Philippe Rombi 2e partie

Christian Lauliac | 28 septembre 2004
Christian Lauliac | 28 septembre 2004

Philippe Rombi doit être heureux. La rentrée 2004 est pour lui chargée : 5x2 , Mensonges et trahisons, sans oublier une petite participation musicale pour le prochain film d'Agnès Jaoui : Comme une image… Ses musiques ne vont donc pas manquer de hanter la mémoire des spectateurs. Rencontre et discussion enlevée avec un compositeur passionné par les possibilités infinies offertes par le mariage de la musique et de l'image. En attendant d'autres belles partitions qui n'ont pas fini de couler sous la plume d'un jeune compositeur en pleine ascension…

Comment avez-vous croisé le chemin de François Ozon ?
Je l'ai rencontré par le biais de son producteur, qui est très sensible à la musique. Je lui avais fait passer une cassette de mes musiques de courts métrages. Il avait beaucoup aimé. François avait appelé des gens plus connus que moi pour la musique des Amants criminels. Une, deux, trois personnes, mais ça n'a pas collé. Et donc, le producteur a demandé à François d'écouter ma cassette. Ils m'ont appelé, je n'en croyais pas mon téléphone ! On m'a dit – je ne connaissais pas trop François Ozon à l'époque – « Tu vas voir c'est un metteur en scène très talentueux… » Quatre jours après, j'emmène ma maquette, et là j'ai transpiré comme un étudiant parce qu'ils avaient pallié au désastre en mettant des musiques temporaires en plus de la mienne, avec de la musique symphonique, et j'arrivais avec juste une maquette : donc comment faire ? J'étais dans la salle de montage, Ozon ne disait rien, et puis contre toute attente il m'a dit : « Ta musique marche mieux. » Bon. « La fin c'est exactement ce que je voulais. » J'ai ensuite fait d'autres petites choses par endroits dans le film. Quand ils courent dans la forêt, quand elle fantasme dans la barque, des petites choses...

Vous sentez-vous proche de son cinéma, ou bien était-il au début étrange pour vous ?
Au début j'ai été très dérouté par son cinéma, et je m'y suis habitué peu à peu, j'y ai trouvé des choses, une densité. Des choses qui me permettaient de faire des musiques que je ne pouvais pas faire ailleurs. Et curieusement des musiques qui me ressemblent beaucoup, alors que son cinéma ne me ressemble pas forcément. On n'a pas les mêmes idées sur plein de choses, on n'a pas le même caractère. Mais n'empêche que je suis sensible à ce qu'il dégage dans ses films : ça m'inspire. Il ne m'appelle pas pour n'importe lesquels de ses films, il sait où il va me trouver, des films moins « fantaisie ». Alors que les autres des films sont des clins d'œil, des pastiches très colorés, kitsch. Donc je sens en lui deux facettes de sa sensibilité, et je rentre dans l'une plus facilement, j'ai l'impression. Il m'appelle pour ces films là et ça me va très bien.

Votre dernière collaboration ensemble contient peu de musiques originales. Pourquoi ?
Sur 5x2, ce n'était pas prévu qu'il y ait des musiques originales, et il m'a appelé au dernier moment. Il n'avait pas prévu, il m'avait dit : « Là je fais un film avec des chansons, il n'y aura pas de musique originale. » Il jugeait que les chansons c'était un bon moyen de ne pas tomber dans le mélodrame, de tourner la page à chaque fois, de donner une couleur italienne au film puisque ça se passe en Italie, mais de faire des ellipses sans souligner un côté drôle ou dramatique. Ça lui permettait de les faire rentrer et de les faire sortir en en prenant qu'un bout où il le voulait, tandis que la musique originale, elle avait un but psychologique d'apporter quelque chose en contrepoint, plus psychologique, donc du coup il m'a demandé de faire la fin, parce qu'il ne se voyait pas du tout y mettre de chansons. Il entendait vraiment une musique originale. Et à deux autres endroits dans le film. Au début, j'avais fait plus que ça : il ne voulait plus du tout mettre de chansons. Que des petites ellipses au piano. Et quand il l'a vu comme ça, il a trouvé que ça faisait trop penser à un film de Claude Sautet. Certains à la projection pensaient : « Quelle classe… le film prend une allure à la Sautet avec ce piano solo », et Ozon ça lui a fait peur, il a préféré remettre ses chansons pour garder le côté décalé et utiliser ponctuellement la musique originale.

