Albert Dupontel

Thomas Douineau | 4 avril 2006
Thomas Douineau | 4 avril 2006

Personnage assez atypique dans le cinéma français, Albert Dupontel est un réalisateur qui, en suivant son instinct, a réussi à construire un univers qui lui est propre, ce qui assez rare pour être signalé. Fans de la première heure de son travail (lorsqu'il faisait de la scène), nous ne pouvions passer à côté de l'opportunité de l'interviewer, « prétextant » une actualité assez dense entre la sortie en DVD de Bernie – Édition collector ou du Sale DVD et le montage de son dernier film, Enfermés dehors. En plein travail (il tourne le jour en tant qu'acteur et monte la nuit), Albert a bien voulu répondre à toutes nos questions avec humour et disponibilité.

 

Vous êtes actuellement sur les finitions (la post-production) de votre troisième film Enfermés dehors?
Je débute les finitions. On est encore loin mais on s'en approche.

 

Vous pouvez nous en parler ?
C'est un SDF qui trouve un uniforme de flic et qui le met pour aller bouffer dans des cantines de police. C'est supposé se passer dans un pays imaginaire qui ressemble furieusement à la France. À partir du moment où il a cet uniforme sur le dos, il arrive à manger dans une cantine mais dehors, le rapport à la réalité change complètement. Il devient dans un premier temps un peu fascisant, puis carrément hystérique lorsqu'il va tomber amoureux d'une jeune veuve éplorée. C'est très chaplinesque

 

Vous avez une nouvelle fois demandé à Claude Perron de vous rejoindre...
Oui, mais aussi à Nicolas Marie qui jouait aussi dans Bernie et Le Créateur...
Et puis il y a des guest-stars à l'infini : Yolande Moreau, Bruno Lochet, Duquesne, Jackie Berroyer, Benoit Délépine, j'en passe et des meilleures, et, cerise sur le gâteau, Terry Gilliam et Terry Jones... Ils sont venus sur le plateau faire trois heures de tournage et j'étais extrêmement honoré et touché. C'est une chose de dire qu'on aime bien un individu, c'en est une autre de prendre le train et de venir participer à ses gamberges audiovisuelles. Ils m'ont prouvé que cela n'était pas que des mots.

Apparemment vous partez encore d'un personnage marginal et décalé.
Un cousin germain de Bernie, ces personnages naïfs, décalés, moi je les aime bien. Ils me font rigoler, j'ai beaucoup de compassion pour eux ? En plus c'est pratique en tant qu'auteur parce qu'ils sont des victimes... On peut se mettre en colère mais le personnage ne l'est pas, il est juste perdu. Du coup notre colère est cachée derrière un nez rouge... un peu sanglant, mais bon. Le prochain sera plutôt bénin et comestible. Rassurant. Ce qui nous animait dans Bernie, cela ne serait pas sincère de le refaire

 

Par souci commercial ?
Franchement non parce que j'ai eu un de mal de chien à le faire ! Jusqu'à la fin de ma vie, je ferai peur à tout le monde, même si j'allais présenter la météo ! Et puis j'ai un gamin à qui je ne peux pas montrer grand chose de ce que j'ai fait, et j'aimerais bien pouvoir lui montrer un film qui puisse le faire sourire. Et puis aussi parce que les pulsions morbides et noires de Bernie et du Créateur se sont évanouies. J'ai tout fait pour noircir le film et je n'y suis pas arrivé. Le personnage avait sans doute une logique propre que j'ai dû respecter. Résultat : je n'ai pas réussi à le tuer. Il m'a l'air plus accessible que les autres mais peut-être que des gens pousseront des cris d'horreur en le voyant, je n'en sais rien...

 

Est-ce que ce n'est pas aussi parce qu'on vous a souvent comparé aux personnages que vous mettez en scène ?
Non, j'ai pas de pudeur pour ça... Je me fous vraiment de ce qu'on pense de moi. Là, ça reste un peu social, protestataire mais le personnage a envie de vivre. Et puis si je fais un film plus accessible, dans le meilleur des cas, on pensera que j'ai fait un effort mais que je suis pas sincère, alors...

