Philippe Rombi 1e partie

Christian Lauliac | 28 septembre 2004
Christian Lauliac | 28 septembre 2004

Philippe Rombi doit être heureux. La rentrée 2004 est pour lui chargée : 5X2 , Mensonges et trahisons, sans oublier une petite participation musicale pour le prochain film d'Agnès Jaoui : Comme une image… Ses musiques ne vont donc pas manquer de hanter la mémoire des spectateurs. Rencontre et discussion enlevée avec un compositeur passionné par les possibilités infinies offertes par le mariage de la musique et de l'image. En attendant d'autres belles partitions qui n'ont pas fini de couler sous la plume d'un jeune compositeur en pleine ascension…

Racontez-nous votre parcours.
Mon cheminement a toujours convergé vers la musique de film, c'est très bizarre. Quand j'ai commencé la musique, j'ai toujours improvisé sur mon piano à la maison. Je jouais ce que j'entendais à la télé ou à la radio. Quand mes parents ont vu que je refaisais d'oreille plein de trucs, ils se sont dit : « Il est peut-être doué, on va le diriger. » Au départ, je voulais être pianiste quand j'étais petit. Mais qu'est-ce que je faisais quand j'avais fini mes gammes, mes préludes et mes études ? Je jouais les thèmes de Michel Legrand, les thèmes d'Ennio Morricone, les disques de mon grand frère. Je ne savais pas ce que c'était, mais je jouais tout ça pour le plaisir de mes copains de classe ou de ma famille. Je me mettais vraiment à aimer toutes ces musiques-là. Après je me suis mis à composer, parce que j'improvisais des heures et des heures. En fait, mon journal intime, c'était mon piano. Quand je rentrais de l'école, pendant au moins une heure j'improvisais tout ce que j'avais vécu dans la journée. Et un jour, mes parents m'ont dit : « Mais pourquoi tu n'enregistres pas ? C'est beau des fois ce que tu joues. » Je ne voyais pas ça comme ça. Je voyais ça comme une espèce d'exutoire, et un beau jour ils m'ont quand même acheté un petit magnétophone pour que j'enregistre. Si bien que j'avais des cassettes et des cassettes d'élucubrations, jusqu'au jour où j'ai appris comment les écrire. J'ai commencé à prendre une partition et j'ai vraiment commencé à comprendre ce que j'écrivais. Tout en découvrant la collection de 33T de mon grand frère – John Williams : Rencontres du troisième type –, j'étais fasciné par ça. Le matin, ma mère m'enlevait le casque que j'avais encore sur les oreilles, j'avais le disque qui tournait en bout de face !
Avez-vous toujours voulu écrire pour le cinéma, alors ?
Mes études de musicien classique progressaient vers Chopin, Rachmaninov, Prokofiev, Stravinsky. Puis je regroupais ça, les musiques que j'aimais dans le classique c'était Daphnis et Chloé, c'était la Symphonie alpestre de Richard Strauss, c'était des musiques très évocatrices et c'était la même chose que j'aimais en musique de films. Quand je jouais au piano, j'évoquais mes sentiments. Donc tout ça s'est regroupé, je me suis mis à écrire des pièces classiques : sonates, quatuors. Je les ai jouées en public au conservatoire. Les gens qui écoutaient ça me disaient que ça leur rappelait tel souvenir, tel voyage, tout ça faisait comme de la musique de films quelque part, sans le film. Donc au bout d'un moment je me suis dit : je veux savoir ce qu'ont fait ces compositeurs de cinéma que j'aime. Et là j'ai commencé ma recherche de biographies sur Williams, Goldsmith, Delerue, Morricone… J'ai vu que j'en avais déjà fait une partie, mais il me manquait la direction d'orchestre, l'harmonie, le contrepoint, tout ça… Et après, j'ai vraiment dirigé ma vie vers ça. Mon but c'est d'arriver à partager ma personnalité avec celle d'un réalisateur. De lui apporter quelque chose. Faire de la musique de films c'est horriblement difficile. Au début j'avais personne, je n'avais pas un oncle ou un cousin dans le milieu : je suis venu à Paris avec deux mois de loyer d'avance. J'ai fait des musiques imaginaires : j'appelais ça « Love Theme », « poursuite », « générique début »… c'était des trucs que j'avais dans la tête. J'ai suivi le cours de l'École Normale avec Antoine Duhamel. J'ai ensuite rencontré des élèves de la FEMIS, mais bizarrement je n'ai fait aucune musique pour eux !

