C'est beau, c'est grand, c'est gore : les cannibales en cinq films incontournables

Geoffrey Crété | 14 mars 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 14 mars 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La sortie de Grave est l'occasion de revenir sur les films de chairs fraîches.

C'est l'événement du cinéma français, particulièrement au rayon viande et film frais : Grave de Julia Ducournau, centrée sur l'odyssée sauvage et insoupçonnable d'une fille pas très ordinaire. Un premier film qui ne laisse pas insensible, par son sujet mais également par sa force et sa réussite.

Alors que Grave arrive enfin en salles, après une naissance sous les étoiles de la Semaine de la critique au Festival de Cannes l'année dernière, la rédaction a choisi cinq films sur le cannibalisme. Une sélection parmi de très nombreux titres mémorables, chacun ayant ses préférences et traumatismes, mais une sélection qui permet de rappeler qu'il serait bien dommage de réduire la chose à de la chair fraîche et sans cervelle.

 

Photo Garance Marillier

 

CANNIBAL HOLOCAUST

À tout saigneur tout honneur, sans l’œuvre matricielle de Ruggero Deodato, nous n’écririons sans doute pas sur les cannibales au cinéma. Tout simplement parce que son Cannibal Holocaust a généré à lui seul plusieurs mutations notables au sein du Septième Art.
Si le procédé ne sera véritablement démocratisé qu’avec le Projet Blair Witch, on tient ici le premier et peut-être le plus malin des fameux found footage du cinéma. De même, au-delà de son extrême violence, de ses massacres d’animaux problématiques (ah la tortue…), le métrage joue avec intelligence et radicalité avec le point de vue du spectateur, le forçant à interroger ses représentations et ses élans empathiques.

Car au-delà du pur film de genre dont les séquences extrêmes ont fait la sulfureuse réputation (parfois largement outrancière), Cannibal Holocaust est un réquisitoire implacable contre la philosophie impérialiste d’un occident prêt à disposer de cultures perçues comme inférieures pour son divertissement. Éprouvant, malin, novateur, Cannibal Holocaust demeure aujourd’hui encore une œuvre à la puissance redoutable.

 

Photo

 

VORACE

Loin des déferlements gores et bien bis des productions italiennes des années 70-80, le cinéma américain indépendant nous a donné l'un des chefs-d'oeuvre du genre en 1999 : Vorace, sous la houlette de la réalisatrice Antonia Bird. Inspiré de l'histoire vraie d'Alfred Packer et de l'expédition Donner (des pionniers qui tentaient en 1846 de gagner la Californie et se retrouvèrent en coincés dans la Sierra Nevada en plein hiver, n'ayant pas d'autre choix que de se manger les uns les autres), le film nous présente un vrai drame humain où l'individu est poussé dans ses derniers retranchements.

Tiraillé entre sa morale et ses bas instincts, le personne incarné par Guy Pearce doit y faire face à toute son animalité, incarné symboliquement par un Robert Carlyle halluciné (et accessoirement mari d'Antonia Bird). En résulte l'un des plus sérieux films sur le cannibalisme, porté par la magnifique et obsédante partition de Damon Albarn et Michael Nyman, d'une beauté plastique époustouflante, traitant le genre avec sensibilité et intelligence sans jamais tomber dans la complaisance. Pour la première fois, la figure du cannibale ne nous est pas présentée comme une entité sauvage et étrangère mais bel et bien intérieure, comme pour nous dire que le sauvage se trouve avant tout en nous et qu'il peut ressurgir dans les situations les plus extrêmes. Un film magistral un peu trop tombé dans l'oubli aujourd'hui. 

 

 

HANNIBAL

La suite du Silence des agneaux mérite bien mieux que sa terne réputation : méprisé ou oublié, le film de Ridley Scott est pourtant un diamant noir d'une beauté renversante, d'une puissance formelle et thématique envoûtante. Libéré des contraintes de sa cellule, disparu dans la foule à la fin du film oscarisé de Jonathan Demme, Hannibal Lecter s'est niché dans la magnifique et noble Florence, à la hauteur de ses exigences, où il mène une existence raffinée. Il faudra un pauvre policier et les ambitions illusoires d'un agent du FBI pour venir réveiller la bête, qui déploiera son talent pour punir ces malheureux. 

