Werner Herzog

Sandy Gillet | 10 novembre 2004
Sandy Gillet | 10 novembre 2004

Werner Herzog, de son vrai nom Werner H. Stipetic, est né le 5 septembre 1942 à Munich. Quinze jours après sa naissance, le bombardement de son quartier force ses parents à l'envoyer dans un petit village de Bavière où il y passera effectivement une enfance loin du cinéma, de la télévision et du téléphone.
Il affirme pourtant que sa vocation de devenir cinéaste lui est venue très tôt, et c'est en effet dès l'âge de 15 ans qu'il écrit son premier scénario, et à 19 ans qu'il réalise son premier court métrage intitulé Herakles, sur la réforme pénitentiaire, qu'il finance à l'aide de son travail de nuit comme soudeur dans une aciérie. Autodidacte et soucieux de préserver son indépendance, Herzog est lancé. Il fonde l'année suivante sa société de production et réalise son premier long métrage en 1968, Signes de vie, qui reçoit immédiatement un accueil favorable en obtenant le prix spécial du Jury au festival de Berlin. La reconnaissance internationale ne viendra qu'avec Aguirre la colère de Dieu, qui sera sélectionné à Cannes, mais qui recevra surtout un accueil enthousiaste du public français à l'automne 1972. La consécration viendra avec L'Énigme de Kaspar Hauser, qui obtient le prix spécial du Jury au festival de Cannes 1975. Dès lors, il devient l'un des chefs de file du cinéma allemand avec Volker Schlöndorff, Reinhard Hauff ou encore Rainer Werner Fassbinder.
Par la suite, il réalisera des films marquants comme son Nosferatu avec Isabelle Adjani, en hommage au chef-d'œuvre de Murnau, Fitzcarraldo en 1982, clef de voûte de son « triptyque amazonien » qui s'achèvera dans la douleur avec Cobra Verde en 1987, mettant aussi un terme à sa collaboration avec l'acteur Klaus Kinski, dont il décrira en 1999 leur relation houleuse et masochiste dans un fabuleux documentaire intitulé Ennemis intimes. Depuis, Herzog semble avoir disparu de la circulation alors que, pourtant, il n'arrête pas de travailler. Sa participation en tant qu'acteur dans le vrai faux documentaire de Zak Penn, Incident au Loch Ness, lui permet de montrer une autre facette de son talent et de crier haut et fort son désarroi face à l'indigence du cinéma contemporain. Morceaux choisis en compagnie d'un mythe vivant, à ne lire qu'après avoir vu le film.

Le film, Incident au Loch Ness, est annoncé comme étant produit par Zak Penn et vous…
C'est bien entendu complètement faux. C'est une idée de Zak Penn, qui voulait entretenir le secret et la confusion dans la tête des gens et des journalistes le plus longtemps possible…(Sourire amusé.)

Comment Zak Penn s'y est-il pris pour vous intéresser au projet ?
Déjà, il faut savoir que Zak et moi on se connaît depuis un petit bout de temps. C'est un scénariste établi à Hollywood (On lui doit en effet, entre autres, les scénarios de Last action hero, En territoire ennemi ou X Men 2, ndlr !), et il m'est arrivé de faire appel à lui à plusieurs reprises quand j'avais besoin de traduire en anglais et de « conformer » mes propres scénarios au modèle hollywoodien. Zak Penn m'a donc tout naturellement fait part de son projet et m'a fait lire son script, que j'ai immédiatement adoré tant je le trouve drôle et intelligent. La suite coule donc de source…

Incident au Loch Ness semble être un mix entre Lost in La Mancha pour le côté making of du making of, et Forgotten Silver pour son aspect en trompe-l'œil particulièrement subversif…
N'ayant pas vu les deux films dont vous me parlez, il me sera difficile de réagir. De toute façon, il ne s'agissait pas là d'un rôle de composition, mais juste d'un clin d'œil amusé et amusant. Pour ce qui est du film en lui-même, je ne crois pas que Zak ait voulu surfer sur une quelconque vague ou tendance. Ce qui l'intéressait avant tout, c'était de faire un film critique à l'égard du système hollywoodien et sa volonté de travestir à tout prix la réalité en gargarisant le spectateur d'effets spéciaux numériques en tout genre. C'est ce qui m'a plut tout de suite, il faut bien le dire. Ensuite, le fait de jouer avec l'image que peut avoir de moi le grand public a fait le reste.