 

Au début, on pensait aussi que vous étiez en colère par rapport à la société qui vous entoure...
C'est un grand mot parce que tout le monde est agacé par ce qui se passe. Après on choisit d'en parler ou pas. Moi j'en parle à travers un nez rouge, des pitreries, ça reste très distancié. Ce ne sont pas des films militants, n'exagérons pas !

 

C'est une certaine forme de pudeur ?
Ou d'élégance... Il ne faut pas ennuyer les gens : même si Bernie peut faire peur, je pense pas qu'on y reste indifférent.

Ceci dit, les personnages ou les films qui vous ont été proposés en tant qu'acteur restent assez noirs.
Oui mais il y aussi La Maladie de Sachs qui était plus convivial, Monique... Mais les projets de Gaspar Noé ou Boukhrief étaient des projets intéressants, un peu provocants, libres. Ca m'attirait même s'ils étaient dramatiques... En tout cas, je n'aurais pas pu les filmer tout seul.

 

Vous avez souvent répété que la scène a été un tremplin pour faire des films. C'est toujours le cinéma qui a été votre priorité ?
Oui, mais imaginez que je galère encore aujourd'hui pour faire des films, alors dites-vous bien qu'il y a vingt ans c'était impossible. Mon parcours a l'air construit aujourd'hui mais à l'époque, je ne savais pas du tout où j'allais. La scène a été la première porte qui s'est ouverte alors je me suis engouffré dedans et à l'époque je n'avais pas le choix. Mais je n'étais pas spectateur de théâtre ou de music hall. Par contre j'étais un cinéphile – ou plutôt cinéphage – donc j'avais très envie de la caméra. Mais quand le music hall s'est présenté, j'ai foncé parce qu'il y allait de ma survie économique et artistique, je voulais exister et m'exprimer. Ensuite j'avais des sous et j'étais connu, je pouvais me permettre de faire un court-métrage et c'est ce que j'ai fait (NDLR/ le génial Désiré que l'on peut trouver en bonus sur le DVD du Créateur). Le langage cinématographique m'a toujours plu, mais à l'époque je ne savais pas si j'y arriverais un jour. Et Bernie, j'ai mis trois ans à le faire parce que, tout vedette de music-hall que j'étais, ça n'était pas le film attendu de la part d'un mec dit « comique ». Pourtant le spectacle n'était déjà pas consensuel, ni tout public. C'est le ricanement provoqué par le spectacle que je voulais mettre en scène avec Bernie.

 

Vous êtes conscient que le spectacle a marqué une génération ?
C'est ce qu'on dit aujourd'hui mais à l'époque, il ne faisait pas l'unanimité, j'étais très critiqué... Aujourd'hui, c'est pratiquement le musée mon spectacle, mais à l'époque je me sentais plutôt vilain petit canard !

 

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette génération de comiques qui passent directement au cinéma ?
Elle existait déjà avant. Coluche était très drôle sur scène mais ses films, je les trouvais pas drôles. Le meilleur film de Coluche, c'est Le fou de guerre de Dino Rizzi. Mais ses films ne lui ressemblaient pas, il était plus subversif sur scène. Au cinéma règne cette idée qu'il faut fédérer les familles et les tout petits. Moi, c'est pas un cinéma qui m'intéresse. On m'a proposé des grosses comédies dans le genre, qui ont bien marché, mais j'ai refusé.

 

Garcia l'a fait et il a bien rebondi...
Oui, mais ce que vous appelez un succès n'est pas forcément un succès pour moi. Fogiel ne comprenait pas ça (NLDR/ Albert rebondit sur sa participation à l'émission, On ne peut pas plaire à tout le monde du dimanche 20 mars 2005) : il appartient à un formatage d'esprit qui veut que quand ça marche tu ne lâches pas le morceau. Franchement, à l'époque de ces propositions, j'avais 27 ans et je me considérais encore comme quelqu'un qui avait un avenir... Je ne voulais pas me caser quelque part, c'était absurde. Les Monthy Python ont commencé par la scène, puis ils ont transformé ça à la télé, ils ont fait des films et à chaque fois, les films leur ressemblaient. Ils ont transporté leur univers. Ils n'ont pas lâché le morceau. Et plus haut, plus grand encore, il y avait Chaplin. Il a vraiment appris à faire du cinéma.

