Annabelle, Conjuring, crucifix et eau bénite : quand le cinéma d'horreur passe en mode catho-porn

Jacques-Henry Poucave | 17 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 17 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C’est une des images les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Devant une petite bicoque, à la nuit tombée, la figure hésitante d’un prêtre s’avance, découpée dans la lumière d’un lampadaire. La scène est si évidemment emblématique qu’elle deviendra l’affiche de L’Exorciste, dont la seule vision semble contenir le sens et la puissance de fascination du chef d’œuvre de William Friedkin.

On était alors en 1973, et la descente aux enfers de la jeune fille interprétée par Linda Blair s’apprêter à terrifier une première génération de spectateurs, saisis par l’acuité formidable d’un metteur en scène du Nouvel Hollywood, conscient des questionnements et tabous qui rongeaient ses contemporains.

 

L'exorcisteL'affiche de L'Exorciste 

 

Cette figure du prêtre brandissant un crucifix s’est imprégnée dans l’inconscient collectif. Pour un peu, on a même le sentiment qu’elle n’a jamais été aussi présente dans le cinéma de genre, qui n’a de cesse d’y revenir. En effet, la production horrifique grand public américaine est en plein catho-porn.

Et ce n’est pas forcément une super nouvelle.

 

Photo Stéphanie SigmanSérieux, comment peut-on mettre autant de catholicisme frelaté dans une seule image ?

 

ÇA SENT LE RECHAUFFE

Parmi les grands succès de ces dernières années, l’univers étendu issu de Conjuring de James Wan est un de ceux où les gadgets chrétiens et autres bibelots sont le plus abondants. En témoigne son futur spin-off carrément intitulé La Nonne, ou encore Annabelle : La Création du Mal, dans lequel chaque attaque de la vilaine poupée est l’occasion d’une contre-attaque à base de psaumes et autres tripotages de bibles convulsifs.

On pourrait voir là-dedans une volonté de retranscrire la bigoterie affichée des époux Warren, « source » des films, qui se basent plus ou moins sur les dossiers paranormaux constitués par le couple.

 

Conjuring 2 : Le cas EnfieldQui l'eut cru(cifié)?

 

Ce serait oublier le retour en force depuis une dizaine d’années d’œuvres usant approximativement de la symbolique judéo-chrétienne, voire du concept d’exorcisme. Délivre-nous du Mal, L’Exorcisme d’Emily Rose, Le Dernier Exorcisme, Le Rite, Les Dossiers Secrets du Vatican, The Baby, Devil Inside, Le Dernier Rite et bien d’autres encore se bousculent au portillon.

Même les productions qui ne traitent à priori pas du tout de problématiques spirituelles ont besoin de leur curé de service. En témoigne Ouija 2, produit plutôt efficace au demeurant, qui non content de nous balancer du gros scientifique nazi qui tâche, agite un cureton parfaitement inutile dans toutes les étapes de son récit.

Devenu une habitude, un réflexe, le recours à l’iconographie religieuse est désormais un élément si rebattu qu’il est totalement dénué d’intérêt et nous distancie des émotions fortes que nous sommes censés ressentir.

 

critique"On ouvre grand la bouche pour l'ostie !" 

 

ÇA NE FAIT PEUR A PERSONNE

On les connaît les prêtres de cinéma, avec leurs ganaches d’enfants de cœur libidineux. Toujours le cœur sur la main, un sourire un peu figé au coin de la bouche, et prêts à déblatérer du mauvais latin. Comme évoqué plus haut, à partir du moment où un ressort scénaristique est usé à outrance, il provoque deux sentiments, contre-productifs dans le cas du fantastique.

Tout d’abord, une impression de familiarité. Cette émotion, si elle est pertinente dans un univers positif, dans une comédie ou n’importe quel feel good movie, elle peut se retourner totalement contre un film fantastique. Car la première chose à faire pour tout métrage désireux de faire frissonner son public, c’est justement d’instiller des dissonances dans un monde identifié, pas d’en proposer un dont nous reconnaissions tous les ingrédients.

 

Photo Lulu WilsonSauras-tu retrouver la croix subtilement dissimulée dans cette image

 

Et comme toujours, dès que nous devenons trop conscients des mécaniques qui se déploient, s’installe une distance entre le spectateur et le récit. Hors, pour générer la peur, il est justement indispensable d’abolir au maximum cette distance, synonyme de sécurité. Bref, les abbés qui psalmodient des exorcismes, ça ne fait guère plus peur qu’aux profs de latin.

 

Photo Anthony LaPaglia Bis

 

C’EST UNE GROSSE FACILITE SCENARISTIQUE

Soyons honnêtes. Personne n’a lu la bible, une bonne partie du public ne connaît pas son catéchisme, et les croyants ne sont manifestement pas le cœur de cible des films fantastiques de catho-porn. Par conséquent, si nos amis scénaristes et producteurs sont si désireux de nous coller partout des bibles et des exorcistes, c’est pour se trouver des portes dérobées bien commodes.

