Frédéric Schoendoerffer

Thomas Douineau | 10 novembre 2004 - MAJ : 20/11/2023 12:26
Thomas Douineau | 10 novembre 2004 - MAJ : 20/11/2023 12:26

La semaine dernière, nous avions rendez-vous avec Frédéric Schoendoerffer à l'occasion de la sortie en DVD de Agents secrets, son deuxième film après Scènes de crimes. Nous étions impatients de rencontrer un réalisateur que l'on suit depuis ses débuts, et dont les œuvres représentent à nos yeux ce que doit être le cinéma français : à la fois divertissant et réaliste. Un mélange de spectacle et d'intelligence qui ferait du film de genre français un genre à part. Par notre enthousiasme et la passion de Frédéric Schoendoerffer, notre interview dans les bureaux de La Chauve-Souris (la société de production qui développe ses films) s'est transformée en un long entretien d'une heure et demie que nous avons choisi, par plaisir, de retranscrire en une fois et dans son intégralité.

Scènes de crimes est, en termes de coût, un petit film, en huis-clos. Pour votre deuxième long métrage, vous abordez un sujet très ambitieux...
C'est toujours ambitieux de faire un film policier, parce que c'est quand même un genre très fréquenté. Et faire un film d'espionnage aussi. Après, il y a une histoire de coût entre les deux films, il y a des méga stars dans l'un et des très très bons acteurs dans l'autre, mais qui ne sont pas starifiés.

Les deux films se ressemblent déjà par leurs plans d’ouverture… Il y a d’ailleurs une chose que l’on trouve amusante et que vous ne mentionnez pas dans le commentaire audio : dans Agents secrets, Charles Berling meurt et son corps est récupéré par André Dussolier ; c’était exactement l’inverse dans Scènes de crimes
Oui, et celui qui tue Charles Berling, c'est le tueur en série de Scènes de crimes.



Toute la scène d’ouverture est d’ailleurs très forte… On entre de plein pied dans le film et l’histoire démarre ensuite vraiment lorsque le corps de Berling arrive à Paris…
Depuis le départ, avec mes coscénaristes, on s'était dit que ce serait bien d'avoir un vrai prégénérique. Je trouve que c'en est un, sauf que le générique est avant, comme il y a dans certains films d'espionnage. Je sais que quand on écrivait le scénario, et même au tout début, je m'étais dit « Tiens, ce personnage énigmatique du début qui va faire très peu de temps, j'aimerais bien le proposer à Charles », mais c'était plus affectif qu’un réel calcul. À l'arrivée, vous dites « Ah ouais, c'est vachement bien, c'est calculé, il ferme la porte d'un film pour en ouvrir une autre ! » Mais c'est plus instinctif, une envie de travailler ensemble. En plus, je savais que je n'aurais pas d'autres rôles pour Charles, j'avais envie de retravailler avec lui, que ce soit ludique. Alors, après, à l'arrivée, on peut se dire « Il a bien manigancé son truc », mais c'est moins machiavélique que ça en a l’air. Par ailleurs, dans les deux films, vous avez en effet un plan séquence qui ouvre le film. C'est ce que je dis dans le commentaire, ça c'est vraiment une histoire de goût. Vous savez, j'essaie de faire des films que j'irais voir. Moi, j'aime bien les films qui commencent soit sans générique, ce qui est une tendance en ce moment, je trouve ça pas mal. On débarque directement dans l'histoire. Ou alors j'aime bien ces plans assez longs et bizarres qui nous font presque physiquement entrer dans le film en nous faisant tomber à l'intérieur. Donc c'est un goût de spectateur.



Un plan séquence, c'est vrai que c'est très cinématographique.
Oui, je trouve ça amusant de faire un plan séquence assez long, truqué évidemment dans les deux cas, puisque impossible à faire. Je vous dis : comme si on tombait dedans, voilà, physiquement.



Au début, un spectateur peu averti peut se dire qu’il s’est trompé de film et croire voir Armageddon ! [Rires.]
Oui, ça me plaisait.



Il y a peut-être plein de gens qui sont entrés dans la salle et en sont ressortis aussi vite en se disant « Ah non, mince, on venait voir un film français »!
En même temps, on voit assez vite le nom de Vincent Cassel.



Oui, mais comme il y a un casting international, on se dit «Tiens? »...
Mais je trouvais ça assez rigolo, assez plaisant. Je me suis dit que si j'allais voir un film et qu'il commençait comme ça, ça me plairait bien. Vous voyez, c'est des trucs assez simples quand même, et très liés à ce que j'aime. Je fais très attention parce qu'on ne sait pas ce que les gens aiment, et si on commence à essayer de calculer... D'abord, c'est très arrogant comme posture de dire « Moi je sais, j'ai compris ce qu'ils voulaient, je vais leur donner. » C'est un mystère, tout ça. Et puis ça se saurait. Donc, en gros, moi, j'essaye tout le temps – après, je les réussis plus ou moins – mais j'essaye tout le temps de faire un film que j'irais voir, qui me plairait, en me disant que peut-être je ne serais pas le seul. C'est pour ça que le premier film c'était avec des flics, parce que j'ai toujours beaucoup aimé les policiers et les ambiances de flics et de tueurs en série, ça me fascinait. Et les histoires d'agents secrets, c'est la même chose, pour des raisons différentes. Quand j'avais 14 ans ou 20 ans, que j'allais au cinéma deux à trois fois par semaine, ce genre de films me plaisait. Marathon man – je ne dis pas que je me compare, je parle de passion – Marathon man, c'est un film que j'ai dans ma bibliothèque en DVD, que j'ai vu dix fois, que j'adore, qui habite ma tête. Je me dis « Ouais, chouette, un film d'espionnage », parce qu'il y a un côté espionnage dans Marathon man. C'est comme Heat, par exemple. J'aime beaucoup le cinéma de Michael Mann. Pour le sujets et pour la forme. Je trouve que c'est le type, aujourd'hui, dans le monde, le plus intéressant sur le plan de la forme. C'est marrant, il y a deux jours, chez moi, après le dîner, j'ai mis Ali sans le son. J'ai une grande télé et j'avais mis de la musique en fond sonore. Je suis allé en même temps manger un morceau à la cuisine et je passais devant, en faisant d’autres choses… et tout d’un coup, vous arrêtez tout ce que vous faites, car le film vous captive. Michael Mann a cette faculté de faire des films qui vous accrochent uniquement par l’image. Même en muet, vous en voyez cinq minutes et c'est captivant. Il se passe quelque chose. C'est très très rare, ça. C'est un type qui a un talent fou. Je vous le dis, je peux mettre du Michael Mann muet chez moi ! J'ai fait l'expérience avec un autre film, La Ligne rouge, de Terrence Malick. Là aussi c'est fascinant : vous mettez du classique sur le chaîne stéréo, vous enlevez le son du film, vous faites autre chose, et à un moment donné vous vous arrêtez et vous regardez le film. Et puis, au bout de dix minutes, vous vous dites « Putain, il est muet ! » Vous mettez le son. Voilà. Ça c'est les très grands films.



