Conférence de presse Steven Spielberg et Tom Hanks

Stéphane Argentin | 5 septembre 2004
Stéphane Argentin | 5 septembre 2004

A l'occasion de la présentation de son dernier film, Le Terminal, à Deauville, Steven Spielberg s'est prêté de bonne grâce, en compagnie de son alter ego le plus fidèle à l'écran, Tom Hanks, au jeu des questions-réponses, au cours d'une des plus passionnantes conférence de presse à laquelle il nous a été permis d'assister depuis longtemps.

 

À quel point l'histoire de cet iranien bloqué à l'aéroport Charles-de-Gaulle vous a-t-elle inspirée ?
Steven Spielberg : Je ne l'ai jamais rencontré. Je crois que ce fait divers a surtout inspiré Andrew Niccols, qui a rédigé le script original. Mais je sais que cet homme vit à présent dans cet aéroport depuis dix-sept ans par choix, alors que ce n'était pas le cas au début. C'est la même chose avec le personnage de Viktor Navorski dans Le Terminal.

Vous avez choisi de transposer la nationalité du personnage, qui est iranien, et d'en faire un homme de l'Est. Cherchiez-vous là à éviter toute implication politique ?
Spielberg : L'histoire est inspirée de ce fait divers, et non basée dessus. À partir de là, les épreuves que traverse Viktor Navorski n'ont plus rien à voir avec celles que vit cet homme.

N'avez-vous eu aucune crainte, notamment au niveau du langage employé par le personnage principal, de tomber dans le stéréotype ?
Spielberg : J'espère que le jour où j'irai pour la première fois en Serbie, je tomberais sur des tas de Viktor Navorski, des personnes généreuses, optimistes, qui sont toujours à l'écoute des autres. Et je pense en fait qu'on devrait être fier d'avoir un tel personnage comme modèle et représentant de son pays.

 

Tom Hanks, pourriez-vous nous parler de votre préparation pour ce rôle, notamment au niveau de l'accent ?
Tom Hanks : Nous avons passé des mois et des mois à trouver, à inventer cet accent. À l'origine, c'est un accent bulgare, mais avec tout le brassage ethnique qu'il y avait sur le plateau, entre le directeur photo qui est polonais, d'autres techniciens qui étaient russes, serbes, le résultat final est très éclectique. Le résultat reste donc très relatif, mais si quelqu'un parmi vous peut me dire à quoi ressemble véritablement l'accent cracausien, je serais heureux de l'apprendre.

 

Concernant justement l'accent du personnage dans Le Terminal, êtes-vous attentif au problème du doublage de vos films dans les différents pays, doublages qui peuvent précisément entraîner des stéréotypes ?
Spielberg : C'est un vrai problème en effet. Nous prenons tant de temps lors de l'écriture et du tournage pour introduire de nombreuses nuances dans les dialogues et les accents. Et lorsque vous doublez un film, il y a nécessairement une partie de ce travail qui se perd en cours de route. C'est pourquoi je préfère de loin le sous-titrage au doublage. Hier soir, je regardais Charade, l'un des mes films cultes, à la télévision française, et ce n'était certainement pas la voix ni l'accent de Cary Grant et Audrey Hepburn, à tel point que je n'ai pas pu voir le film jusqu'au bout. Mais aujourd'hui, nous avons des personnes de confiance et très compétentes dans plusieurs pays, qui se chargent de doubler et sous-titrer chacun de mes films afin de trouver les mots justes. Cela prend plus de temps mais a le mérite d'être le plus fidèle possible à la version originale.

 

Sur Il faut sauver le soldat Ryan, c'est vous, Tom Hanks, qui aviez eu l'idée de cette main qui tremble. Quelle a été votre contribution au personnage sur Le Terminal?
Hanks : Tout ce que j'ai amené à mon personnage vient du fait que mon beau-père, qui est bulgare, porte ses pantalons comme ça. [À ce moment, Tom se lève et remonte son pantalon jusque sous ses aisselles.] Voilà ce qui caractérise Victor Navorski, le fait qu'il porte ses pantalons très haut. Le reste vient tout seul, une fois que vous portez votre pantalon de la sorte.

 

Le scénario a été écrit avant les attentats du 11 Septembre. La portée du film diffère-t-elle aujourd'hui ?
Spielberg : Je pense que ce film est une étude sur la tolérance. Et tous les aéroports internationaux présentent un melting pot ethnique, culturel et religieux qui vous fait converser avec des gens auxquels vous n'auriez jamais adressé la parole en d'autres circonstances.