Comment se débarrasser de tel démon embarrassant ? Bah on n’a qu’à dire que lui réciter une encyclique le transforme en purée de lisier de porc tiens ! On lui fait quoi comme look au méchant satanique ? Bah tout le monde se méfie de l'Eglise, tu prends une nonne et tu lui refiles le make-up de Marylin Manson ! Besoin d’un rebondissement favorable ? vite, lisons Les Révélations de Saint-Jean à l’envers !

 

Devil Inside : Inspirey dune histouare vrey

 

Pire, dans une série de productions peu inventives, ou lorsqu’un metteur en scène ne sait comment retranscrire l’angoisse, un sentiment de menace diffus par l’image, il suffit donc de planquer des croix partout… Un procédé si grossier qu’il en devient parfois risible, comme dans Annabelle, où le décor principal a des airs de fantasme presbytérien.

 

 

VADE RETRO SATANAS

Et pourtant, convoquer le religieux sur le terrain de l’horreur est potentiellement passionnant. Il ne s’agit pas ici de faire preuve d’une quelconque forme d’anticléricalisme, ou de récuser l’usage d’une imagerie religieuse par principe, mais bien de voir en quoi son utilisation automatiqe ou désincarnée est contre-productive.

Plaquée bêtement sur un schéma horrifique elle a en outre pour effet d’appliquer à l’histoire une lecture bien/mal binaire à l’extrême et finalement assez politique, quand le cinéma de genre s’est toujours fait une mission de nous emmener dans des territoires plus troubles, inquiétants, ou justement les valeurs et convictions menacent de s’écrouler.

 

photos

 

C’est précisément ce que faisait le génial Exorciste, qui confrontait la bourgeoisie arty occidentale (une mère célibataire actrice aux mœurs plutôt décomplexées) avec une institution aux airs d’autorité morale (deux prêtres à l’ancienne), pour mieux les faire s’entrechoquer et comprendre que rien ne les a préparés à la folie du monde qu’ils ont engendrés. De même quand la saga [Rec] balance du Padre Exorciste à tout va, c’est autant pour moquer l’Eglise que jouer avec son image, certainement pas pour en user selon un automatisme artificiel.

 

Ricardo El priesto RigoloLe seul dossier du Vatican... C'est Michael Pena !

 

On se souvient également de La Malédiction, merveille d'horreur (en apparence) classique, ou sous couvert de recycler le mythe de l'antéchrist, Richard Donner réalisait un grand film d'horreur gothique et funèbre, tout en dressant un portrait mordant des élites américaines et de leur fonctionnement.

À en juger par le succès d’Annabelle : La Création du Mal et les succès rencontrés par plusieurs festivals catho-porn ces dernières années, il y a fort à parier qu’Hollywood va encore nous livrer des cargaisons de références religieuses artificielles et de curetons valeureux.

 

PhotoLa Malédiction, Richard Donner, 1976

 

Tout savoir sur Annabelle 2 : La Création du Mal

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commentaires
Sharko
18/08/2017 à 21:42

Dommage de ne pas avoir parlé de l'involontairement drôle Unborn de David S. Goyer. Avec un Gary Oldman en roue libre comme jamais et une affiche putassier qui montrait les fesses de Odette Yustman.
Il avait le mérite d'avoir comme sujet l'exorcisme dans le judaïsme.

Pour plus d'info, L'obs a publié un article d'un exorciste qui faisait une comparaison entre les films et la réalité. Il revient également sur la possession de Marion Cotillard: http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1235919-je-suis-pretre-exorciste-ne-croyez-pas-ce-que-vous-racontent-les-films.html

this is my movies
18/08/2017 à 21:10

@Coltrane

ah ben voilà, là c'est argumenté et en plus, respectueux de la personne.

Je plussoie !!!!

Coltrane
18/08/2017 à 18:50

Dirty Harry est dans l'invective permanente et exprime avec une suffisance passablement déplaisante des opinions réactionnaires, souvent bourrées de misogynie et de racisme. oujours intolérantes.
Qu'on n'aille pas s'étonner qu'il soit reçu fraîchement, surtout quand, comme toujours il s'appuie sur des faits inexacts, déformés, ou tout simplement faux.

Résumons : "le christianisme est la base/matrice de notre civilisation". Bah c'est faux. Point barre. L'histoire n'a pas commencé avec les catholiques en France, et ne s'est pas interrompue avec eux.Sans même être exhaustif on trouve des influences extrêmement diverses : Hébraïques, Celtes, Grecques, Arabes (qui c'est y qui nous a fait le systeme métrique et a ramené les textes latins et grecques classiques et commentés, après l'arrivée des "barbares" ???) les protestants, les athées... etc etc.... Bien sûr le catholicisme y a une part importante. prétendre que c'en est l'alpha et l'oméga... C'est simplement révéler qu'on est catholique, c'est tout.
Et un catholique ignare, dans le cas qui nous intéresse.

La bible, livre le plus lu ? Donnée invérifiable, inchiffrable, donc intégralement fausse.

La France seul pays à avoir séparé église et état ? Intégralement faux.

