Le mal-aimé : It's All About Love, la romance apocalyptique avec Joaquin Phoenix et Claire Danes

Geoffrey Crété | 21 janvier 2017 - MAJ : 21/09/2022 14:28
Geoffrey Crété | 21 janvier 2017 - MAJ : 21/09/2022 14:28

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie. 

 

It's All About Love : Affiche officielle

  

"Plus irritant que divertissant" (Hollywood Reporter)

"Comme si Kubrick avait eu une talent-sectomie" (Ebert & Roeper)

"Le film suscite un appétit qu'il n'aura de cesse de décevoir" (Le Monde)

"Vinterberg était certainement défoncé quand il s'est embarqué là-dedans" (NY Daily News) 

"Vinterberg utilise ici la grosse cavalerie hollywoodienne : le résultat déçoit, c'est peu de le dire" (Télérama) 

 

 

LE RESUME EXPRESS

2021. Le monde est fou. Il neige en été, l'eau gèle une fois par an, des Africains s'envolent et d'autres meurent à cause de leur coeur défaillant.

John Marczewski doit s'arrêter à New York entre deux avions pour que sa femme Elena signe leurs papiers de divorce. Elena est une patineuse superstar, et il décide de rester pour assister à sa première.

Mais Elena a peur et lui demande de l'aide. Il s'enfuit avec elle et retombe amoureux, jusqu'à ce qu'elle soit retrouvée par son équipe. Car Elena a trois clones, achetés en Europe de l'est pour permettre à sa carrière de continuer, même sans elle.

John et Elena sont censés être tués parce qu'ils connaissent la vérité, mais les trois clones sont assassinés. Le couple s'enfuit et se sépare de Michael, le frère d'Elena, qui les a trahis. Elle aussi touchée par le mal du coeur, Elena meurt dans les neiges. John reste avec elle.

Pendant tout ce temps, le frère de John médite sur le monde dans un avion, voué à se crasher car la météo l'empêche d'atterrir. 

 

Photo Joaquin Phoenix, Claire DanesLe bonheur de vivre

   

LES COULISSES

"Si vous échouez, ça peut être difficile. Mais si vous avez du succès, c'est encore pire. Il y avait une pression énorme sur moi. Ça m'a pris un an et demi pour sortir de cette situation et me lancer dans la chose la plus suicidaire et la moins carriériste possible. C'était ce film". En 2004, alors que son quatrième film s'apprête à sortir, les mots de Thomas Vinterberg publiés dans le Telegraph sont bien étranges.

A 34 ans, ce réalisateur danois a connu un succès phénoménal avec Festen, un drame familial couronné du Prix du jury à Cannes en 1998 et réalisé dans le cadre du Dogme95 - ce mouvement de cinéma danois notamment porté par Lars Von Trier, qui travaille contre les codes du film classique. Propulsé par ce film qui voyage à travers le monde et les festivals, il a réalisé plusieurs téléfilms et attendu cinq ans avant de se lancer dans un nouveau film.

Une période déstabilisante pour le cinéaste : "Le succès de Festen m'a ouvert plein de portes, ce qui n'était pas très créatif. J'ai lu une centaine de scénarios, certains très bons, et j'étais tenté. Mais j'avais un peu l'impression d'être un lâche en disant oui à un confortable thriller hollywoodien. C'était trop facile, d'une certaine manière".

 

Photo Claire DanesFigure de style

 

En 2005 dans Thetalkhouse, il expliquera avoir eu du mal à mettre en forme cette romance apocalyptique : "J'avais des soucis avec le scénario, alors j'ai appelé Ingmar Bergman et on a parlé de tout sauf du scénario. Il m'a dit, 'Festen est un chef d'oeuvre, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?'. Je n'avais pas encore décidé, donc j'ai répondu, 'Peut-être ça, peut-être ça'". Il y a eu une longue pause, et il m'a dit, 'Alors t'es baisé. Thomas, il faut toujours décider quel sera le prochain film avant que celui que tu fais soit terminé. Parce que deux choses peuvent arriver. Soit c'est un échec, et tu es ensuite effrayé et humilié. Soit, et c'est pire, ce sera un succès et tu en voudras plus, ou tu voudras le conserver".

It's All About Love ressemble donc à une réponse brutale au Dogme95, qu'il atomise pour ne pas se répéter : "Le Dogme95 se plaçait contre la médiocrité du cinéma. Contre le professionnalisme, le carriérisme. On explorait des territoires nouveaux. Je me suis, 'Je ne peux pas me répéter, ce serait ironique'. Et pourtant j'avais envie d'explorer de nouveaux territoires quand même. Je devais donc aller à l'opposé extrême".

