L'indéfendable : Paycheck de John Woo, avec Ben Affleck vs le futur

Geoffrey Crété | 20 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 20 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Parce que le bon sens a ses limites, certains films restent difficiles voire impossibles à défendre. Ecran Large leur consacre donc une rubrique spéciale : les indéfendables. L'occasion de revenir sur des ratages plus ou moins célèbres et controversés, salués par la presse, le public ou les deux.

 

Affiche officielle

 

"John Woo commence à sérieusement laisser dubitatif" (Libération) 

"Dans Paycheck, Woo paie cash sa désinvolture" (Les Cahiers du cinéma)

"John Woo, le faux, l'odieux, s'est particulièrement surpassé avec Paycheck" (Première)

"Paycheck s'enlise dans les lourdeurs visuelles et les incohérences du scénario" (L'Ecran fantastique)

"Un grand cinéaste encocooné dans le système et rendu à un statut d'aimable faiseur en pilotage automatique" (Chronic'Art)

"Un film d'auteur dans le sens ancien du terme, une commande de studio dans laquelle le cinéaste parvient à exercer son style inimitable (Les Inrocks)

  


 

LE RESUME EXPRESS

L'ingénieur Michael Jennings est un héros qui doit apprendre la vraie valeur de la vie, plus précieuse que l'argent. La preuve : il a accepté de travailler trois ans sur une machine mystérieuse pour James Rethrick, PDG d'Allcom, avant que sa mémoire ne soit effacée avec une machine à la Total Recall contre un chèque.

Problème : trois ans plus tard, il découvre qu'il a lui-même renoncé à son salaire et ne récupère qu'une poignée d'objets dans une enveloppe.

Poursuivi par le FBI parce qu'il doit être poursuivi, il réalise que ces babioles sont magiques : un ticket pour un trajet de bus, une clé qui ouvre une porte, un briquet pour improviser un lance-flammes. Rethrick, lui, tente de rattraper le héros qui a rendu la fameuse machine inutilisable. Il tente de le piéger avec son amour pour Rachel, une employée d'Allcom qu'il a rencontré pendant sa mission et donc un peu oublié, mais le couple se retrouve et s'échappe.

En regardant de plus près un timbre, Michael découvre que la mystérieuse machine est capable de prédire le futur : elle permettra à Allcom de devenir super-puissante, mais entraînera l'apocalypse. Il comprend qu'il a lui-même préparé l'enveloppe pour s'aider, en utilisant la machine pour voir son propre avenir.

Ils retournent à Allcom et Michael utilise la machine avant de la détruire : il une vision de sa propre mort. Suspense. Il l'évite, après avoir affronté les hommes de Rethrick, qui meurt en digne bad guy.

Les tourtereaux reprennent une vie plus douce, sans machines mais avec des plantes. Michael se souvient d'un détail : il a caché un billet de loterie avec les numéros gagnants dans la cage des oiseaux.

FIN

 

Photo Ben Affleck

  

LES COULISSES

Le nouveau millénaire aura été un tournant pour John Woo. Sorti des succès de Volte-face en 1997 et Mission : Impossible II en 2000, le réalisateur connaît un premier revers de médaille avec Windtalkers , les messagers du vent, un film de guerre où il dirige à nouveau Nicolas Cage, et qui sera un échec critique et public (à peine 80 millions de dollars de recettes pour un budget de 115 millions). Paycheck confirmera la tendance.

Le cinéaste avoue n'avoir jamais lu une seule oeuvre de Philip K. Dick, et ne pas apprécier même pas la science-fiction : "Je n'ai pas ce genre d'imaginaire. Trop froid pour moi... pas assez d'espoir". Après avoir reçu la première version, très proche de la nouvelle La Clause de salaire, Woo demande ainsi une réécriture plus optimiste, avec notamment une histoire d'amour qu'il veut centrale.

Il a par ailleurs de très grandes ambitions : il cite Alfred Hitchcock (surtout La Mort aux trousses avec plusieurs scènes en hommage) et Brian de Palma parmi ses principales inspirations, avec également 2001 : L'odyssée de l'espace, Citizen Kane et même la Nouvelle vague pour l'aspect romantique. Suite au refus de Matt Damon, qui a eu son quota d'amnésie avec Jason Bourne, John Woo caste Ben Affleck pour incarner ce qu'il considère comme le Cary Grant du film. Propulsé par Pearl Harbor en 2001, l'acteur est dans sa pire période : il enchaîne Amours troubles, le navet surmédiatisé avec Jennifer Lopez, Daredevil et PaycheckOn l'avait interviewé à l'époque.