C'est l'apanage des grands réalisateurs : ils arrivent avant tout à raconter par l'image.
Oui, ils vous surprennent. Ce n'est pas de la soupe.



Ça ne nous étonne pas que vous nous disiez que vous aimez Michael Mann, parce que, déjà dans Scènes de crimes, il y a plusieurs plans ou scènes qui nous faisaient penser à ses films. On pense en particulier à la scène où les personnages s’apprêtent à appréhender un suspect, ils descendent de voiture, cachent leurs fusils sous le manteau…
Ça, c'est une anecdote, c'est marrant. Une anecdote vraie que les flics que je fréquentais pour écrire le scénario m'ont racontée : comment ils avaient arrêté un truand. Comme c'était un gros calibre, ils l'avaient arrêté avec un fusil à pompe parce qu'ils savaient que le mec en face savait qu'avec un fusil à pompe il n'y avait aucune chance. Avec un pistolet, vous avez une chance de vous en tirer, parce que si le mec vous rate, vous pouvez partir. Avec un fusil à pompe, ils vous arrachent le bras de toute façon, donc c'est perdu, donc le type va se tenir tranquille. Ça me plaisait, et puis ça mettait un peu d'action dans le film.


 

 



Eh bien ça nous a fait penser à une scène de Heat, filmée un peu pareillement dans les cadres, dans la façon dont les comédiens se déplacent : celle où les flics emmenés par Pacino arrivent à la banque.
Là, c'est totalement inconscient. Vous voyez, par exemple, dans Agents secrets, l'arrivée au Maroc où on est en subjectif dans une bagnole ? Ça ce n'est pas inconscient. Je me suis inspiré du début de Révélations. Parce que ça m'avait fasciné. Donc c'est un petit peu, entre guillemets, un « hommage », ou je ne sais pas comment on peut appeler ça. En tout cas, cette fois-là, c'est totalement conscient de ma part.



Oui, il y a une analogie. C’est pour ça qu'un film comme Agents secrets nous plaît beaucoup, car, en tant que spectateur, on est content de voir des réalisateurs qui font et aspirent à ce type de cinéma en France. Mais, outre la mise en scène, nous avons l’impression que même dans la musique de Bruno Coulais, par exemple pour le saut en parachute au début, il y a un peu de la même utilisation de la musique par Mann dans ses films. Quelles sont les indications que vous avez données à Bruno Coulais ?
Bruno Coulais est un immense artiste, c'est un type que j'aime beaucoup. En plus, je ne sais pas si vous l'avez rencontré, mais c'est un type humainement très doux, très sympa, alors que c'est un monstre, il a vendu des disques comme des rock stars, alors qu’en fait il est très accessible, très à l'écoute, même lorsque vous faites un petit film... À l'époque, Scènes de crimes, c'était un petit film et personne ne pouvait dire si j'allais en faire d'autres, c'était un coup d'épée dans l'eau. Eh bien, il s'est intéressé à ce film avec une générosité absolument incroyable. Mais en ce qui concerne la musique, pour Scènes de crimes et Agents secrets, je les ai montés et j'ai mis de la musique dessus, de référence, pour donner une direction à Bruno Coulais, et c'était la musique de…Révélations. Quand je fais ça, c'est parce que je veux voir où je veux mettre de la musique, comment ça peut fonctionner, mais après, évidemment, il a une liberté absolue, c'est un artiste. Et dans les deux cas, ce fut super, ça a été une relation de travail formidable. J'attendais quelque chose de lui. Avec un compositeur, c'est la même chose qu'avec des acteurs, vous attendez qu'ils vous fassent un cadeau, enfin qu'ils fassent un cadeau au film. Et à chaque fois Bruno l'a fait. C'est exceptionnel !



Pourtant, vous n'en parlez pas du tout dans le commentaire audio du DVD, de lui, de sa musique ?
Non, mais vous savez c'est très très bizarre. Les DVD, on les fait, le film est sorti depuis un mois, vous êtes claqués, vous ne pouvez plus voir ce film parce que ça fait un an que vous le montez. Ensuite on vous emmène dans un endroit sympa, avec des gens très sympas, on éteint la lumière, on vous passe votre film, et puis là il faut que vous parliez de ce film. C'est très troublant, parce que vous n'avez pas envie d'être arrogant, vous dites « Quoi dire? » En même temps, vous avez envie qu'il y ait un DVD le plus complet possible, parce qu'on sait bien que les bonus sont vendeurs. C'est marrant, parce que les gens du marketing m'ont dit que, en gros, quand on achète un DVD on l’achète à cause des bonus. Et 95% des gens qui l’achètent ne regardent finalement jamais les bonus. C'est assez amusant. C'est un peu comme nous tous qui sommes très contents d'avoir la liberté de pouvoir aller à New York, mais on n'y va jamais.



