Benoît Magimel (Trouble)

Vincent Julé | 7 mars 2005
Vincent Julé | 7 mars 2005

À quelques semaines de la sortie de Trouble, après avoir bouclé le tournage des Chevaliers du ciel et avant d'enchaîner avec celui de Selon Charlie de Nicole Garcia, Benoît Magimel a été sommé de s'enfermer dans une chambre d'hôtel pour une longue journée de fastidieuses interviews. Avec, au départ, 15 minutes au chrono, l'échange a défié le temps pour un tour d'horizon, si ce n'est pas exhaustif, au moins intéressant avec un acteur plus charismatique qu'à l'écran, et surtout plus bavard.

Comment avez-vous été approché pour le film et qu'est-ce qui vous a fait accepter ? La performance ?
Justement, je pense que c'est une mauvaise raison de faire un film pour la performance. De plus, je ne trouve pas que cela en soit une ici. Pour moi, cela s'est résumé à jouer deux personnages, comme deux films en un. Ce qui m'a attiré : le rapport entre deux frères, le metteur en scène bien sûr, et puis, surtout, ce que j'ai lu du scénario au départ. Sans oublier, que c'était l'occasion pour moi d'entrer dans un genre que je ne connaissais pas, le film d'angoisse, à suspense.

Etes-vous satisfait du résultat ? De votre prestation en particulier et du film en général ?
J'ai un peu de mal à analyser, car tout dans le film se fait sur la surprise, or je le connais par cœur. Sur d'autres films, la question se poserait moins. Quant à ma prestation, je n'ai pas grand-chose à dire. Je connais l'envers du décor, les trucages numériques, et j'ai toujours eu l'impression que ces deux personnages n'en formaient, au bout du compte, qu'un seul. Comme une personne scindée. Comme nous tous en fait. Il y a en chacun de nous une part de Thomas et une part de Matyas. Une part de féminité et une part de masculinité. Il fallait réussir à construire ces deux frères, à leur trouver une identité. Donc, j'ai proposé au réalisateur Harry Cleven cette manière de voir, cette opposition entre un personnage solaire, séduisant et un autre plus sombre, torturé. C'est peut-être pour ça, que je n'y vois pas de performance. À proprement dite.

Le film, et son thème, en rappelle un autre, prestigieux : Faux Semblants de David Cronenberg
J'ai été très impressionné par ce film, plus que par mon propre travail, bien que je trouve qu'il a très mal vieilli. Moi, je n'ai pas encore de recul. A la sortie de la projection du film, j'étais incapable de savoir si cela fonctionnait. C'est pour cela que la projection au festival de Gérardmer a été déterminante. Je n'étais déjà pas au courant que l'on était en compétition. Je croyais que l'on faisait la fermeture, une avant-première en somme, donc que personne ne nous attendait. Or, quand j'ai vu les réactions dans la salle, j'ai été rassuré. C'était même très réconfortant. Ils ont eu peur et aimé. Les échos se sont retrouvés être plutôt positives.

Si je peux permettre une petite critique à mon tour, toute la dernière partie du film frôle le ridicule, lorsque le fin mot de l'histoire est révélé.
C'est délicat de répondre, parce que, moi, je suis là pour défendre le film. Donc, après, je ne vais pas pouvoir te dire ce que je pense du film. Et c'est très difficile de s'en rendre compte. Quand j'ai lu le scénario, j'ai trouvé que deux tiers du film étaient vraiment formidables, mais que le dernier ne fonctionnait pas. Il y a eu alors un an de réécriture. Beaucoup de portes étaient ouvertes, mais pas refermées, et il y avait certains éléments à améliorer, car ils n'étaient pas complètement réussis. Certaines choses pouvaient paraître scabreuses, irréalistes, au risque de pouvoir basculer dans le too much. Bien qu'il faut se dire que la réalité dépasse souvent la fiction. Certaines histoires sont difficilement croyables, et il y a des faits divers vraiment hallucinants. Le travail était donc d'alléger, car il y avait une surenchère qui faisait que c'était abracadabrant. Au final, après tous ces changements, le film est ce qu'il est. Concernant les scènes finales… nous avons tournés en 9 semaines, avec peu d'argent, et pour un film à suspense, c'est difficile. On aurait pu faire mieux, avec un peu plus de temps.