Uma Thurman sort à peine du tournage de Kill Bill et Paycheck est comme un signe du ciel : "John Woo est une grande source d'inspiration pour Quentin, et quand on a commencé à developper Kill Bill, le premier film qu'il m'a montré était The Killer. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai les cheveux longs dans son film, parce qu'il adore la façon dont John Woo filme les cheveux dans The Killer. Alors quand il m'a appelé pour Paycheck, c'est un peu comme si c'était censé arriver."

Sans renier le film, le réalisateur reconnaîtra par la suite une certaine lassitude. Il explique avoir eu du mal à trouver des manières de réinventer l'action à ce stade de sa filmographie, et rappellera que sur ce type de superproduction, la moindre chose est discutée avec le studio. "A Hong Kong, on a besoin d'une seule réunion. C'est une autre énergie". Pendant la promo de Paycheck, il explique développer plusieurs projets loin du cinéma d'action.

Il expliquera aussi qu'il n'avait pas l'intention de refilmer une scène d'impasse mexicaine, où les protagonistes pointent mutuellement leurs armes : "C'est juste à cause de Ben Affleck. Il me suppliait de le faire. De le laisser tenir son arme, la pointer sur un mec, comme j'ai fais dans The Killer et A toute épreuve. Il disait être un grand fan de mes films, et il avait des posters de ces deux-là dans sa chambre. Quand il les regardait, il rêvait d'avoir un de ces moments dans un film. Je ne pouvais pas refuser."  

 

Photo Ben Affleck

 

LE BOX-OFFICE

Avec 60 millions de budget et plus de 96 millions de dollars de recettes dans le monde, Paycheck n'est pas un échec. Mais l'étiquette de blockbuster et le faible score aux Etats-Unis (à peine 54 millions) en font tout sauf un réel succès.

 

Photo Ben Affleck, Uma Thurman

  

LE PIRE

Dans la nouvelle de Philip K. Dick, le héros se réveille et découvre un état policier, avant de réaliser que la mystérieuse machine qu'il a aidé à construire permet à son ennemi supposé de former une armée pour renverser le gouvernement totalitaire. L'histoire se termine ainsi sur Jennings qui pousse Rethrick à le prendre comme associé. La réécriture demandée par John Woo, qui ajoute l'histoire d'amour, a vraisemblablement éliminé toute la couleur politique et science-fictionnelle de l'oeuvre.

Paycheck ressemble donc à un film d'action ordinaire, à peine mâtiné de science-fiction : hormis la machine mystérieuse, le processus de détruire une mémoire ciblée et quelques babioles, rien à l'écran ne semble suggérer un quelconque futur. Au coeur de l'intrigue, la notion de voyage dans le temps est traitée comme un simple outil à suspense, et se retrouve même à jouer contre l'intrigue (malgré la vague menace du héros qui voit sa propre mort).

Mais au-delà de cette fausse étiquette de science-fiction qui décevra les amateurs, il y a la banalité du spectacle. Une course-poursuite banale entre voitures et moto, quelques fusillades dans un décor high tech ordinaire, une image de la fin du monde pour donner un peu de matière à l'histoire : Paycheck se résume à des motifs éculés, recyclés sans imagination.

Si John Woo a déjà été capable de surmonter les faiblesses d'un scénario grâce à son style et sa capacité à orchestrer des scènes joyeusement extrêmes, le charme s'est ici définitivement envolé. Il recycle la rencontre entre Ethan Hunt et Nyah dans Mission : Impossible 2 pour un nouveau coup de foudre autour d'une scène musicale, et ressort ses pauvres colombes parmi d'autres motifs devenus risibles.

 

Photo

 

Les quelques scènes d'action manquent cruellement d'inventivité, devenant des morceaux de bravoure impersonnels. Le montage et surtout la musique n'arrangent rien, les thèmes musicaux de John Powell étant utilisés sans finesse : la scène sur le chantier, où Michael utilise la roue de sa moto pour aveugler un conducteur et provoquer un crash, vire au grotesque avec un plan ralenti sur Uma Thurman et quelques notes de musique grossièrement triomphales. Même chose lorsque les héros découvrent que l'apocalypse est en jeu : flashs sur des inconnus insoucients, monologue explicatif, image de New York atomisée et musique pompeuse.