On peut continuer hein, mais au bout d'un moment quand on traite les gens de haut en déblatérant des conneries, on mange une manchette dans les dents.

this is my movies
18/08/2017 à 17:56

Matrice et base sont presque des synonymes (matrice = élément qui fournit un appui ou une structure), je m'étonne de votre contre-argument. Ce n'est plus le cas pour la France mais ça reste un fondement assez essentiel du pays (en tout cas, à partir des rois mérovingiens et surtout carolingiens, avant, c'était une autre histoire). un fondement parmi d'autres on est bien d'accord.

et j'ai beau relire les réponses, ça ne va pas plus loin que l'attaque à la personne. On pourrait répondre, par exemple, qu'en Europe, il n'y que la Grèce, l'Angleterre, la Norvège, l'Islande et le Danemark qui ont une religion d'Etat donc oui, ce qu'il dit est faux. mais inutile de céder à une vindicte méprisante (et je sais que ce brave Dirty Harry l'est parfois mais on ne répond pas à l'agressivité par plus d'agressivité).

True Detective
18/08/2017 à 17:05

A quand l'islamo-porn ?

Cervo
18/08/2017 à 16:02

Personne n'a remis en cause que la France,longtemps surnommée "fille aînée de l'Eglise" ait une forte relation au christianisme, voire une relation matricielle.

Un commentateur a signalé qu'elle ne pouvait être désignée comme base civilisationnelle, parce que très insuffisante et parcellaire, et un second a démontré en quoi les propos de Dirty Harry relevaient de la pure absurdité, point par point.
Comme d'habitudeuuuuuuuuuu.

this is my movies
18/08/2017 à 15:35

Bon, alors, loin de moi l'idée de légitimer l'intégralité du commentaire de Dirty Harry mais je m'étonne tout de même que le principal argument pour réfuter les siens soit de dire tout simplement qu'il dit n'importe quoi... sans étayer le tout par des faits (ce qu'il fait, lui, par contre).

Dire que la France a une forte tradition religieuse,et a fortiori chrétienne, ne relève pas de l'inexactitude religieuse puisque, quand même, les rois ont été couronnés à Reims et même dans des cathédrâles, le royaume Franc a envoyé de nombreux chevaliers faire les Croisades (dont Louis IX aka Saint Louis), il y a eu les différentes guerres de religion (extermination des cathares, guerre contre les protestants), une bonne partie de la vie quotidienne était régie par l'Eglise, la Révolution Française a aussi été menée contre le clergé (et la Dîme, impôt en faveur de l'Eglise), un pape est venu se réfugié en France quand ça chauffait pour lui à Rome, il y a une foutue église dans presque chaque patelin de France (avec un monument aux Morts de la guerre 14-18 à côté généralement), la moitié de nos jours fériés (dont le dernier en date, le 15 août) sont des fêtes religieuses enfin, bref, ce sont des faits qui prouvent que nous avons une forte tradition chrétienne.

Alors oui, la République est laïque (et heureusement d'ailleurs et je suis pour à fond) mais ça reste assez récent.

Quant au dossier du site, il est bien troussé et donne de bons arguments contre un genre qui se ringardise tout seul à force d'user et d'abuser de grosses ficelles, qui plus est en y accolant un fond de prosélytisme (ce qui est asse puant, il faut bien l'avouer).

Y Boy
18/08/2017 à 11:11

Le catho-porn succède à la mode du found footage. Lui a au moins le mérite de tenter quelque chose de cinématographique, même si ça tombe très souvent à l'eau.

Et merci Coltrane de rectifier les arguments fallacieux de Dirty Harry, qui effectivement ne trompe personne. La culture c'est comme le beurre...

Coltrane
17/08/2017 à 23:22

Incroyable la capacité de ce bon vieux Dirty à exhiber deux trois lambeaux de Culture pour dissimuler ses phénoménales lacunes.
Alors...
D'abord la bible "livre le' plus lu au monde", c'est comme la légende de la muraille de Chine visible de l'espace. Une énorme connerie. Parce que imprimé ne signifie pas lu, parce que le nombre de vhretiens sur terre va contre cette affirmation, et enfin parce qu'elle est invérifiable.
Il suffit d'ailleurs de lire le texte, puis les commentaires de Dirry pour constater combien nombre de soit disants ceoyants ou instruits font mine de l'avoir lu, en ignorant manifestement son contenu et son Message. Et on ne parle même pas de la majorité des catholiques qui assume de ne jamais y avoir touché et s'est contenté d'une paire de coloriages au catéchisme.

Et puis alors affirmer que la France est la seule à avoir séparé eglise et état en Europe, je ne sais pas trop si ça relève de la pure bêtise, de l'omission volontaire (du mensonge donc) ou encore une fois d'une méconnaissance crasse.

Simon Riaux
17/08/2017 à 23:10

Même remarque que précédemment. Pas une ligne de cet article ne traite du dogme, de la foi, ou du clergé catholique.
Il n'est question que de leur représentation, dans une catégorie, identifiée, de productions, qui confine à la bigoterie la plus ridicule.

Ce papier n'a aucune intention ou portée religieuse.

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