Justement, les gens vous connaissent surtout pour être le réalisateur d'Aguirre, Nosferatu ou Fitzcarraldo, et par votre association mythique avec l'acteur Klaus Kinski. Ne craignez-vous pas, en ayant accepté de jouer avec certaines croyances avérées ou non (on pense, entre autres choses, à la séquence du pistolet pointé par Zak Penn à l'encontre d'Herzog, lui intimant l'ordre de reprendre le tournage, renvoyant au même épisode devenu légendaire entre Kinski et Herzog durant le tournage de Fitzcarraldo), de définitivement réduire à une certaine forme de caricature la perception de votre personnage au plus grand nombre ?
Vous savez, je me suis battu pendant des décennies contre cela. Contre justement cette croyance qui veut que je sois un réalisateur mégalomane et donc un peu fou, contre cette légende tenace qui veut que j'aie pointé un pistolet sur la tempe de Kinski pour lui faire reprendre le tournage…Ce qui est sûr, c'est que la profession que j'exerce a toujours été une passion, et que celle-ci se doit d'être entière et sans concessions si on veut que cela se voie sur la pellicule. Oui, bien entendu, mes relations avec Kinski furent tout sauf sereines et professionnelles, j'ai même réalisé un film dessus, mais encore une fois jamais je n'en suis arrivé à de telles extrémités. Alors, oui, aujourd'hui je préfère en effet m'amuser de tout cela, et ce film est tombé à point nommé, devenant pour moi un moyen d'expression idéal pour aller dans ce sens.

Quand vous dites qu'Incident au Loch Ness est une critique à mots couverts du système hollywoodien et de sa tendance à toujours enjoliver la réalité, n'est-on pas cependant au cœur même de la mythologie américaine qui veut que la légende doit toujours être préférée à la réalité ?
Oui, peut-être, mais de là à l'ériger en système économique et non en fondement culturel, il y a un « gap » qu'ils ont osé franchir et qui est bien loin de mes référents.

J'ai lu que votre prochain film en tant que réalisateur tournera autour d'un grizzli qui aurait dévoré un couple de photographes américains sur ses traces. Est-ce encore un autre canular ?
Non non, et il est même terminé. Je suis en effet au niveau du montage, après avoir passé quelques semaines en Alaska et dans les Rocheuses. C'est un vrai documentaire que j'ai produit quasiment tout seul.

On avait d'ailleurs perdu un peu votre trace depuis Invincible que vous avez réalisé en 2001, avec Tim Roth dans le rôle titre.
(Agacé.) Mais je n'ai pas arrêté de travailler et de réaliser des films ! Mais comme cela devient de plus en plus difficile de se faire financer et de trouver des salles susceptibles de projeter votre film, il est normal que vous ayez cette impression. Il suffit de jeter un œil aux films projetés en ce moment sur Paris pour se rendre compte que ce que je dis est malheureusement vrai. La majorité des salles est en effet phagocytée par la production hollywoodienne du moment, ou par des films français à gros budget qui ne rêvent que de copier les recettes venues d'outre-Atlantique. Je suis donc obligé de revoir sans cesse mes ambitions à la baisse et de réfléchir à des modes de projection hors du circuit traditionnel.
(Little Dieter needs to fly, son dernier film, devrait d'ailleurs être projeté dans certaines salles allemandes via satellite afin de minimiser les coûts de tirage, ndlr !)

Zak Penn a d'ores et déjà annoncé le tournage de son nouveau film en février 2005. En ferez-vous partie ?
Oui, mais je ne peux rien dire de plus.

Werner Herzog est photographié par Sophie Hay.

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