C'est la raison pour laquelle on vous considère comme un artiste à part, avec un vrai univers?
Ce sont des névroses plus qu'un univers. Et puis j'ai fait trois films, il n'y a pas de quoi crier au loup. Mais je n'ai jamais regretté ce chemin que j'ai pris malgré moi sans vraiment choisir. Le vrai échec c'est de faire un truc qu'on n'aime pas. Et à part un ou deux films en tant qu'acteur où je me suis vautré, je n'ai aucun regret. Monique, je n'ai pas accroché par exemple. Trop scolaire ou bêtifiant, j'y ai projeté des choses qui n'y étaient pas… Ou Petites misères avec Marie Trintignant….

 

À part Monique donc, vous restez fidèle à votre univers
Ce n'est pas une stratégie. Mais si vous n'éprouvez pas de plaisir, vous avez beau être bien payé, ça vire au cauchemar. Sur Irréversible, j'ai appris des choses sur moi, c'était vraiment une aventure. Je n'ai pas tout laissé tomber pour faire des téléfilms. Donc je préfère galérer un peu, mais être satisfait.

 

Dans le commentaires audio de Bernie, on sent un vrai amour de la caméra, du travail artisanal du cinéma.
L'artisanat, j'y suis un peu contraint au vu des budgets que j'obtiens ! J'ai beaucoup manqué de formation et de conseils, donc si je peux aiguiller des gamins en parlant sur mes films et en disant que ce qui compte ce n'est pas d'avoir dix millions d'euros pour faire un film, je serai ravi.

 

En ce qui concerne l'édition collector de Bernie, c'est vous qui avez initié cette ressortie ?
Non, je pense que les éditeurs ont voulu le ressortir parce qu'avec les années il continuait de se vendre, donc je n'allais pas dire non. Ils se sont occupés de tout. Moi j'ai juste retrouvé une scène ou deux. Le Sale DVD, c'est pareil, c'est France 2 qui le voulait et comme ils ont financé Enfermés dehors... Je ne voyais pas de raison de leur refuser. Des raisons pragmatiques et d'obéissance commerciale finalement. Mais ça n'est pas moi qui choisit.

Vous avez validé les bonus ?
Je les ai vus, et je les ai trouvé bien, mais je ne m'en suis pas occupé. Pour moi, c'est une réactualisation d'un produit, c'est tout.

 

Il faut noter maintenant les menus sublimes et la navigation aisée, mais la grande nouveauté c'est le documentaire Nos amies les hyènes avec des témoignages de gens qui ont eux aussi un vrai univers cinématographique. Vous les connaissez ?
Robin Williams, m'avait appelé quand il avait vu Bernie. Jeunet m'avait laissé un message alors que je ne le connaissais pas. Blier aussi. Ce sont des choses rares. D'autres n'étaient pas disponibles, comme Verhoeven par exemple. C'est rigolo que ce film fait avec trois bouts de ficelle et deux coups de couteaux ait perduré et ait plu à des gens qui pourraient être blasés. Blier pour le surprendre, faut se lever de bonne heure ! Je n'ai pas de vanité par rapport à ça. Ils sont enthousiastes plus que flatteurs. Peut-être que le lien, c'est qu'il s'agit de gens qui ont également eu du mal à faire des films. Cela crée une sorte de solidarité parce qu'on se retrouve dans le chemin qu'on a pris, avec une certaine intégrité dans le projet, même s'il s'agit de cultures et de budgets différents.