On vient d'interviewer Nicolas Boukhrief pour Le Convoyeur, et il tient à peu près le même discours que vous, sauf qu’il a refusé de faire un commentaire audio parce qu'il dit que ce n'est pas possible de commenter son film tout de suite après sa production, qu'il lui faut du recul.
Oui, mais après il y a un aspect commercial. Les gens qui ont acheté les droits vidéo, à savoir TF1 Vidéo, nous ont beaucoup aidés à financer Agents secrets, et dans le deal il fallait essayer de faire un beau DVD. Je suis le metteur en scène, et en plus ce n'est pas un film de commande, donc si vous dites « Ben non, je ne le commenterai pas », ce n’est pas cool. Même si tout le monde sait que personne ne va l'écouter.



Boukhrief nous expliquait de son côté qu’il voulait que le DVD ne soit pas cher. Il ne voulait absolument pas qu'il y ait une édition deux DVD, pour une question de coût et donc de prix de vente élevé.
Mais ça, s'il peut le maîtriser... Moi, je ne le maîtrise pas du tout. C'est peut-être aussi lié au coût de son film. Sur Scènes de crimes en DVD il y des bonus. Pour ce film, personne ne m'a rien demandé. Donc c'est moi qui me suis amusé à collecter deux trois choses. J'avais demandé à ce que personne ne vienne avec une caméra vidéo sur le film, et puis le machino, évidemment, n'en a fait qu'à sa tête. Et six mois plus tard, parce que bizarrement ça a pris beaucoup plus de temps, j'ai fait une pub avec lui, il m'en avait parlé, alors je lui ai demandé de le visionner. C'était beaucoup trop long, donc on n'en a gardé qu'un quart d'heure. Mais je me suis dit que même ça c'est amusant, et que ça amuserait peut-être des gens.



Pour votre commentaire audio, peut-être auriez-vous pu demander à quelqu'un de le faire avec vous, votre directeur photo par exemple, parce qu'il y a beaucoup de blancs dedans, de moments où vous ne parlez pas. Parce que le réalisateur, tout seul face à son film, surtout avec peu de recul, ce n’est pas facile...
Alors ça, oui, je suis entièrement d'accord avec vous.



Vous dites que les gens n'écoutent pas les commentaires, mais, par exemple, au début de votre commentaire du film, vous ne parlez qu'à la fin de la première scène : les gens vont croire qu'il n'y a pas de commentaire audio, en fait !
Mais ça, je l'ai fait tout simplement parce que j'aime bien le plan. Si vous parlez sur le plan, il n'a plus du tout le même effet. Donc c'est dramatique ! Vous savez, quand on parle, on voit moins bien. Si vous voulez vraiment que les gens regardent, il faut que ça soit muet.



C'est le paradoxe du commentaire audio.
Mais bon, moi j'ai essayé de le faire avec tout mon coeur. C'est quand même un exercice difficile.



L'astuce, finalement c’est peut-être de dire, pendant les vingt premières minutes, tout ce que vous avez à raconter sur le film. S'ils ne duraient que vingt minutes, les commentaires audio seraient plus écoutés, ça éviterait également au spectateur de revoir tout le film. Ou, sinon, il faudrait demander à l'éditeur de chapitrer le commentaire et d'indiquer à quelle minute le réalisateur intervient et sur quoi. Ce serait plus ludique, aussi...
Oui, on peut le faire aussi comme ça. J’aime bien d'ailleurs. Moi, tous les films que j'adore, je me retrouve avec le DVD chez moi, et je le mets comme un feu de cheminée. Et tout à coup, je m'aperçois que je suis devant la cheminée. Et pas consciemment. Je me rapproche, ça m'intéresse. L'un des derniers films, c'était Il était une fois dans l'Ouest, de Sergio Leone, qui est passé à la télé, ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu, et j'ai été scotché là aussi, alors que, comme je le connaissais, je l'ai mis comme ça, puis je faisais autre chose, et tout à coup, paf, on vient se coller devant le téléviseur.



Oui, c'est la pouvoir de captation. C'est les classiques.
Exactement !



C'est comme ça qu'on les reconnaît ! On commence à manger et on finit devant !
Mais pour une fois c'est pour la bonne cause.



En même temps, sur le DVD, dans votre interview, vous dites que vous n'avez pas envie de trop en dire non plus sur le film, vous n'avez pas envie de dévoiler sa fabrication.
Vous savez, on dit toujours qu'il ne faut jamais aller dans la cuisine d'un restaurant chinois. C'est très bon, les restaurants chinois. Allez dans la cuisine et vous aurez moins envie d'en manger. Et je pense que, c'est comme toute chose, le mystère c'est toujours intéressant. Un petit peu, quoi. Un tout petit peu. Et puis, vous savez, on ne peut pas tout expliquer. Moi, je pense qu'un film, c'est un être vivant, à un moment donné il vous échappe. Parce qu'il a sa propre logique, sa manière de fonctionner. Et c'est assez intéressant, parce qu'à chaque fois que je monte un film, le début est assez libre, c'est vous qui l’imprimez. Et puis une fois que vous avez trouvé le bon rythme, que ça commence à fonctionner, c'est lui qui part tout seul. Il y a un mystère que je ne veux pas dévoiler, mais il y a aussi un mystère que je suis incapable de dévoiler. Et c'est d'ailleurs ce qui me fascine dans le cinéma. Je pense que même pour un immense monsieur comme David Lean, il y a des choses qu'il ne maîtrisait pas, qu'il ne savait pas pourquoi il les avait réussies ou ratées. C'est ce que j'aime aussi, vous êtes confrontés à quelque chose de plus grand que vous.