Festen est allé jusqu'à Hollywood et les acteurs sont prêts à signer pour n'importe quel projet auquel il est attaché. Il réunit ainsi trois acteurs du superbe U-Turn d'Oliver Stone : Joaquin Phoenix et Claire Danes, qui y jouaient un couple de fous furieux, et Sean Penn, ici relégé au second plan. Il filme dans une ambiance d'apocalypse très soignée, à l'hollywoodienne, totalement dénuée des principes du mouvement danois. 

Vinterberg veut raconter l'histoire d'une époque où tout le monde est constamment en mouvement, où la communication s'est déplacée vers les écrans et les satellites. Il assume la prétention qui lui sera reprochée : "Je ne pense pas que ce soit mauvais. Ce film ne prend pas le public par la main d'un point A à un point B, comme Festen. C'est autre chose. C'est comme une peinture, je dirais. Ça nécessite qu'on s'assoit et qu'on participe à un rêve".

Anecdote amusante : Richard Curtis a raconté que Love Actually, sorti la même année, devait à l'origine s'appeler It's All About Love, mais que ce titre qu'il avait en tête avait déjà été pris par Vinterberg.

 

Photo Claire DanesJamais assez de Claire Danes

 

it's all about flop

Catastrophique. It's All About Love rapporte moins de 500 000 dollars alors qu'il a coûté environ 10 millions.

Sa présentation à Sundance est désastreuse, et brise vite le destin du film, dont la carrière est instantanément remise en question.

En 2015, Thomas Vinterberg dira que cet accueil a été un choc. D'autant que le suivant, Dear Wendy, lui aussi tourné aux Etats-Unis sur un scénario de Lars Von Trier, a été à son tour atomisé. Pris dans l'engrenage du cinéma loin de ses premiers amours, il renaître en 2010 avec Submarino, suivi de La Chasse, très remarqué à Cannes.

 

Photo Joaquin PhoenixPhoenix renaît toujours

  

pourquoi ça mérite le coup d'oeil

It's All About Love est-il totalement réussi et convaincant ? Non. Mérite t-il d'être considéré comme un navet absolu ? Non.

Au-delà du pari étonnant de Thomas Vinterberg qui s'est lancé dans le vide après le sacre de Festen, il y a l'évidence d'une ambition un peu folle dans cette fable à la croisée des genres. Peu importe le pourquoi ou le comment : le cinéaste se jette sans demi-mesure dans cet univers, y plante des graines de poésie et absurdité pour créer une mosaïque romantico-apocalyptique. La musique de Zbigniew Preisner apporte une magnifique touche d'émotion, en parfait accord avec la mise en scène.

Un cadavre au pied des escalators, un verre d'eau qui gèle subitement, un avion coincé dans les airs, sans parler de la dernière image hallucinée : à condition d'y être sensible, Vinterberg emmène dans un monde qui se vide de sens et de logique, à mesure que l'amour au coeur du titre y semble étouffé.

Aussi incongrue puisse t-elle être, l'idée des clones d'Elena n'est qu'un élément parmi d'autres dans ce portait d'un monde qui se désincarne, qui se disperse, et perd son humanité. L'identité et l'individualité se diluent dans une époque, et le business de la célébrité est un symptôme particulièrement significatif. Le motif de la glace (la patinoire, la neige, la nature, le climat) est évident.

Il y a un côté Southland Tales dans It's All About Love, à la fois dans le fond et dans la forme. Dans l'audace un peu ridicule et suicidaire de l'entreprise, et cette pseudo-poésie capable d'émouvoir ou faire rire. Dans cette fougue un peu naïve, et cette capacité à se lancer sans filet de sécurité, sans peur de déballer de grandes choses au premier degré.

 

Photo Joaquin PhoenixThis is the end

  

pourquoi c'est pas si réussi

Sean Penn, qui souligne trop les thématiques avec ses monologues. Il symbolise à lui seule la limite d'un film qui aura irrité de nombreux spectateurs, moyennement convaincus par la philosophie niaise de cette fable sur l'importance de l'amour dans l'univers.

Vraisemblablement moins intéressé par l'intrigue que par l'univers qu'il déploie, Vinterberg se perd dans la dernière partie, moins forte que les débuts. La fin laisse ainsi un arrière-goût mitigé, probablement parce qu'elle résonne trop mélo dans ce monde incroyable, truffé de détails fascinants qui ouvraient de nombreuses pistes intéressantes.

 

It's all about love : Photo Sean PennSean peine

 

Pour celui qui ne sera pas séduit dès les premières scènes par le film et ses codes, It's All About Love sera donc une farce superficielle, pseudo-intello, qui ne raconte rien de bien neuf et se prend terriblement au sérieux. 

 

 

 

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commentaires
Ratera pas de soucis
14/11/2018 à 09:18

Vous venez de me faire rappeler qu'on m'a jamais rendu le DVD que j'avais prêté y'a 10 piges. Merci les gars d'écran large