 

Justement, le tournage à l'aéroport JFK a-t-il été plus difficile avec les mesures de sécurité mises en place suite aux attentats du 11 Septembre ?
Hanks : C'est la magie du cinéma. Pas un seul plan n'a été tourné à l'aéroport JFK. C'est en réalité un gigantesque décor qui a été construit dans un hangar à Palmdale, en Californie. Nous avons également fait quelques extérieurs à Montréal, et de New York vous ne verrez qu'une chose, c'est Times Square. Mais New York est dans nos cœoeurs.

 

Avez-vous vu le film Tombés du ciel qui retrace la véritable histoire de cet iranien bloqué à l'aéroport Charles-de-Gaulle ?
Spielberg : Non, je ne l'ai pas vu, mais en revanche j'ai vu de nombreux films de Jacques Tati et de Chico Marx, qui ont été mes deux principales sources d'inspiration.
Hanks : D'ailleurs, si vous regardez bien dans leurs films, ils portent également leurs pantalons très haut.
Spielberg : Ce qui était formidable avec Tati, c'était sa faculté à observer tous les objets d'une scène, et à créer des situations dans lesquelles il pouvait soulever, ouvrir, fermer… tous ces objets. De ce point de vue, Tati était probablement le plus grand acteur du muet au temps du parlant. Et je lui dois beaucoup.

 

M. Spielberg, jusqu'à quel point François Truffaut, qui avait joué dans Rencontres du troisième type, a-t-il été une autre source d'inspiration au cours de votre carrière ?
Spielberg : Pendant le tournage de Rencontres du troisième type, François était lui-même en plein montage de L'Argent de poche, sur lequel il n'avait eu que des enfants comme acteurs. Il m'a alors dit, en me voyant diriger certaines scènes avec eux : « Tu sais, tu devrais faire un film uniquement avec des enfants, sans aucun adulte. » Et quelques années plus tard, lorsque je tournais Les Aventuriers de l'arche perdue et que je travaillais sur le script d'E.T., je me suis souvenu de cette conversation avec François, et je pense que si je ne montre les adultes qu'à la fin du film, c'est finalement à lui que je le dois.

 

M. Spielberg, le festival de Deauville a 30 ans. Est-ce que votre façon de faire des films a évolué au cours de cette période ?
Spielberg : Je ne suis pas sûr que ma façon de faire des films ait changé, mais j'ai changé sur le plan individuel et c'est pourquoi mes films sont aussi différents. Entre le début de ma carrière de cinéaste et maintenant, j'ai eu sept enfants, et je pense que mes films reflètent ce changement personnel. De plus, de nombreuses techniques, de nombreuses façons de filmer ont vu le jour depuis cette époque, ici en France, ou bien encore en Italie, ou au Japon avec Kurosawa, et je n'aurais pas forcément eu le courage d'employer ces techniques dans ma jeunesse alors que je l'ai aujourd'hui.

 

Vous étiez tous deux présents le 6 juin dernier en Normandie à l'occasion du 60e anniversaire du débarquement. Qu'avez-vous pensé de cette commémoration ?
Hanks : Pour Steven comme pour moi, en raison des nombreux projets auxquels nous avons pris part et de notre intérêt pour l'histoire, nous considérons cette terre comme sacrée. C'est donc quelque chose de très fort pour nous deux à chacune de nos venues ici.

 

Quelle a été votre réaction en apprenant hier l'état de santé de Clinton ?
Spielberg : Tout d'abord, comme beaucoup d'autres hier, j'étais atterré par la tragédie de cette école scolaire en Russie. Et au même moment, j'apprenais pour le pontage cardiaque qu'allait subir l'ancien président Bill Clinton aux États-Unis, et j'ai immédiatement appelé pour lui manifester tout mon soutien, ainsi qu'à son épouse, Hillary. Je tiens à préciser que près de 500 000 personnes subissent ce genre d'intervention tous les ans aux États-Unis, et qu'il prouve ainsi une fois de plus qu'il est un homme du peuple.