Il y a un sujet qu'on voulait aborder, par rapport à votre père. On a vu qu'il figurait au générique d'Agents secrets, il joue un personnage dans un bar. C'est à quel moment?
Quand Vincent va dans un bar, il descend en bas pour téléphoner à Raymond, juste avant que Raymond se fasse tuer. Il va chercher Raymond à l'hôtel et il est là...



Vous ne l’avez pas signalé dans votre commentaire !
Mais peut-être qu'un jour j'en ferai un autre. Je vous dis, je trouve que le vrai problème, c’est qu’on fabrique les DVD alors qu'on est encore dans une espèce de tourmente et on est désorienté. Parce que c'est très violent, la sortie d'un film, aujourd'hui. Les enjeux économiques sont considérables, les carrières des films sont de plus en plus courtes, les partenaires sont des financiers mais en aucun cas des mécènes, donc votre avenir est lié au fait que, entre guillemets, le film soit « rentable ». Ceci dit, le boulanger c'est la même chose, il faut qu'il vende son pain.



À Écran Large, on considère que la place qu'a votre père dans le cinéma français n'est pas assez importante.
Oui, je suis bien d'accord avec vous !



Surtout par rapport à un cinéma qui, aujourd'hui, est de plus en plus axé sur le documentaire. Nous voudrions que vous commentiez un petit peu ce paradoxe. Parce que finalement tout le monde essaye de faire en ce moment quelque chose de très réaliste, de très documentaire. Michael Moore est devenu une figure incontournable du septième art avec ces documentaires-fictions...
Oui, d'ailleurs Michael Moore fait des films, des documentaires qui n'en sont plus. Je trouve son documentaire très intéressant, Fahrenheit 9/11. Mais en même temps, si vous voulez faire penser George Bush, parce qu'il le fait penser, avec la voix de Mickey, c'est plus du documentaire, là, c'est de la fiction.



Par rapport à votre père, dans tous ses films il y a un côté très documentaire, et c'est vrai que maintenant on en parle finalement très peu.
Alors ça, je ne sais pas pourquoi. Moi, vous savez, j'avais 2 ans quand j'étais sur le tournage de La 317e Section, au Cambodge. Aujourd'hui, si je fais du cinéma, c'est parce que mon père en faisait, que je suis né dans une famille de cinéma, que ce qui a commencé à m'exciter dans cette affaire, le cinéma, c'était ce qui se passait à la maison : Georges de Beauregard venait, Raoul Coutard ou Joseph Kessel, et il y avait des discussions. Quand j'avais 6 ans, je me mettais dans un coin du salon pour les écouter parler puisque, même si je comprenais pas tout ce qu'ils disaient, j'avais le sentiment qu'il y avait des grandes choses qui étaient en train de se passer. Il y avait aussi un immense sentiment d'aventure. Quand mon père nous emmenait à l'école, le matin, les parents des autres enfants allaient à la banque, par exemple, moi mon père rentrait à la maison pour lire des bouquins ou écrire un scénario, ou alors il n'était pas là pendant trois mois parce qu'il était à Bornéo en train de faire des repérages. Ça, ça me faisait rêver. Pour moi, le cinéma, bien avant de savoir que c'était la mise en scène, c'était la vie. Il y a des gens qui disent « Le rock & roll m'a changé », bien moi c'est le cinéma : ces discussions, ces voyages, cette vie pas du tout comme les autres, avec ses bons et ses mauvais côtés, parce qu'il n'y a pas de certitudes financières, par exemple, un jour ça marche, le lendemain ça ne marche pas. Mais même ça, ce n'est pas inintéressant aussi, on se sent vivant, quoi. Donc, pour moi, mon père c'est un metteur en scène considérable. J'ai été son premier assistant sur deux films, et surtout sur Diên Biên Phu. J'ai passé neuf mois de ma vie au Vietnam, sans revenir, pour l'aider à faire son film, ça a été une aventure humaine exceptionnelle. C'est un ami. Mon père voit mon film avant même le producteur. Par exemple, pour Agents secrets et Scènes de crimes, il est venu au montage et je lui ai montré la copie de travail, et avant tout le monde, parce que son avis m'intéresse.



Et son avis, alors, c'était quoi?
Ah, bien... Un peu comme pour l’étape du scénario : quand j'ai fini un scénario, je lui fais lire. Avec toujours une pointe d'inquiétude, parce que son avis compte pour moi. On a de très bons rapports, ce qui fait qu'il n'a jamais un avis blessant. Il m'a dit « Oui, là, c'est intéressant, mais peut-être il faudrait retravailler ça », ou « Là je ne comprends pas... ». Après, si vous voulez, La 317e Section, je pense que c'est un chef-d'oeuvre, et je peux le dire d'autant plus que je ne l'ai pas fait. Et c'est un vrai chef-d'oeuvre. C'est-à-dire que vous mettez le DVD, et vous vous dites que c’est quand même inouï.



Pas très beau DVD, en revanche... C'est le problème de votre père, c'est qu'il n’est pas bien traité dans le paysage cinématographique français
C'est le problème de la production qui a vendu les droits à une société d'édition vidéo qui ne met pas un franc là-dedans. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise...