Difficile de ne pas avoir gravée dans sa mémoire la grande scène du dîner, où Hannibal le cannibale récompense l'arrogance de Paul Krendler en lui offrant sa propre cervelle, délicatement cuite. L'homme approuve la saveur de ses neurones en bavant comme un clown scalpé, dévoilant pour la première fois du film sa vilaine nature profonde. Derrière l'horreur de cette vision, il y a la maîtrise folle et la dynamique fabuleuse, qui alterne l'horreur graphique, le grotesque, la sensualité, la terreur et l'excitation. Sans compter cette capacité fascinante à remettre ce cerveau exposé à la lumière au second plan dès que la caméra s'attarde sur le face-à-face grandiose entre Anthony Hopkins et Julianne Moore. Hannibal affronte le vrai démon Lecter et le regarde à la lumière des bougies, et c'est magnifiquement tragique. Rarement le cannibalisme aussi t-il été si goûtu et bien assaisonné.

 

Photo Anthony Hopkins

 

GREEN INFERNO

Eli Roth est un gros taré, tout le monde le sait : il n'y a qu'à voir Cabin Fever ou encore Hostel pour s'en convaincre. Mais Eli Roth est avant tout un cinéphile passionné par le cinéma de genre et il était plus qu'évident que son goût prononcé pour l'extrême et son côté sale gosse ne l'entraineraient un beau jour sur les rivages du film de cannibales. Et c'est exactement ce qui s'est passé en 2013 quand il a donné naissance à Green Inferno, précédé d'une réputation sulfureuse, apte à ressusciter ces bonne vieilles bobines italiennes déviantes.
 
Et c'est plus ou moins ce qui se passe d'ailleurs, le film entier est construit comme un hommage à Cannibal HolocaustCannibal Ferox ou encore La Montagne du Dieu Cannibale. Fidèle à lui-même, Roth ne nous épargne rien, proposant des séquences très graphiques à la limite de l'insoutenable avec évidemment une bonne dose de fun. L'enfer vert d'Eli Roth est magnétique, envoûtant et impitoyable, et ses héros vont le découvrir à leurs dépends. 

 

En bon sale gosse qu'il est, Roth en profite également pour tirer à boulets rouges sur la bonne conscience occidentale qui s'embarque dans un sauvetage de la planète sans en connaitre la nature réelle, engoncée dans ses a priori et sa vision bisounours de la vie. Résultat : de la tripaille, des dents acérés, des sévices extrêmes et la gentille fille un peu civilisée en quête de reconnaissance qui devient encore pire que ses agresseurs. Une belle leçon qui devrait être montrée à tous les candidats idéalistes d'ONG.

 

   

TROUBLE EVERY DAY

Quand Claire Denis s’attaque à la figure du cannibale, on est forcément assez loin du délire crapoteux du cinéma d’exploitation. C’est que la réalisatrice française n’a que faire des jungles amazoniennes et de leurs hordes supposées de sauvages anthropophages.

Ce dont elle traite, c’est de la dévoration de l’autre, de ce soubresaut de violence primaire comme de l’apothéose de la passion amoureuse tout à fait libérée, d’un climax du désir qui fait de l’être aimé une entité à ingérer. Sa caméra s’arrête donc sur les corps, se focalise sur les sons qu’ils émettent, râles, grognement, frictions… Le résultat est tour à tour poétique et brutal, transcendant et redoutable.

 

Photo Béatrice Dalle

Tout savoir sur Grave

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commentaires
La Rédaction
14/03/2017 à 18:33

@vegan 2017

Justement Vegan, on pourrait justement vous répondre par l'inverse. De tout temps, c'est l'irruption d'une violence bien réelle dans le quotidien qui a poussé les hommes à l'exorciser dans la fiction, et l'art en général.

Un exemple récent : c'est juste après la diffusion de l'assassinat de Kennedy et les images ultra-violentes de la guerre du Viêtnam que le cinéma va donner naissance au gore, et à un profond renouveau du cinéma dit d'horreur.

vegan 2017
14/03/2017 à 16:33

je pense que depuis quelques années (depuis l'avènement des vidéos violentes sur Internet en fait) on ne peut plus montrer la violence crue au cinéma, car dans les films la violence crue comme ça n'a plus de sens, car systématiquement dépassé. j'en veux pour preuve les vidéos de Daesh.....insoutenable. Alors où est la place de cette violence fictive si on voit aujourd'hui qu'elle n'est plus si fictive que ça. et il ne s'agit pas simplement de cannibalisme.... le + intéressant et le + intelligent sera de la suggérer et non de la montrer, ou alors de la montrer autrement......trop de violence au cinéma tue la violence au cinéma......ce qui hélas n'est pas le cas dans la réalité.