Est-ce que composer pour le cinéma ce n'est pas lutter contre les idées reçues ?
Il n'y a rien de plus aberrant qu'un metteur en scène qui vous dit « Quoi ? Tu mets des cordes sur une scène d'amour ? C'est un pléonasme, c'est redondant. » Je dis : « Alors oui, si tu veux je vais mettre des cuivres et une guimbarde, si tu veux on va essayer. » Je ne dis pas qu'il faut mettre des violons à chaque fois qu'il y a un baiser, ça va… Mais à un moment donné on ne va pas faire exprès de mettre un truc qui ne va pas avec l'image. Je ne sais pas. Pour une histoire d'amour, on essaye qu'il y ait une belle photo, que les acteurs ne soient pas trop moches. Pour un jeune premier on ne va pas prendre un laideron, ou alors à ce moment-là on fait tout comme ça : on va prendre un mec très moche avec les dents comme ça, et pourquoi en musique on ferait toujours le contraire ? Par contre, si c'est expliqué, si c'est voulu pour exprimer autre chose et qu'on ne tombe pas dans le cliché du violon solo, alors oui.
Mais des fois j'ai à me battre. Sur le générique de fin de Sous le sable, j'ai mis un violon solo. Quand je l'ai dit à François, il a fait : « Oh là ! Un violon ? » Je lui ai dit : « Attends… je ne vais pas te faire les petits chaussons de satin blanc, c'est pas ce que j'ai dans la tête. » Mais le violon peut avoir un côté noble, profond, dramatique et pas seulement le côté flonflon. Donc, il y a un a priori chez les cinéastes français : trop de références. Comme de dire : « Attention, ta musique là, ça fait américain. » Chose qui m'horripile. Ça ne veut rien dire. D'autant que les musiques américaines viennent de la musique russe et française. Quand on écoute Hook, on peut entendre par moment du Ravel, du Debussy autant que du Prokofiev. Sous prétexte que eux ont osé se servir de cela, nous on ne pourrait pas le faire. C'est aberrant. On a une palette qui est à notre disposition, il faut oser s'en servir. Quand j'ai fait le générique de Une hirondelle a fait le printemps, je me suis dit : « Ça passe ou ça casse. » J'ai mis six cors, six flûtes, trois harpes, un orchestre complet. Je n'avais pas encore les moyens d'un Williams : les pupitres n'étaient pas autant multipliés que chez lui. Mais l'esprit était plus large, pastoral, et je ne connaissais pas Christian Carion, je me demandais comment il allait réagir. Il est venu à la maison pour écouter la maquette, et il m'a dit « C'est exactement ça. » Je me suis dit que j'avais bien fait d'essayer. Pareil pour Jeux d'enfants. Pour le thème d'amour, est-ce que je n'allais pas trop loin ? J'attendais de voir Yann Samuel à la maison, dans le canapé, pour voir si j'étais allé trop loin. Il s'est mis à pleurer dans le canapé, donc c'était bon !

À quel moment aimez-vous intervenir : en amont, ou bien lors de la postproduction comme c'est l'habitude ?
Je préfère, à choisir, être prévenu tôt. C'est mieux parce qu'on a le temps de faire un aller-retour avec le réalisateur. Il y a une interaction. Parce que lui, ça va l'inspirer ce que je vais faire. Swimming pool, ça a été le cas. François Ozon m'a donné le scénario avant de tourner, moi j'ai fait le thème sur le scénario, il y a même des morceaux, dans la BO qui existe, qui étaient carrément en maquettes les mêmes, avec la même durée et tout : Writing c'est le même, Julie and Julia c'est le même, et c'est moi qui ait eu la surprise qu'il cale après les musiques à l'image. Sans me le dire.

À suivre...

Propos recueillis par Fabien Braule et Christian Lauliac à Paris, le 6 septembre 2004.
Remerciements à Philippe Rombi, pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Quelques repères discographiques

5X2 (BMG)
Jeux d'enfants (Universal/UMG)
Swimming pool et autres films de François Ozon (Warner music)
Le Rôle de sa vie (Milan)

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