C'est pareil pour Diên Biên Phu.
Parce qu'ils n'ont pas voulu dépenser un franc, et qu'ils ont sorti le DVD la veille de l'anniversaire de la bataille pour faire un coup. Moi, je trouve ça sidérant. Il y a un truc dingue, c'est qu'il n'a jamais commenté aucun de ses films. Ça pourrait être intéressant. Et puis, ce n'est pas cher ! Vous prenez un studio pendant deux heures, vous lui passez le film, et vous le laissez parler. Donc, après, sa place dans le cinéma, je pense c'est des histoires de cycle. En plus, les gens oublient maintenant très vite. Melville, les gens ne savent plus du tout qui c'est. Vous allez dans le plus grand vidéoclub, qui est à côté du Luxembourg (Vidéosphère pour ne pas le citer, ndlr !), vous demandez au patron Le Cercle rouge, il ne sait pas ce que c'est. C'est son métier ! Ce n’est pas une attaque. Je dis juste qu'on a une propension à effacer qui est sidérante.



Mais ce qui est intéressant, c'est que votre génération, justement, vous, Olivier Marchal ou Nicolas Boukhrief, vous citez les mêmes films, Le Cercle rouge... Vous allez peut-être relancer ces films qui ont bercé votre cinéphilie et inspirer votre travail...
Ben oui... Mais de penser que vous ne pouvez pas avoir de DVD de L'Armée des ombres, c'est effarant. C'est un très bon film. Donc voilà, pour en revenir à mon père… Ce qu'il y a de sûr, en tout cas, c'est que ses films sont là. C'est le plus important. Et il a beaucoup influencé, je pense, la manière que j'ai d'aborder le cinéma. C'est peut-être des banalités, mais il m'a toujours dit qu'il fallait d’abord vachement travailler le scénario, que, en gros, il fallait connaître les gens dont on parlait. Donc, pour Scènes de crimes, j'ai été avec des flics, pour Agents secrets j'étais avec des agents secrets. Pour sortir des références cinématographiques et des livres, pour avoir ce qu'il y a vraiment derrière. Sinon, on ne tourne que par rapport à des films qu'on a vus ou des livres qu'on a lus, et on reste très superficiel. Je pense que c'est pour ça qu'Olivier Marchal est intéressant. C'est parce qu'il sait très bien de quoi il parle. Alors on aime plus ou moins ce qu'il fait, mais c'est authentique. Alors que si vous ne lisez que des petits romans noirs...



On retrouve justement depuis quelques années cette envie de faire un cinéma vérité qui manquait terriblement en France. Et qui est la force du cinéma américain : même s'ils déforment la réalité, ils arrivent tellement bien à la recréer qu'on a l'impression qu’elle existe.
Oui. Mais ils ont une approche beaucoup plus professionnelle que nous. On est des amateurs. Des amateurs éclairés, avec des immenses artistes, certes. L’approche qu'ont les Américains du cinéma est beaucoup plus professionnelle, beaucoup plus carrée.



Oui mais justement, Agents secrets est très réaliste, très pro.
Ah oui, mais j'ai beaucoup travaillé là-dessus. Et puis, il y a un truc qui est assez ironique, c'est que vous vous apercevez en creusant le réalité qu'elle est plus folle que ce que vous auriez pu imaginer. Donc, la réalité, pendant très longtemps, a fait peur à plein de gens parce que les gens disaient d'abord « C'est emmerdant », et ensuite « La fiction, c'est beaucoup plus fou. » Je ne crois pas. Bizarrement, quand vous vous documentez sur un sujet, vous vous apercevez qu'il s'est passé des trucs incroyables et véridiques. Par exemple, dans Scènes de crimes, l'histoire du Luminol [le produit et les éclairages spécifiques que l’on met pour détecter les traces de passage dans une pièce et relever les empreintes], c'est un truc qui existe depuis 1927 et personne ne m’en avais parlé. Je suis tombé dessus par hasard au cours d’une de mes lectures. Je dis à mes potes flics « Est-ce que c'est vrai ? Ça existe? », et ils me disent « Oui ». En plus, depuis quelques temps les tribunaux l'acceptent. Parce que, pendant très longtemps, c'était une aide pour les flics, mais on ne pouvait pas s'en servir au tribunal. Donc ça existait, alors que vous pouvez vous dire en tant que spectateur « Putain, il a dû chercher longtemps pour inventer un truc pareil ! » Bien non, en fait non.


 

 



Justement, pour rebondir sur ce que vous disiez, sur le fait que vous montrez le vrai quotidien des agents secrets, il y a une parole incroyable de Vincent Cassel dans le making of : il dit qu’à l’issue de la projection du film, on n'a pas du tout envie d'être agent secret. Est-ce que c’est une chose que vous vouliez nous montrer ?
Pas vraiment. Je n'avais pas une idée préconçue qui était de dire « Je veux que les gens sortent en n'ayant pas envie d'être agent secret. » Je me suis plutôt dit : « On va essayer de faire un truc très réaliste, et puis on verra bien ce qui s'en dégagera. »



Et ça fait un truc très terre-à-terre, finalement. On se dit « C'est pas du James Bond, ça c'est clair ! »
Oui. Enfin moi, j'adore les James Bond, mais c'est du James Bond, quoi. C'est autre chose.



C'est pour le grand public. Mais en voyant sur l'affiche de votre film Cassel et Bellucci, les gens ont dû se dire que...
Oui, ça c'est sûr que le couple donne un coup de projecteur très très glamour, alors que ce n’est pas une histoire très glamour.



Et en même temps il y a la force, justement, du couple, dont vous vous servez énormément.
Oui, et la pierre fondatrice, c’est Monica. Ça, vraiment, ça a été quelque chose de très important.



Justement, vous avez tout de suite pensé à Monica Bellucci ? Vincent Cassel est venu après sur le projet? Comment cela s'est-il passé?
Quand j'écris un scénario, comme en ce moment, je ne l’écris pas en pensant à un acteur. Par superstition. C’est encore un des conseils que m'a donnés mon père. Il m'a dit « Ne pense pas à un acteur parce qu'il y a de fortes chances que tu ne l'aies pas ; donc autant se concentrer sur l'histoire et les personnages, on verra après. » Quand j'écrivais Agents secrets, si on m'avait dit « Tu auras Monica Bellucci », j'aurais dit que on se fichait de moi, je n'y aurais pas cru. Une fois le scénario terminé, on s'est mis à chercher avec mon producteur qui pouvait jouer, et il m’a soumis le nom de Monica Bellucci. J’ai été au rendez-vous, mais je ne connaissais pas du tout l'actrice, enfin je l'avais vue dans les journaux et j'avais vu quelques films, mais bon. C’est en passant une heure à discuter avec elle dans un petit café que, tout à coup, je me suis aperçu qu'elle était extraordinaire comme personne, très carrée.