Sinon, vous alternez des films dits sérieux (La Pianiste, Une femme d'honneur), et d'autres plus grands publics (Les Rivières pourpres 2 et bientôt Les Chevaliers du ciel). Pourquoi, et faites-vous une différence ?
J'ai toujours aimé le cinéma populaire, et le cinéma intimiste, au sens large. J'aime la diversité et j'ai toujours eu peur de l'étiquette, surtout à la suite des Voleurs d'André Téchiné (1996), où l'on me redécouvrait en tant que jeune homme. Et avec une nomination aux Césars à la clé. Ainsi, l'année suivante, je n'ai reçu que des scénarii sur des rôles de voleur. C'était dans cela qu'on voulait m'enfermer. J'ai donc refusé et arrêté de tourner pendant un an. J'ai attendu qu'un autre film arrive. Tout est en fait une question de visibilité. Il faut du temps pour que les gens se rendent compte que l'on est capable de pouvoir se diversifier.

Et vous avez autant de plaisir à faire un cinéma que l'autre ?
Évidemment. Je ne vais pas vers le cinéma populaire parce qu'il me faut une notoriété. J'aime ce cinéma-là depuis que je suis gamin. J'ai grandi en côtoyant ce cinéma, populaire, de genre, d'action, sur les voyous – la voyoucratie m'a toujours fasciné. Les polars aussi ou les films angoissants, comme ceux de Brian de Palma, dont le Pulsions (1980) m'a beaucoup marqué à l'époque. Mais, malgré tout, on a envie de t'enfermer dans un genre, de te cerner et de savoir dans quelle catégorie tu te places. Cela agace quant tu es un électron libre.

Les Rivières pourpres 2, bon souvenir ?
Bien sûr, et c'était très dur à faire en plus. Très différent aussi, parce qu'on travaille plus sur le style, le mouvement, sur une image de héros. Il faut donc faire attention à sa façon de bouger, la travailler jusqu'à une certaine perfection. Un travail assez dénigré en général, parce que l'on accorde beaucoup plus de crédit au travail de l'acteur pour La Pianiste que pour Les Rivières pourpres 2. Alors que moi, j'ai eu autant de difficulté - sachant que pour moi la difficulté est un plaisir - de recherche et de travail.

Et à la vue de la qualité du film ?
La qualité de La Pianiste n'a rien à voir avec Les Rivières pourpres 2, ce n'est pas le même univers. Le fait que ce soit Olivier Dahan qui réalise était très important, rassurant même. Et malgré tout ce qui a pu être dit, moi, j'aime ce film. Beaucoup d'amis ont trouvé des faiblesses dans le scénario. Mais, ce n'est une surprise pour personne, il y a des travers qui sont inhérents au genre. J'ajouterais même que j'ai aimé le faire ET le regarder.

Avec Les Rivières pourpres 2, que j'ai vu, et Les Chevaliers du ciel, que je n'ai pas vu, il y a pourtant cette même idée de copier/coller, et qui vaut le fâcheux estampillage « production Besson » à nombre de films.
C'est un scénario de Besson, et non pas une production. Son scénario est un véritable melting-pot, on y croit ou pas. L'unique but est de divertir, et c'était aussi celui d'Olivier Dahan, ainsi que le mien. Il n'y avait pas d'autre envie, que se faire succéder les scènes d'action. Il n'y avait d'ailleurs pas la place de travailler le personnage. Le premier jet essayait vaguement d'amorcer un traumatisme, pour une résonance plus intérieure, mais c'était tellement mal écrit que j'ai préféré le switcher. Le traitement psychologique n'était vraiment pas le but. On parle d'un héros dans l'action. Moi je n'ai pas de problème avec, c'est les autres qui en ont. Par contre, peut-être qu'un jour, je ferais un film d'action fort, comme L'Arme fatale.