Quid de la scène du mariage ?
Pour la scène du mariage, c'est une scène un peu ambiguë dans tous les sens du terme, parce qu'à la fois j'avais fait une musique dont François était content, c'était une musique qui reprenait la mélodie du film, mais traitée à la manière d'une musique qu'il avait utilisée mais qui n'était pas de moi. Une musique temporaire. Il avait calé ça comme ça, pour voir, et il y s'y était habitué. Et comme mon thème se prêtait bien au même genre d'arrangement (guitares, cordes), il m'a dit : « Ça t'ennuie de te rapprocher de cette esthétique-là ? » Je lui ai dit : « Non, ça ne me gêne pas puisque dans une autre scène du film j'ai fait pareil, j'ai mis une guitare et des cordes. » Donc j'ai repris mon thème pour cette scène du mariage. Et pour la scène du mariage, le message c'était : « Écoutez, regardez : ce que vous écoutez n'a pas de raccord avec ce que vous voyez, c'est beaucoup plus dramatique que ça en a l'air. » Alors qu'ils sont dans une espèce de farandole, qu'ils vont monter les escaliers pour passer leur nuit de noces, on entend une musique plombante derrière. La musique avait donc un rôle intéressant. Donc tout le monde était content de cette musique, et puis au mixage, bizarrement, l'autre qui était de mauvaise qualité semblait fonctionner. Mais on retrouve mon morceau dans le CD.

Existe-t-il des moments où vous vous sentez davantage le « docteur » plutôt que l'un des « acteurs » du film ?
Il y a des moments où on se sent un peu le dernier recours. Pour François ce n'est pas le cas : son film n'a pas vraiment besoin d'une aide, alors que pour Swimming pool, davantage : là il fallait, avec la musique, jouer complètement la carte du thriller, alors la musique permettait d'atteindre un palier supplémentaire. Mais il y a des films où on ne sent pas que l'on est docteur mais acteur. On ajoute une dimension en plus que l'image ne donne pas, on va apporter quelque chose de plus. Mais bon, c'est sûr, il y a des films où on me dit clairement : « Bon écoute Philippe, là j'aurais voulu que… Qu'est-ce que tu peux faire ? » Ça m'arrive de temps en temps, mais c'est pas le plus courant. J'ai la chance quand même de tomber sur des films de bonne facture. Il y en a peu qui ont des faiblesses catastrophiques. Quand c'est le cas, on aura beau mettre une musique divine, c'est dur de sauver les meubles. Il y a des musiques qui anoblissent le film et d'autres qui le vulgarisent, pas dans le sens péjoratif du terme, mais qui ne vont pas avec son esthétique. Les films ont une esthétique, quelque chose qui se dégage de l'équipe, de tout le monde, et moi c'est ce que j'aime, c'est trouver le truc pour rentrer dans cette atmosphère, ce parfum, dans cet esprit : il y a un esprit dans le film, et si on n'est pas raccord, on peut vite passer à côté et gâcher le film.

Parlez-nous un peu de vos projets…
Pour Joyeux Noël, on a eu la chance de pouvoir avoir cette merveilleuse cantatrice qu'est Nathalie Dessay pour chanter. J'ai écrit un Ave Maria pour elle, on va l'enregistrer pour la version film puisque Diane Kruger joue le rôle d'une soprano. Donc il y a un travail en amont : rencontrer Nathalie Dessay, voir si ça lui plaît, faire tout un travail de maquettes d'approche pour que, au final, on tourne la scène bientôt. Pareil pour l'hymne du film. Quand j'ai lu le scénario, j'ai dit à Christian Carion, le réalisateur : « J'aimerais te composer un hymne », puisque c'est un film sur la fraternité entre soldats, qui le soir de Noël font la trève entre Français et Allemands, oublient la guerre et partagent la veillée de Noël ensemble. C'est un magnifique scénario, très émouvant. Donc il m'a dit : « Si tu en es capable, compose l'hymne. » Je lui ai dit : « Je ne sais pas si j'en suis capable mais je vais essayer. » Je lui ai fait écouter, il a été ravi et heureux. Du coup, il m'a dit que les soldats doivent le chanter en anglais. Ça a demandé du travail. Donc voilà un film où, par exemple, le travail est plus conséquent à cause de ce travail en amont. Demain, je vais en Roumanie superviser une scène. Je vais y retourner pour l'Ave Maria, je dois aussi aller à Berlin. On vient aussi de me commander une musique de ballet, donc je suis assez impatient que cela se concrétise pour que je me mette à travailler. Mais le cinéma me prend mon temps pour l'instant et j'en suis ravi. Je m'exprime dans les films à chaque fois, j'arrive à faire des choses différentes. Faire 5x2 et Mensonges et trahisons à la suite, c'est génial, parce que c'est des films tellement différents d'un point de vue musical que j'y trouve mon affaire.