Au départ, à quoi avez-vous pensé quand votre producteur vous a suggéré Monica Bellucci?
J'ai trouvé que c'était une drôle d'idée… Au départ, parce que on ne connaît pas les gens, on se dit « Elle est trop belle », par exemple. En la rencontrant, je lui dis « C'est un personnage très naturel, il n'a pas de maquillage, les cheveux sont coupés court, est-ce que ça vous intéresse? », et là je sens que ça l'intéresse. C'est ça qui m'a séduit chez Monica, c'est une personne qui, en tant qu'actrice, pour ses personnages, est prête à prendre tous les risques. Elle est très, très forte. Et en plus elle est très travailleuse. Donc c'est un plaisir. Et c'est marrant parce que ça, je m'en suis rendu compte en dix minutes. Quand j'ai été au rendez-vous, par exemple, j’avais laissé mon scénario dans la voiture, car je n'y croyais pas tellement. Je me suis dit « Comme ça, c'est juste une rencontre ». En plus, je n'aime pas que les scénarios se baladent. Et puis finalement, j'ai été le chercher. Je l'ai donné, en lui disant « S'il vous plaît, est-ce que vous pouvez le lire? » Voilà. Et elle me rappelle trois jours après pour me dire qu'elle fait le film, et ça c'était un an avant le début du tournage. Et, pour un film assez cher, tout à coup avoir Monica Bellucci qui dit « Banco », c'est un moteur qui s'allume…



On reproche justement beaucoup ça aux États-Unis actuellement : tout tourne autour des stars.
Ça a toujours été comme ça, vous savez. À mon avis, dans les années soixante, si vous aviez Delon vous faisiez le film.



Et Cassel, alors, comment s’est-il greffé sur le projet?
Cassel, ça s’est fait dans un deuxième temps. En fait, là aussi je n'avais pas pensé à lui parce que je n'aurais pas cru qu'il accepterait. Parce que c'est un type que je ne connaissais pas, mais très intéressant. Et puis, surtout, au moment où je rencontre Monica, lui est en train de tourner Blueberry. Donc il n'est pas là, il est au Mexique. Et ce n'est que quatre mois plus tard qu'il rentre du Mexique, et là, avec mon producteur, on fait une liste des acteurs, et en haut de la liste il y a Vincent, et on se dit « On va commencer par le haut, et il sera toujours temps de descendre ». C'est très terre-à-terre ce que je vous raconte, mais c'est vrai, c’est comme cela que ça se passe. On se dit, de toute façon, « Qui ne tente rien n'a rien. » Et puis, je le rencontre, ça se passe super bien, et il fait le film. Il fait lui aussi un cadeau au film.



La fin nous plaît énormément, que ce soit vous, le metteur en scène, qui décidiez que le couple s'en va et soit entre guillemets « libre » pour le moment, et que ce soit votre propre frère qui les aide, qui les protège.
Oui, en plus il a coécrit le scénario avec toute la petite bande, et puis c'est un de mes collaborateurs les plus proches, parce qu'en plus il a été monteur pendant dix ans et que l’on s'entend très bien. On trouvait que c'était intéressant pour le personnage de Loïc qu'il disparaisse et qu'il revienne, et qu'on s'aperçoive que c'est un pote quand même. Le film défend aussi la valeur de l'amitié. Je trouve que ce n'était pas inintéressant. Par exemple, les deux personnages, à aucun moment ils ne couchent ensemble dans le film. Des agents secrets en mission qui feraient ça, ils feraient une erreur. Donc, ils sont entraînés à ne pas faire ce type d’erreur. Mais je trouvais intéressant que le personnage de Vincent essaie de l'aider, par amitié, même si c'est une amitié entre guillemets « amoureuse » et qu'on peut penser qu'après ils vont tomber amoureux l'un de l'autre. Et c'était la même chose pour le personnage de Loïc. On le voit à la fin et on voit qu'il leur donne un coup de main. Je trouvais ça intéressant. En plus, le fait qu’ils parlent en allemand, on trouvait ça rigolo.



Et est-ce qu'ils vont être repris?
J'y ai beaucoup réfléchi, en fait, je n'en sais rien. Et vous savez, je trouve que c'est déjà bien… C'est pour ça que mes deux films ont des fins ouvertes. Moi, je sais qu'en tant que spectateur, quand j'ai apprécié, ça me permet de réfléchir plus longtemps au film et de me faire ma propre fin.



Mais on se demandait pour vous.
J’y ai beaucoup réfléchi, et j'avais trois, quatre possibilités, puis en définitive je me suis dit « Mais je n'en sais rien ! » Ce n'est pas grave, finalement.



Et là, vous ne savez toujours pas?
Non !



Il y a un problème dans le DVD de Scènes de crimes que personne n'a relevé : pendant les cinquante et une premières minutes, les canaux arrière ne diffusent aucun son.
Ah, je ne savais pas du tout ! Parce que je n'ai pas d'installation 5.1, j'ai juste une télé. Je sais qu'il y a eu une série de DVD de Scènes de crimes qui étaient tous bugués.



