Memories of Murder : pourquoi le polar de Bong Joon-ho est bien un chef-d'oeuvre

Simon Riaux | 5 juillet 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 5 juillet 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Bong Joon-ho a fait son entrée dans la cour des grands en 2004, à la faveur de Memories of Murder, polar magistral et son meilleur film à date, qui ressort aujourd’hui dans les salles en version restaurée.

 

LA MORT LUI VA SI BIEN

Il nous aura offert avec The Host, Le Transperceneige et tout récemment Okja un parcours parmi les plus imprévisibles et néanmoins cohérents de son époque. Pourtant, Memories of Murder, dernier film à connaître les honneurs du célèbre Festival de Cognac, demeure aujourd’hui encore sa grande œuvre. Pourquoi cette enquête sinueuse au cœur de la Corée de la fin des années 80 s’est-elle imposée comme un classique instantané ?

 

Photo"Moi je la sens bien cette enquête !"

 

En 1986, la province de Gyunggi est plongée dans la terreur lorsque se succèdent les meurtres et viols de jeunes filles. Trois enquêteurs vont tenter de résoudre ce qui restera comme une tragédie autant qu’un spectaculaire ratage. Ce récit complexe se double de l’intention manifeste de son auteur d’hybrider les genres, passant de la chronique sociale désenchantée au film noir, sans oublier la comédie burlesque teintée d’amertume.

 

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POLICE ACADEMY

Pour tenir la cohérence de cette mosaïque ténébreuse, Bong Joon-ho fignole une mise en scène faussement minimaliste, dont la photo tour à tour somptueuse et funeste impressionne la rétine. Grâce à un découpage mesuré, mais jamais passif ou contemplatif, il bénéficie d’une conséquente marge de manœuvre dès lors qu’il souhaite faire monter son récit en pression, ou l’interrompre par la grâce d’une rupture de ton (les sursauts de violence policière, tantôt hilarants, tantôt terrifiants).

 

PhotoLe berceau de l'horreur

 

Pleinement maître de ses effets, le cinéaste parvient ainsi à se jouer régulièrement du spectateur, en dépit d’une intrigue qui jusque dans son ultime demi-heure, conservera l’apparence du classicisme. Grâce à sa funambule beauté, Memories of Murder sidère quand il nous fait vivre l’enlèvement d’une cycliste, comme si nous découvrions la puissance arbitraire du mal pour la toute première fois, tandis que c’est le cœur au bord des lèvres que nous découvrons comment un interrogatoire passe progressivement de la farce à la torture psychologique.

 

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TROUVER LA FEMME

Ce qui achève de faire du métrage non pas un grand film, mais un jalon important du genre policier et de la cinématographie dont il est issu, c’est sa capacité à ausculter (ainsi que son auteur le fera toujours par la suite) les liens distendus de la famille coréenne contemporaine, mais aussi le fossé d’incompréhension qui oppose hommes et femmes.

 

PhotoLa plus grande séquence du film, un sommet de tension

 

Ainsi, qu’il s’agisse de sa conclusion tétanisante ou du malaise qui progressivement s’installe alors que nos trois nigauds sont incapables de résoudre cette enquête dont seules les femmes sont les victimes, Bong Joon-ho se penche non pas sur un cauchemar commun, il ne radiographie pas la banalité du mal (pour reprendre la formule d’Hannah Arendt), il établit quelque chose de bien plus désespérant. Memories of Murder, c’est le constat glacé de la banalité du bien, de l’incapacité ontologique de forces positives médiocres, à se dépasser pour affronter leurs adversaires. Et la mine défaite de notre héros dans l’ultime séquence du film devient par extension celle du spectateur, laissé au bord d’un précipice qu’on le suppose incapable d’embrasser. 

 

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commentaires
Stridy
06/07/2017 à 07:03

Ultime, à des années lumières du très décevant Okja.

Kean
05/07/2017 à 17:58

Chef d'oeuvre deja intemporel.