Les Chevaliers du ciel, vous le définiriez de la même façon ?
Cela s'inscrit en effet dans la même volonté. L'envie d'aller faire un héros, un pilote dans l'armée de l'air. Du pur divertissement donc. Je n'ai encore rien vu, l'équipe est en plein montage. Mais la seule certitude que j'avais au début, c'est que Gérard Pirès, que je connais non pas avec Taxi, mais avec ses précédents films (Fantasia chez les ploucs, Elle court, elle court la banlieue) allait en faire quelque chose de très important. Il est passionné d'aéronautique, pilote lui-même, donc lui plus qu'un autre pouvait avoir une vraie vision personnelle. J'aime les réalisateurs qui réussissent à tirer à eux leur propre univers, et non qui se contentent de réaliser leur film de commande, à distance. Il l'a prouvé en s'entourant d'un casting étonnant (Clovis Cornillac, Philippe Torreton, Géraldine Pailhas), que l'on a peu l'habitude de rencontrer dans ce genre de films.

J'ai tout de même peur, dans ce type de projets, que ces acteurs, aussi talentueux soient-ils, se retrouvent broyés par la grosse machinerie.
Il faut savoir que la principale lacune en France est le scénario. On devrait valoriser beaucoup plus l'écriture, qui est le point de départ de tout. De tous les acteurs, je ne pense pas qu'il y en ait un qui dise que tous les scénarii qu'il reçoit sont formidables au début. Donc, il y a toujours besoin de retravailler l'histoire, de combler des lacunes. Car chaque acteur va aussi donner sa vision des choses. Et parfois, tu n'as pas la place pour donner de la psychologie aux personnages, parce que le film n'est pas là pour ça. Certains films américains arrivent pourtant à lier la psychologie, l'histoire, l'action, un spectacle et cela devient intelligent. Mais nous, ce n'est pas un cinéma qui est dans notre culture, ou alors dans les années 70 avec des films sur le scandale, la géopolitique. Il faut, je pense, beaucoup de moyens. Enfin, toujours est-il que mes choix sont tout à fait conscients, et que c'est plus une envie qu'un moyen.

Peut-on revenir sur le projet Mesrine de Barbet Schroeder ?
Barbet Schroeder est un metteur en scène que j'admire. Mesrine, un personnage que j'admire aussi, est un peu comme Musset (qu'il a d'ailleurs interprété dans Les Enfants du siècle, NDLR), extrêmement riche, contradictoire, dense et vraiment magnifique. Il m'avait tout d'abord contacté pour interpréter François Besse, le lieutenant de Jacques Mesrine, ce que j'ai trouvé cohérent. Après le désistement de Vincent Cassel, ils sont venus me voir et ma première réponse a été négative, car je voyais vraiment un ravin entre moi et le personnage, moi 30 ans, et Mesrine 43 quand il meurt. Le réalisateur assurait que l'on ferait notre Mesrine, avec moi et mon physique. Selon moi, le physique de Mesrine est incontournable, c'était une force de la nature. Donc, je lui ai dit qu'il fallait attendre que je prenne 15 ou 20 kilos, jouer avec les postiches, etc. Mais je n'ai pas eu le temps de le faire. Donc, oui, j'en avais envie, mais il aurait fallu m'en donner le temps et les moyens, et il était déjà question de tourner en juillet. Si je n'arrivais pas être près de ce que Mesrine avait été, le film serait à coup sûr une vaste plaisanterie. Depuis, je n'ai plus de nouvelles, je ne sais pas si Thomas Langmann a réuni ou non les fonds nécessaires. J'ai juste conseillé à Barbet Schroeder d'aller voir du côté de Clovis Cornillac pour le rôle-titre.

Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait en bas de page de Benoît Magimel.

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