Bob Decout

Johan Beyney | 17 février 2005
Johan Beyney | 17 février 2005

Après un premier film en 1984, Bob Decout revient avec Les gens honnêtes vivent en France. Vingt ans de maturation. C'est dire s'il tient à ce travail et si face à une critique très défavorable, il a envie de le défendre. Après un énervement passager face aux accusations de « caricature » et de « poujadisme », le réalisateur militant joue honnêtement le jeu et nous explique avec passion et emportement le sens de sa démarche, le tout sans langue de bois. Droit de réponse.
Comment réagissez-vous à cette critique du film ?
Je suis déçu. Ça m'ennuie mais ça vient certainement de moi. Pour être positif, je crois que ça vient de deux choses.
Un : Je ne suis pas compris, parce que je n'ai pas du tout voulu faire ce que vous avez perçu. L'idée la plus subversive de toutes était de créer deux personnages très positifs, de les amener à voler un enfant, et de montrer que ça peut être admis moralement parce que ce sont des gens bien. Le système est pervers, c'est lui qui les pourrit. C'était la base de mon idée, et apparemment ça n'est pas passé.
Deux : J'ai fait mon premier film en 84 et par conséquent, les spectateurs ne connaissent pas mon univers. Je me dis que pour persuader les gens qu'ils peuvent s'intéresser à mon discours, il faudrait qu'ils me connaissent davantage. Parce que des films pas consensuels, il n'y en a pas eu ces dernières années, à part peut-être Amen. Mais Costa-Gavras, on sait ce qu'il a à dire, on connaît le personnage.

Le dossier de presse présente le film comme un film « politiquement incorrect ».
Oui, et c'est ce que j'ai voulu faire, je suis clair, mais je n'y suis peut-être pas arrivé. Il l'est d'abord parce qu'à ma connaissance, on n'a jamais parlé des gens qui avaient des passe-droits pour tout, et notamment de ceux qui vont faire leurs courses à l'étranger. Jamais. Du fait de pouvoir adopter un enfant pour des raisons d'apparence humanitaire, et dans le film, pour séduire un homme politique, pour soigner son image, écrire un bouquin sur cette expérience qui n'a pas été vraiment vécue, etc. Du rapport de ces gens-là avec la culture...
Alors peut-être que ça se sait, mais ça ne se dit jamais ! Le personnage d'Aurore Langlois, il a l'air caricatural parce que personne ne le connaît, mais il existe tel que je le montre! Si tu veux parler du MEDEF, tu es obligé de montrer des mecs en costard-cravate, tu n'as pas le choix. Ernest-Antoine Seillière, quand tu le vois serrer la main de Sarkozy avec le pull autour du cou, c'est pas un cliché ? C'est tous des clichés ces mecs-là ! Comment voulez-vous faire autrement? Faire autrement, c'est ne pas faire du tout. Et moi je veux en parler. Je suis en train de faire un film sur les riches parce que tout ça m'amuse. Ils ont des soucis les mecs : ils ont des connards d'employés qui se mettent en grève, ils peuvent se faire kidnapper pour leurs sous, c'est vraiment du souci. Je vais le faire ce film!

[img_left]gens_itwvictoria.jpg [/img_left]Les personnages du film, ce sont des caricatures ou des portraits réalistes ?
Ces gens-là existent : il ne s'agit pas d'une comédie. C'est un portrait sensible et le plus proche possible de la réalité. Je ne voulais surtout pas tomber dans la caricature. C'était difficile, surtout pour le personnage d'Hélène : je voulais du grotesque mais pas de la caricature. Je suis très proche du cinéma de Marco Ferreri : des personnages exagérés, hauts en couleur, mais jamais surjoués dans le comique. La parodie de la vie, c'est suffisant.
Aurore Langlois est une méchante sublime et c'est une femme qui existe. Elle ne fonctionne que sur le paraître vestimentaire, culturel et social : passer pour quelqu'un d'intelligent et d'humanitaire, c'est très important – surtout quand on a de l'argent. Au départ, Victoria me disait qu'elle ne connaissait pas de femmes comme Aurore. Je lui ai cité quelques noms pour qu'elle puisse s'en inspirer. Au moment de l'intronisation de Sarkozy comme Président de L'UMP, elles étaient toutes derrière lui !

Pourquoi ce choix du film en deux parties, l'une parisienne, l'autre colombienne ?
La deuxième partie aurait pu se dérouler au Cambodge, mais la Colombie est un pays qui me plait. Ce n'est pas que la drogue ou les FARC. C'est un pays qui existe, avec une vraie culture, et des gens qui survivent malgré tout... Mais je sais ce qu'on va me dire : on se marre pendant la partie parisienne avec Victoria Abril et après on s'emmerde parce que Victoria n'est plus là. Mais dans la vie de son personnage, c'est comme ça : elle fait faire ses courses par les autres.