Et comment avez-vous supervisé le DVD d’Agents secrets au niveau technique?...
Pour le son, j'ai fait écouter au mixeur du film toutes les étapes de la fabrication du DVD pour que le mixeur, qui a une oreille très précise, retrouve bien son travail. Donc on a essayé d’être au plus près de la vision en salles... C'est très compliqué. Parce qu'ils font des copies, des recopies, des machins, des trucs, ils encodent dans tous les sens. À chaque fois que j'avais un test de pressage, je le faisais passer au mixeur qui écoutait pour voir si ça correspondait. Parce que, vous voyez, un film comme celui-ci, c'est un mois et demi de mixage. Gérard Lamps est un grand mixeur, on dépense de l'argent, de l'énergie et de la passion, alors autant que ça soit restitué à l’arrivée. Sinon ce n'est pas la peine de faire ça.



Et pour l'image, c'est pareil?
C'est le chef opérateur qui a suivi ça. On a procédé de la même façon.



Vous parlez souvent dans le DVD du chef opérateur Robert Richardson, le chef opérateur de Oliver Stone...
De Nixon, oui, qui pour moi est un chef-d'oeuvre.



La photo, justement, est très travaillée dans ce sens-là, les blancs sont un peu surexposés, les noirs très profonds… Vous avez retravaillé ça avec votre chef opérateur pour le DVD?
Pour le DVD, on essaie d'avoir une image qui nous rappelle le plus ce qu'on avait en 35 mm. Mais ce n'est pas du 35mm... C’est surtout à la prise de vue que le travail se fait : avec mon chef opérateur, qui s'appelle Jean-Pierre Sauvaire, qui a fait mes deux films, on s’est beaucoup parlé à chaque fois. Et je sais que pour Agents secrets, je l'avais fait venir chez moi pour lui montrer des bouts de Nixon, qui est un film qu'il avait déjà vu, mais je lui ai montré en lui disant « Tu vois ça, j'aime bien cette scène-là, parce que tu vois le blanc, là, il est cramé, et là, toute cette partie de l’image est brûlée. » On en a beaucoup parlé ensemble.

 

 



Mais sur le DVD, par rapport à la vision en salles, on a l’impression que c'est un peu plus aplani... Est-ce parce qu'il a fallu justement adapté l'image aux exigences de la vidéo?...
Pourtant, justement, on a plutôt essayé de filer la pêche à tout ça, quand même. Alors après, peut-être que vous aviez un meilleur souvenir que la réalité...



Au sujet des scènes coupées, Nicolas Boukhrief nous disait que, si une scène est coupée, il n'y a aucun intérêt à la montrer...
Je suis complètement d'accord avec lui.



Donc c'est juste pour que l'édition DVD ait une valeur ajoutée ?
Pour faire un petit paquet « bonus ». Mais sinon, je suis d'accord, si elle est coupée, c'est parce que vous n'en avez pas besoin.



Là, au moins, l'avantage c'est que vous les proposez avec un commentaire.
Oui, parce que j'explique à chaque fois le pourquoi du truc, mais c'est vrai qu'en soi, une scène coupée, on ne devrait plus jamais la voir.



Souvent, en effet, on regarde les scènes coupées des films et on les trouve nulles, ce qui est normal et attendu puisque c'est une scène coupée ! En revanche, elles ont souvent plus d'intérêt, surtout aux États-Unis, avec les versions director's cut lorsque les réalisateurs n’ont pas eu le final cut.
Moi là, j'avais surtout un petit problème, c'est que de toute façon il ne fallait pas que mon film fasse plus d'une heure cinquante. À cause des cinq séances. [Rapport aux cinq séances quotidiennes des cinéma.] Ce que je comprends. Donc il ne fallait pas trop traîner là-dessus.



Au delà, justement, d'une heure quarante-cinq, il faut en avoir derrière...
De toute façon. Ça c'est un autre aspect de la question… En ce qui me concerne, passé l'heure cinquante, vous n'avez plus que quatre séances, et on est dans un contexte économique aujourd'hui très très raide avec un turn over terrible dans les cinémas, et les gens qui ne peuvent pas rentrer dans une salle ne reviendront pas.



Mais vous auriez aimé faire plus long?
La première version du scénario faisait deux heures et demie. J'en ai enlevé trente-six pages. Le premier montage faisait une heure cinquante-huit, avec une ou deux des scènes coupées. Une des scènes coupées qui m'a le plus ennuyé de retirer, c'est Lipovski avec ses pistolets. Celle-là je l'aime beaucoup. Et je la trouvais très intéressante parce que je trouve d'abord qu'il y a une ambiance « stoniène » dans le décor et dans la lumière, ensuite je la trouve intrigante. Et je trouvais ça marrant de montrer que le trafiquant a une vie de famille sympa, que c'est un type normal et non un horrible gars.



On ne voit pas cet aspect-là dans le film...
Non. Il a bien fallu à un moment donné faire des choix...



Dans le DVD, il y a les projets d'affiches dont certains sont très intéressants. Et j'ai l'impression que celle qui a été retenue est la plus « classique ». Comment s'est faite la sélection ?
[Il réfléchit.]C'est-à-dire qu'effectivement c'était excitant. Et puis ça a pris une tournure un peu trop barrée, et c'est Vincent, quand on lui a fait passer les projets d'affiche, qui nous a dit « Franchement, ce n'est pas génial », et tout le monde s'est dit, et moi le premier, « Il a raison ». Et donc l'affichiste et tout le monde se sont remis à bosser et ça a donné ça. Mais je ne sais pas très bien, en fait... Moi, je l'aime bien celle-là. Celle qui était juste avant n'était pas bien. Celle retenue est intéressante parce qu'elle ne ment pas. C'est pas mal aussi, ça.



