma musique l'est tout naturellement. Bien sûr, je sais qu'il y a des influences, telles que Stravinsky, Ravel ou bien encore Debussy. Plus largement, je crois que c'est l'environnement qui affecte d'une manière ou d'une autre votre musique.

Malgré le cliché, ne trouvez-vous pas que la musique américaine sonne différemment de la musique européenne ?
Ce n'est pas un cliché, c'est une réalité. Prenez Maurice Jarre, c'est une voix singulière. Prenez Gabriel Yared, c'est pareil. Je suppose que j'appartiens à la même catégorie. Nous sommes très européens. Avez-vous entendu ma partition pour North Dallas Forty ? C'est un fort mauvais film américain, avec un sujet profondément national, et la musique l'est aussi.

Quand on écoute une partition de John Scott, l'expérience est la même que pour une partition de John Barry ou de Patrick Doyle, on sent que le compositeur est britannique.
Vous avez votre réponse.

2004 a été une des années les plus tristes de l'histoire de la musique et du cinéma avec les disparitions successives de Jerry Goldsmith, David Raksin et Elmer Bernstein. Bien sur, une génération passe, une autre vient, mais nous pensons tout de même que cette année marque la fin d'une ère et d'une forme d'harmonie entre la musique et le cinéma.
Non. On a déjà tenu le même discours il y a dix ou vingt ans, lorsque Steiner et Newman sont décédés : l'âge d'or de Hollywood était bel et bien fini. Comme vous le dites, les compositeurs se remplacent par génération. Certes, à Hollywood, l'écriture de la musique de film est beaucoup plus contrainte. Par les modes d'abord, puis par l'utilisation des temp tracks. Qui plus est, des personnes qui ne sont pas musiciennes et qui ne connaissent rien à la musique vous dirigent, vous donnent des conseils et décident de ce qui est bien pour un film. Il est alors très difficile pour un compositeur d'être original à Hollywood actuellement.

Oui, mais quand Steiner ou Newman sont décédés, on voyait la relève avec Jerry Goldsmith ou John Williams. Alors que maintenant… Qui sera là dans 10 ou 20 ans ?…
Non, la musique ne va pas sombrer. Et pourtant, c'est vrai que la musique classique connaît une période très sombre. J'espère sincèrement que l'orchestre symphonique ne va pas disparaître, on la reçoit, on l'accepte beaucoup plus difficilement que le rock ou la pop. Elle sonne démodée.

Oui, alors qu'au contraire elle donne une impression d'éternité. Si l'on considère la musique comme un chapitre logique de la musique de concert, tout au long du 20e siècle, que pensez-vous de l'émergence de compositeurs formés par la musique rock ou électronique ?
Comment répondre ? Je dirai, au risque de paraître démodé moi-même, que le rock a certes sa place, mais que le message même du rock réside plus généralement dans les paroles et que sa palette d'émotions est plus limitée. C'est attrayant, séduisant, excitant, mais cette musique ne possède pas le sens du mystère, du tragique, de la tristesse, l'immensité du bonheur et de la joie ou de l'amour. Autant de choses qui, à mon avis, dépassent le spectre du rock. C'est la chanson qui délivre le sens dans le rock, avec l'excitation du rythme bien entendu.

Comme Elmer Bernstein, John Barry ou Richard Rodney Bennett, vous avez à la fois travaillé dans le jazz et la musique classique. L'expérience est forcément enrichissante… Voyez-vous des passages entre les deux domaines ? Dans un morceau d'Elmer Bernstein, on peut souvent entendre l'inspiration jazz et l'inspiration romantique.
Non, chez moi, les deux domaines sont séparés, je crois. Je sais que je peux faire appel à mon expérience du jazz en fonction de ce que j'écris à ce moment là, mais le jazz en tant que composition n'est pas une nécessité pour la musique symphonique. Il lui apporte une dimension supplémentaire. Quand on a écrit du jazz, on n'y échappe plus jamais.

Le festival s'est ouvert sur la première française de Man to Man de Régis Warnier dont la musique est signée Patrick Doyle, votre collègue britannique. Connaissez-vous son travail ?
Oui, très bien ! C'est un excellent compositeur qui, comme vous le savez peut-être, a vaincu une grave maladie et nous est revenu en bonne santé. C'est bon pour nous et pour la musique.

Propos recueillis par Pierre Berthomieu et Fabien Braule à Paris le 9 avril 2005.
Nos remerciements à Pierre Laporte et à John Scott pour leur disponibilité et leur gentillesse respective.

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