Vous aimez bien enregistrer à Paris, alors que depuis quelques années on y enregistrait moins de formations orchestrales pour le cinéma. Pourquoi ?
J'ai du mal à faire ce métier sans humanité. Dès que j'ai commencé, j'ai voulu avoir une formation : des gens que je retrouve, que j'aime, qui viennent pour le plaisir de faire de la musique de films et qui ne viennent pas « cachetoner » entre deux concerts à l'opéra. J'ai donc rencontré des artistes de l'orchestre Bel'Arte, qui était une entité qui existait déjà mais on ne l'avait pas dirigée vers la musique de film. On a choisi ceux qui étaient les plus intéressés et les meilleurs pour ce genre de sport, parce que c'est quand même pas rien (le click, le synchronisme, pas de répétition, direction d'orchestre aléatoire, parfois selon les images…). C'est pas du classique. On a repéré les plus malléables et les plus motivés au fil des films, et maintenant j'ai un orchestre qui me suit depuis pas mal de films, un studio qui sonne comme j'ai envie, un ingénieur du son que j'aime, tout ça fait une famille et j'aime bien travailler comme ça.

Quel regard portez-vous sur la musique de films en 2004 ?
Aujourd'hui la musique de films est devenue plus populaire, mieux vue si j'ose dire. En partie grâce au travail de gens comme vous, j'ai envie de dire. Ce n'est pas encore gagné, mais ça dépend aussi comment on l'écrit. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de rigolos, et à un certain moment, les musiciens, qui on fait dix heures de musique par jour depuis qu'ils ont quatre ans, quand ils voient un rigolo qui arrive et ne sait pas écrire une orchestration, il y a aussi un côté « la musique de films ? Ouais, c'est ça… » Si tout le monde travaille d'une manière classique avec une vraie formation, les musiciens auront un autre regard. Je l'ai tout de suite vu. Quand j'arrive avec sous la main une partition manuscrite, les musiciens me regardent d'une autre façon que si j'arrive avec une équipe tout autour, que je n'y comprends pas grand chose, que je ne dirige pas, que je ne joue pas de piano ou que je n'en joue pas parce que je ne sais pas jouer. Ils ne sont pas fous, ils le voient. On vient du même endroit : comme eux, je viens du conservatoire. Si on veut avoir une carrière dans le cinéma, il faut un bagage énorme. Et aujourd'hui, je suis sûrement à 20% de ce que je vais apprendre si j'ai la chance de continuer à faire des films. À chaque fois on apprend. On ne peut pas avoir 20 ans et connaître tous les styles musicaux, écrire merveilleusement pour tout le monde. Ce n'est pas vrai. Les rencontres de genres musicaux, de musiciens qui viennent d'horizons différents, d'ethnies diverses. Je ne suis pas un frustré de l'écriture contemporaine, je ne fais de la musique de films à défaut d'une carrière à l'IRCAM, je n'en ai rien à faire. Si j'étais à l'IRCAM, je ferais des fois des thèmes romantiques, alors peut-être qu'ils me prendraient pour un fou, mais des fois je ferais ce que j'ai fait dans Swimming pool : de la musique atonale, et des fois pour m'éclater je ferais un thème tonal. L'important, c'est de trouver ce qui marche pour un film sans se trahir. Il y a plein de choses dans la musique de film, c'est inépuisable.

Propos recueillis par Fabien Braule et Christian Lauliac à Paris, le 6 septembre 2004.
Remerciements à Philippe Rombi, pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Quelques repères discographiques

5x2 (BMG)
Jeux d'enfants (Universal/UMG)
Swimming pool et autres films de François Ozon (Warner music)
Le Rôle de sa vie (Milan)

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