 

C'est sans doute le lot de tous les réalisateurs qui veulent faire des films un peu décalés?
Mais on ne choisit pas de faire du décalé, on écrit ce qu'on peut. Moi j'aimerais bien écrire La Grande Vadrouille, je ferais plus d'entrées, mais je ne sais pas le faire. Là j'ai un nouveau sujet et poum ! Ça parle de la mort ! Donc je me dis que c'est pas encore gagné ! [Rires]

 

En parlant de votre carrière d'acteur, Blier dit « je ne comprends pas, il pourrait vraiment exploser ».
C'est une question d'envie et de disponibilité. C'est marrant parce que Blier, dans tout son discours, me pousse à la raison, alors que j'ai toujours aimé Blier parce qu'il n'était pas raisonnable. C'est comme Gilliam qui dit que je suis dangereux alors que c'est lui qui l'est. Ça ne se décide pas de faire carrière ou d'exploser. Si cela doit arriver, ça arrivera. En attendant, il faut se faire des souvenirs.

 

Vous partez sur combien de semaines de montage ?
J'en ai jusqu'à fin septembre, j'ai 800 plans à monter ! J'ai beaucoup de boulot.

 

Il y avait une équipe pour le making of ?
Oui, c'est un apprenti réalisateur qui l'a réalisé. Ce sera un bon bonus. Mais il faudrait d'abord que le film soit pas mal. C'est une torture le montage ! Surtout que vous montez des scènes avec des fonds verts, sans musique, et qu'au départ, cela vous paraît très pauvre. Du coup, ce sont des périodes terribles de doute, de désespoir. Et quand on arrive au mix, on retrouve le film qu'on imaginait. Surtout que c'est un film très préparé. Et le tournage s'est très bien passé. On a fini dans les délais. Mais je ne le ferais pas tous les jours, c'est trop dur.

 

Vous jouez dedans encore une fois. C'est possible un film de Dupontel sans Dupontel ?
J'aimerais bien oui. D'autant que celui-là a été tellement éprouvant que ça finit par gâcher le plaisir. Pour le prochain, non seulement j'ai déjà des acteurs en tête, mais j'aimerais ne pas jouer et ne me consacrer qu'à la mise en scène. Mais pour ça, il faut que j'en ai les moyens, au moins assez pour qu'on puisse recommencer quand c'est raté. Parce que mes cumuls de fonctions allègent un peu le budget. Je suis très compétitif puisque je fais tout ! Mais pour le prochain, j'aimerais ne pas avoir à porter tout le film sur mes épaules.

 

À propos de votre participation à l'émission de Fogiel, cela avait l'air de vous emmerder…
Oui, mais je ne m'en cachais pas. J'étais d'accord sur le principe mais il voulait me faire poireauter toute l'émission entre les invités, et je n'en avais pas envie. Fogiel, à force de vouloir déstabiliser, cela finit par devenir stérile. Tout le monde est sur la défensive et ce n'est plus vraiment intéressant.

 

On a entendu une rumeur selon laquelle Enfermés dehors a failli se tourner à New-York avec Edward Norton dans le rôle principal. Vous confirmez ?
Oui. L'agent de Norton l'a lu et avait trouvé ça bien. J'avais pensé à un couple Edward Norton/ Robin Williams qui me paraissait cohérent. Mais les américains, c'est franchement dur de bosser avec eux. Parce qu'il y a trop de monde autour qui fait barrage et puis là-bas, un français, c'est comme un albanais ! En plus les attentats ont tout compliqué. Donc à un moment j'ai jeté l'éponge, je ne me suis pas acharné.

 

C'est une volonté de votre part d'aller tourner là-bas ?
Non, mais après Le Créateur, j'ai rencontré des gens qui étaient intéressés. Alors pourquoi pas ? Cela fait toujours un peu rêver, un film en langue anglaise qui peut faire le tour du monde… Mais c'est vrai que si en France on n'a pas d'argent, on a beaucoup de libertés en tant que metteur en scène. Je n'aurais pas pu faire ce que j'ai fait aux États-Unis.

 

Propos recueillis par Thomas Douineau et Sandy Gillet et retranscrits par Johan Beyney.

 

          

 

Le test DVD de Bernie                  Le test DVD du Sale DVD

 

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