 

De nombreux artistes sont contre la réélection de Georges W. Bush et la guerre en Irak. Qu'en pensez-vous et quelle est votre position à ce sujet ?
Hanks : Je parlerai en notre nom à tous les deux. Même si nous ne pouvons rien y changer, notre souhait le plus cher serait que cette guerre se termine dans les trois prochaines minutes et que tout le monde revienne sain et sauf. Et comme Steven vient d'appeler aujourd'hui même Bill Clinton pour lui souhaiter bon courage pour son intervention médicale, vous serez sûrement à même d'en tirer vos propres conclusions. Nous espérons que dans quatre ans à dater d'aujourd'hui M. Clinton n'aura pas besoin d'un nouveau pontage cardiaque, si vous voyez où je veux en venir….

 

Il y a beaucoup de documentaires présentés au cours de ce festival, qui sont meilleurs que certains films. Que pensez-vous de cette vague lancée par Michael Moore, et auriez-vous l'un comme l'autre envie de réaliser un documentaire ?
Hanks : Le public américain est de plus en plus à la recherche de ces documentaires à haute valeur ajoutée informative. Si vous regardez uniquement l'an passé avec The Fog of war, Capturing the Friedman, Fahrenheit 9/11, Spellbound…, il y a non seulement une émergence de réalisateurs de documentaires mais aussi de spectateurs pour ce genre de films. Pour ma part, je suis impliqué dans de nombreux projets de ce genre, et Steven est à l'origine d'un documentaire sur la Shoah, et j'ai donc bon espoir pour que ce type de cinéma poursuive son expansion.


Spielberg : Même s'ils ne sont pas à proprement parlé des documentaires, à mes yeux plusieurs parties de La Liste de Schindler et les 28 premières minutes d'Il faut sauver le soldat Ryan ont été faites dans un style purement cinéma-réalité. La fondation Shoah produit d'ailleurs quatre à six documentaires par an, et je pense que les documentaires ne sont pas seulement importants à court terme, mais aussi pour l'enseignement scolaire partout dans le monde où ils peuvent être amenés à faire parti du programme pédagogique. Je pense aussi que les meilleurs documentaires sont ceux où le documentariste n'est pas impliqué. C'est pour cette raison que je n'ai pas aimé certaines parties de Fahrenheit 9/11, où le documentariste s'est lui-même mis en scène. Selon moi, le documentariste devrait toujours rester dans l'ombre de son film et ne pas se montrer devant la caméra.

 

En considérant vos carrières à tous les deux, et en faisant fi de toute considération financière, quel film aimeriez-vous faire ?
Hanks : N'importe quel film avec lui [en désignant Steven Spielberg].
Steven Spielberg : Et pour ma part, n'importe quel film avec lui [en désignant Tom Hanks]. Je vais le redire à nouveau : peut-être pas ici, mais comme je l'ai déjà dit ailleurs, j'adorerais faire une comédie musicale un jour ou l'autre.
Hanks : Une comédie musicale sur le parti républicain.

 

Et vous Tom Hanks ?
Hanks : Je ne sais jamais quoi répondre à cette question.

Napoléon ?
Hanks : Je suis trop grand pour ça ! À moins que Steven engage des gens très très grands, et alors je pourrais interpréter le rôle.

 

Pensez-vous que des cinéastes tels que vous, Steven, ou bien Georges Lucas et Francis Ford Coppola qui seront également là au cours du festival, avez fait changer les choses à Hollywood ?
Spielberg : Non ! [avec un sourire narquois]

 

Et que pouvez-vous nous dire de vos différents projets : le massacre aux JO de Munich en 1972, votre remake de La Guerre des mondes et enfin Indiana Jones 4 ?
Spielberg : Pour le premier, je ne peux encore rien vous dire à l'heure actuelle. Pour le second, nous débutons le tournage avec Tom Cruise en novembre prochain.
Hanks : [jaloux] Tom Cruise !!! [en insistant lourdement sur le nom puis en jetant son micro sur la table].
Spielberg : Quant à Indy 4, ce n'est pas qu'Harrison ou moi-même devenions trop vieux, mais nous travaillons encore sur le script, et j'espère que ça se fera à un moment donné l'an prochain [avec un petit air de ne pas trop y croire].

 

Il parait que vous aviez validé le script mais que George Lucas l'a refusé ?
Spielberg : George Lucas va venir ici pendant le festival ?

Oui !
Spielberg : Alors je ne répondrai pas à cette question, sinon je vais m'attirer de gros ennuis.

 

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