Lorsqu’on lance le DVD d’Agents secrets, on tombe tout de suite sur un simple carton pour choisir la version sonore et lancer directement le film.
Ça, c’est moi qui ai demandé à ce que ce soit fait comme ça. Lorsqu’on a préparé le film, j’ai regardé avec mon chef op plus de quarante scènes de début de plein de films en DVD. Et je me suis aperçu que je ne supporte pas qu’il faille passer par les menus qui nous dévoilent des images du film que l’on s’apprête à voir.



En plus, lorsqu’on veut juste voir le film, c’est parfois long et exaspérant de naviguer dans tous les menus pour pouvoir lancer le film avec les bons sous-titres et la bonne langue.
Oui, je préfère que le spectateur qui veut aller plus loin appuie sur la touche « menu » et ait accès à ce moment-là seulement à l’interactivité.


 

 



Il y a un côté franc dans le documentaire, notamment la révélation que le saut en parachute a été effectué sans assurance... Les assurances vont se méfier de vous, le prochaine fois !
Les assureurs sont très contents, on ne leur a pas demandé un euro, et ça s'est très bien passé. Quand j'ai rencontré Vincent, je lui ai filé le scénario… Et puis on s'est revu, il l'avait lu et il me dit « Et le saut en parachute, qu'est-ce qu'on fait?... Moi j'ai envie de le faire en vrai », et je lui ai répondu que je ne pouvais pas être plus heureux d'entendre ça, que ce ne serait pas aussi bien si on le faisaitt en studio. Donc le producteur a accepté, évidemment. Après, il a fait tout son entraînement. Mais lorsqu’on a demandé aux assurances, elles nous ont dit « Non ! », ce qui fait que l'on a tourné la séquence trois mois avant le début effectif du tournage alors que le film n'était pas encore assuré. On a tourné ça en Espagne, à Emporia Brava, parce que c'était en plein hiver et que c'est l'un des seuls endroits en Europe où l'on peut faire ce genre de choses. Déjà, là, quand il saute, il fait moins vingt-cinq. Mais si on avait sauté en banlieue parisienne, il aurait fait moins cinquante, car on est à presque cinq mille mètres de haut. Il fallait aller là-bas parce qu'il faisait plus chaud. Et Vincent l'a fait. Et c'est vrai que je n'avais qu'une trouille, c'est qu'il se fasse mal. C'était très tendu.



Surtout qu'il l'a fait au début du tournage ! S'il l'avait fait à la fin...
Le problème, c'est que s'il l'avait fait à la fin du film, on portait préjudice à ses futurs films et tournages. C'est assez compliqué. Et puis moi, d'une certaine manière, je préférais sur un plan purement de travail qu'il le fasse au début du tournage, parce que ça chargeait son personnage. Il est devenu un peu ce type grâce à ça.



En tout cas, lui, ça l'a beaucoup excité ! On le voit dans les suppléments, il a dit qu'il en profitait car dans quelques années il ne pourrait plus le faire...
Absolument. Et d'ailleurs moi j'ai sauté aussi. Et c'est fascinant, je vous le conseille. Quand vous sortez de l'avion, c'est comme un suicide. C'est invraisemblable ! J’ai eu une fois un accident de voiture, heureusement je ne me suis rien abîmé et je n'ai abîmé personne, c'est juste ma voiture qui est partie en vrille, et j'ai un souvenir, c'était il y a longtemps, d'une très très très grande violence. Très choquant. Eh bien un saut en parachute, c'est la même chose. Sauf qu'à l'arrivée vous êtes vivant, et vous vous dites « Waouh ! » Mais ceci dit, ce n'est pas aussi dangereux qu'on le pense. Et maintenant ils sont de plus en plus sûrs. Même si vous perdez connaissance, il y a un truc qui, avec la pression, à cinq cents mètres du sol si vous n'avez pas ouvert, pète, et le parachute s'ouvre de toute façon.



Dans une interview, vous dites « Le film de genre, c'est déjà une main tendue vers le public. »
Grâce et à cause de la nouvelle vague, on a donné le sentiment aux gens que raconter toute sa vie pouvait faire l'objet d'un film. Le problème, c'est que les mecs de la nouvelle vague c'était des génies, et que des metteurs en scène qui sont des génies et des poètes, c'est très rare. Ce qu'il y a d'intéressant dans le film de genre, c'est que vous sortez de vous-même. Ce n'est pas vous, ce n'est pas votre nombril. Et moi qui suis un spectateur comme tout le monde, j'aime ce genre de cinéma, ça me plaît, parce que je peux réfléchir, il y a le mythe des héros qui me transporte... Quand je dis « C'est une main tendue vers le public », c’est ça. Je ne ferais jamais – enfin, on ne sait jamais ce qu'on fera – un film sur ma vie, ce serait de la merde. Ça n'a aucun intérêt, j'ai une vie comme tout le monde. Je suis marié, j'ai deux enfants, de temps à autres j'ai des problèmes pour payer mes impôts... Bon, et vous faites un film avec ça ? Ben je vais me faire chier !



C'est avec des réalisateurs comme vous ou Boukhrief, par exemple, que le cinéma français va retrouver son intérêt, rebondir, attirer le spectateur vers un genre qui n’est ni un cinéma d’auteur, ni un blockbuster américain. Avec un côté spectaculaire, qui nous fait nous évader dans un univers qui n'est pas le nôtre, tout en gardant l'approche réaliste française, voire intimiste. C'est ce que vous avez cherché à faire avec Agents secrets, et du coup ça en fait un film de cinéma.
C'est la tentative, en tout cas. Je vais très franchement dans cette direction-là. Et j'en reviens à ce que je vous disais au début : ces films-là, je les consomme. Mes deux films, j'aurais été les voir. Ce que j'en aurais pensé en en sortant, je n'en sais rien, mais j'aurais été les voir. Si vous voulez, j'essaie de faire un truc tout bêtement honnête, c'est-à-dire faire un truc que je consommerais.

Propos recueillis par Laurent Pécha et Thomas Douineau.

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