[img_right]gens_itwadopt.jpg [/img_right]Mais votre vision de la Colombie dans le film semble plutôt sucrée?
Je ne peux pas tout mettre non plus ! J'en ai déjà mis beaucoup trop je crois.

L'adoption, c'est un prétexte pour parler de ces passe-droits ou un sujet qui vous tenait vraiment à coeur ?
Ça n'est surtout pas un prétexte. L'histoire de la femme qui va faire adopter un gamin par son assistant est une histoire vraie, à laquelle j'ai assisté. L'idée d'en faire un film a fait son chemin, mais ça a pris dix ans. Pendant cette période, j'ai fréquenté des gens de la télé, j'ai bossé pour des films dits « industriels » et tu te rends compte qu'ils ont tous adopté des enfants ! Et quand tu te renseignes, ils te disent « Ben oui, je suis passé par untel... ». Et toi de ton côté, tu vois des gens qui galèrent à remplir des dossiers... C'est très symbolique de l'époque où l'on vit.

Pour ce qui est de la distribution, on n'est pas vraiment dans le contre-emploi. Le casting ne cède-t-il pas à la facilité?
C'est normal que vous me posiez cette question, mais il faut savoir deux choses. Je ne suis pas dans le système et le film m'a été refusé catégoriquement par toutes les chaînes. J'ai donc été obligé de tourner avec de l'argent étranger, et ça implique des problèmes au niveau du casting : trouver un « nom » pour monter le film – sinon je suis mort –, et la question de ma propre légitimité : qui je suis ? d'où je viens ?
A part Victoria Abril, qui ? Catherine Frot est formidable mais elle fait aussi du Catherine Frot. Isabelle Huppert est prise jusqu'en 2008, donc « Bob Decout, c'est qui ? J'ai Haneke d'abord, Chabrol ensuite : Bob Decout va attendre ». Adjani, vous connaissez le tarif ? Et puis arrive Victoria, qui est une sublime comédienne et qui me dit « j'adore » !
Après j'ai des problèmes de choix personnels : Hélène je l'ai choisie parce que je l'ai voulu vraiment. C'était un pari : je l'avais plutôt vue dans des bluettes mais je sentais un potentiel et j'ai adoré travaillé avec elle. Artus c'était un choix d'entrée. Quant à Bruno, c'est un acteur que j'adore, même si je vous accorde que ce n'est pas un contre-emploi. Mais dès le départ, je ne pensais qu'à trois acteurs : Laurent Lucas, Mathieu Amalric et Putzulu. Pour le reste, les Diefenthal et autres, il faut m'oublier. Ensuite, il me fallait juste un casting un peu équilibré qui sorte de l'ordinaire. Mais il faut savoir que pour un premier film, tu rames, les gens ne t'écoutent pas, ne répondent pas au téléphone...

Quel rapport entretenez-vous avec la critique ? Que redoutez-vous ?
Je redoute ce qui m'arrive avec vous : ne pas être compris. Ce qui me choque c'est l'accusation de poujadisme parce que je sens que je vais y avoir droit et ce n'est pas du tout ce que je voulais faire. Le problème c'est que dès que tu parles mal de la classe politique, on entend « tous pourris ! » et il y a un petit clignotant « Attention Le Pen » qui s'éclaire. Bien sûr qu'il faut y faire attention, mais comment faire ? Il faut que l'on s'habitue à mon langage, ma forme, ma façon de concevoir les choses.
Pour le public c'est différent : il choisit d'aller au cinéma, donc il rentre dans la salle en ayant envie. À l'Alpe d'Huez, les gens s'engueulaient dans la salle à la fin du film.

Que voudriez-vous dire au public pour éviter les malentendus ?
Préparez-vous à voir un film structurellement différent de ceux que vous avez l'habitude de voir : acceptez de le prendre et de le voir tel qu'il est.
Attention aux idées reçues. Ne prenez pas ce film comme une comédie, et ne le classez pas forcément dans la case où on vous l'a vendu, notamment par la promo télé. Attention, je ne dis pas « Les cons restez chez vous et les intelligents allez-y ! ». Je ne veux pas tromper les gens.
Il ne faut pas que je me décourage, que j'améliore le propos. Que je donne les codes.

Bob Decout prépare actuellement deux longs métrages : Ayez pitié des riches et Premier coup porté à la certitude, avec Benoît Poelvorde et Gérard Lanvin.

Propos recueillis par Johan Beyney

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