Kore-eda Hirokazu

Vincent Julé | 8 novembre 2004
Vincent Julé | 8 novembre 2004

Après les remarquables et remarqués After life (1998) et Distance (2001), le réalisateur japonais Kore-eda Hirokazu revient avec un projet lui tenant particulièrement à cœur : Nobody knows. Un retour lumineux et âpre sur l'enfance, déjà consacré au festival de Cannes 2004 avec le prix d'Interprétation Masculine pour l'un des quatre jeunes comédiens. Avec nous, il s'explique sur une expérience autant cinématographique qu'humaine.

Une première question sûrement mille fois posée, mais incontournable : comment s'est passé le travail avec les enfants, par rapport au travail avec de vrais acteurs, comme dans vos films précédents. Cela a été une surprise, une difficulté ?
Les différences avec mes précédents films sont significatives. Dans Distance, par exemple, il y avait juste un synopsis. J'ai donc travaillé avec des acteurs professionnels, laissant une grande place à l'improvisation. Même le travail de la caméra était confié au chef opérateur. En revanche, cette fois-ci, mon intention était vraiment de faire une fiction. Le scénario est très écrit, et j'ai sans cesse donné des instructions très précises. Par contre, je n'ai pas donné le scénario aux enfants sur le tournage. Je leur murmurais à l'oreille ce que je voulais qu'ils fassent et disent.

Pouvons-nous d'ailleurs les considérer comme des acteurs ? Les avez-vous choisis pour leur « jeu », ou avez-vous plutôt choisi des caractères qui correspondaient aux personnages du film ?
Ce sont tous des amateurs, et j'ai donc dû les choisir avant de les avoir vu jouer. Mais c'est assez difficile de définir des critères. En fait, j'ai commencé par discuter avec eux, pour installer une entente puis une confiance, car nous allions tout de même travailler un an ensemble. Il fallait aussi qu'ils aient une forte présence devant la caméra. Des enfants peuvent paraître parfaits au premier abord, mais ensuite, entourés d'une équipe, devenir mal à l'aise et ne plus passer à l'écran.

Il y a donc dû avoir une préparation avant le début du tournage. Prépariez-vous chaque scène, ou étiez-vous plus dans un rapport proche du documentaire ?
J'ai eu trois mois avec eux, pour que l'on sympathise. Nous sommes allés faire des courses, visiter les temples… Petit à petit, j'ai introduit la caméra, une petite au début, puis de plus en plus grosse. C'est vrai que c'est une technique assez proche du documentaire. Au début, nous sommes un peu l'intrus, puis l'on se rapproche de plus en plus de la personne. C'est la raison pour laquelle j'ai pu saisir leurs expressions de façon si naturelle.

© Sophie Hay

Quel rapport ont eu les enfants avec la caméra ? Par exemple, au détour d'un plan, la plus jeune regarde l'objectif comme si c'était un être humain. L'illusion est troublante, et parfaitement à l'image du film.
Il y a deux scènes où la petite Yuki regarde droit dans la caméra. Une première, au printemps, à la visite du créancier, où, de peur, elle tient la manche de son grand frère Akira. Enfin, la deuxième scène est en fait la dernière fois où le frère voit sa petite sœur. À chaque fois, volontairement, la caméra s'est substituée à Akira. Ses scènes sont capitales. Jusqu'à présent, dans mes œuvres à teneur documentaire, je ne filmais jamais le regard des personnages. C'était une manière indirecte de contrôler les sentiments. Mais cette fois-ci, dans le cadre d'une pure fiction, je l'ai utilisé de manière parcimonieuse.

Au bout d'une heure et demie de film, je me suis rendu compte qu'il y avait très peu de dialogues. Je ne m'en étais pas aperçu auparavant ! Cette rareté des dialogues est-elle voulue, ou est-elle venue naturellement ?
C'est en pleine conscience. J'ai fait en sorte qu'il y ait peu de dialogues, surtout sur la fin, où les enfants se trouvent de plus en plus livrés à eux-mêmes. Mon but était en définitive de montrer les émotions à travers autre chose que le dialogue.

Le tournage s'est étalé sur neuf mois. Vous tourniez beaucoup ? Par mois, par semaine ?
Le tournage s'est déroulé en totalité sur deux mois, à raison de deux semaines par saison. Le plus souvent pendant les vacances scolaires des enfants, ou bien le week-end pour leur permettre de se retrouver, de s'amuser. Et j'ai tourné à peu près trente heures, soit quinze fois le film.

Quel était le but premier de votre film : raconter une belle et triste histoire, ou se faire l'écho d'une réalité sociale au Japon ?
Ce n'est ni l'un ni l'autre. Ce que je voulais, je ne sais pas si l'on peut appeler ça un message, c'est que les spectateurs se souviennent de leur propre enfance. Montrer que les enfants peuvent avoir aussi des émotions et des sentiments assez complexes. J'espère en avoir dressé un tableau sincère.

Et personnellement, que tirez-vous de ce film, de cette expérience ?
[Silence. Les yeux fixes, dans le vide.] Pour l'instant, cela m'est difficile de vous répondre. Peut-être que dans plusieurs années, après avoir fait beaucoup de films, je comprendrais le sens de celui-ci. Du moins à mes yeux. Mais j'ai porté ce projet pendant quinze ans, et actuellement je suis content du résultat, mais c'est comme si j'avais un vide en moi.

Peut-être est-ce un peu prématuré, mais avez-vous déjà une idée de votre prochain projet ? Toujours inspiré d'un fait réel, d'une réalité sociale ?
À présent, j'ai envie de faire des films totalement de fiction. Par exemple, je voudrais bien réaliser une comédie musicale, dans la veine des Parapluies de Cherbourg, et je travaille actuellement sur un film historique. Se situant à l'ère Edo, il narre l'histoire d'un samouraï faible, qui doit survivre et penser à venger son père, mort bêtement.

Vous n'allez pas en faire un film d'action, tout de même ?
Le moins du monde. Ce sera l'opposé de Tom Cruise dans Le Dernier Samouraï. Et il n'y aura pas de morts.

Remerciements à Valérie Dhiver.

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