Teruo Ishii

Vincent Julé | 23 septembre 2004
Vincent Julé | 23 septembre 2004

La 12e édition de L'Étrange Festival a été l'occasion pour beaucoup de découvrir Teruo Ishii, réalisateur japonais prolifique, ayant œuvré presque toute sa vie pour un grand studio, la Toei. Avec près de 90 films entre 1957 et 2001, le cinéaste, né à Tokyo en 1924, a brassé tous les genres. Le début de sa carrière, à une cadence infernale de 4 à 10 films par an, s'attarda sur la science-fiction et les super-héros (kitschs), avant d'aborder le polar (la longue série des Gyangu avec Ken Takakura). À la fin des années soixante, il commence une série de films d'un genre particulier, le gore érotique (souvent grotesque), qui lui vaudra une renommée internationale de courte durée. L'Étrange Festival a choisi de lui rendre hommage avec les films Femmes criminelles (1968), L'Enfer des tortures (1969) et Orgies sadiques de l'ère Edo (1969), aux titres plus qu'évocateurs. Ancrées dans l'ère Edo (1603-1867), avec ses geishas et ses tatoueurs, ces histoires de femmes faibles ou de tortionnaires sont promptes à une suite de scènes d'humiliation et de torture, dont la grandiloquence en réduit la portée.
Sa présence à Paris nous a permis de revenir avec lui sur cette partie, à priori significative, de son œuvre.

À la fin de chacun de vos films projetés au Festival, une voix off vient nous rappeler leur caractère historique – la cruauté de l'ère Edo par exemple. Définiriez-vous ces films comme des œuvres historiques ?
Pas du tout. Pas pour moi. Ces rappels n'existent que pour amener le spectateur à telle ou telle époque. Donc le fait que mes films soient ancrés dans l'ère Edo n'a pas vraiment d'importance. Au mieux, je pouvais me faire l'écho d'une certaine violence passée, puisque je piochais des idées dans les cahiers des crimes de l'époque.

On peut donc aisément dire qu'il s'agissait d'une caution, et que ces films étaient destinés à un public exclusivement masculin ?
En ce qui me concerne, je ne visais aucun public spécifique. Je réalisais le film que la maison de production [la Toei] me demandait de faire. Ce n'était pas inhabituel. Après, il ne fait aucun doute que les dirigeants souhaitaient toucher un type de spectateurs. Autant dire les amateurs de sensations fortes.

Vous avez dû vous rendre compte que lors des projections, beaucoup de scènes, et souvent les plus violentes, provoquaient le rire. Comment l'expliquez-vous ?
Le phénomène du rire est très complexe. Je pense qu'ils rient, soit parce que c'est drôle ou grotesque, soit parce qu'ils ne savent pas comment réagir face aux images. D'ailleurs, les réactions sont bien différentes selon le pays, la ville. À Tokyo même, j'ai été surpris des disparités entre les quartiers. On prend conscience dans ces cas-là que les objectifs, sous-entendus financiers, des majors, et les objectifs artistiques du réalisateur diffèrent bien souvent des attentes du public.

Personnellement, quel était votre ou vos objectifs ?
Je parlerais moins d'objectifs que d'améliorations. Pour chaque film, je cherchais les éléments à améliorer. Une façon de filmer, une idée de narration. Si une scène que je voulais très sérieuse amène une salle à s'esclaffer, c'est un aveu d'échec. Dans Orgies sadiques de l'ère Edo par exemple, la scène finale montre un personnage coupant le ventre sa femme, qui était en fait sa fille, pour tuer l'enfant, fruit de cet inceste. Lors d'une projection, une femme s'est évanouie. Je me suis dit alors que j'étais allé trop loin.

Pensez-vous qu'aujourd'hui faire ce genre de films est encore possible ? Nécessaire ?
Je ne pense vraiment pas. Après ces deux films (Femmes criminelles et Orgies sadiques de l'ère Edo), il y en a eu beaucoup d'autres, qui ont fait le tour du sujet. Tous les tabous ont été explorés. Il faut passer à autre chose.

Propos recueillis par Vincent Julé.

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