Le spectacle est banalisé par une direction artistique terne, des dialogues sur-explicatifs, une niaiserie généralisée (le retour des héros aux plantes, à la terre, après leur mésaventure avec la méchante technologie) et des acteurs très mal dirigés. Ben Affleck, Uma Thurman et Aaron Eckhart sont bons voire très bons entre les mains d'autres cinéastes, mais dans Paycheck, ils se reposent à outrance sur des tics, donnant encore plus la sensation d'un produit mal dégrossi.

 

Photo Ben Affleck, Uma Thurman

 

LE MOINS PIRE

Dans sa nouvelle, Philip K. Dick questionnait le prix des choses, qui pouvait fluctuer selon le contexte, au-delà des valeurs marchandes imposées par la loi moderne : "Avoir une pièce pour passer un coup de fil peut faire la différence entre la vie et la mort. Tout ce que j'ai eu à faire 'tait de relier cette idée à un voyage dans le temps pour voir comment des choses insignifiantes pouvaient devenir précieuses aux yeux de quelqu'un qui a voyagé dans le temps".

A condition d'en accepter les dérives et écarts, Paycheck reste donc amusant : l'utilisation de ces objets pour résoudre l'énigme de l'intrigue du film donne un aspect léger et ludique aux péripéties du héros, semblable à un jeu vidéo où la logique veut que chaque détail ait une importance capitale et précise dans le déroulement de l'aventure.

Globalement, le film de John Woo s'appréciera à partir du moment où il simplement considéré comme un divertissement modeste, et non une adaptation d'un auteur brillant aux réflexions passionnantes. Revoir Minority Report de Steven Spielberg, sorti deux ans plus tôt et lui aussi adapté de Philip K. Dick, confirme que Paycheck est cependant loin d'être un film remarquable, dans le fond comme dans la forme.

 

Photo Aaron eckhart

 

A VOIR

Le documentaire Les Mondes de Philip K. Dick de Yann Coquart, diffusé sur Arté. Pour repenser à la profondeur et l'ampleur des oeuvres de l'écrivain.

 

 

  

RETROUVEZ L'INTEGRALITE DES INDÉFENDABLES AU RAYON NOSTALGIE

 

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commentaires
Sancho
22/11/2020 à 13:15

Paytashnek !

Mokuren
21/11/2020 à 19:45

J'avoue que je ne me rappelle quasiment rien de ce Paycheck. C'est un peu le problème des films US de John Woo, à l'exception de Volte/Face. J'étais une fan de lui à l'époque et il m'a bien déçue. A tout prendre, je préfère encore le totalement archi indéfendable Piège à Hong Kong de Tsui Hark, avec un JCVD complètement high. Là au moins on se marrait! J'espère que vous ferez un article dessus.

Nico1
21/11/2020 à 00:22

Comment l homme qui a réalisé une balle dans la tête a pu pondre ce genre de film?En plus du documentaire mentionné ci-dessus il y aussi l'excellent livre "Philip K.Dick l homme qui changea le futur" de Anthony Peake ,qui permet de comprendre l homme derrière le mythe

john1
20/11/2020 à 20:12

ho curieux, moi j'ai bien apprécié le film et je le regarde de temps en temps. Comme quoi les gouts et les couleurs...

Johnrock
15/06/2019 à 23:37

Avatar. Un grand film. Ingénieux, parfait mais contient de la place pour '' un indéfendable ''. La grande patience et sagesse de Cameron d'attendre 10 ans d'avoir les technologies assez avancées pour lancer la production de ce film à grand succès. Imaginez si il aurait été produit cette année avec plus de 10 ans d'avance technologique sur celles utilisés en 2007-08. Le seul point négatif que je trouves est, bien que c'est de la Sci-Fi, que ca se passe en 2154, soit 145 ans dans le futur, il montre une humanité a très mal évolué. L'arrogance et la violence des humains est pire que jamais. Que les humains soient capable de détruire une espèce très intelligente, pacifique vivant en harmonie avec son environnement pour voler leurs ressources naturels, soit disant régler les problèmes d'énergies sur Terre quand dans la réalité, l'énergie solaire serait suffisante dans quelques décennies de travail ou encore, la maitrisse total de l'anti-matière. Le génocide est présent dans ce film. Non. Le gros problème d'Avatar est que pour l'instant, le 2 est prévu pour 2021, soit 12 ans après le premier. C'est beaucoup trop et la série en compterait 5... Les gens ont quasiment déjà oublié ce film et ils vont devoir le ré-écouter ou l'écouter (pour ceux qui était trop jeune en 2009) le premier avant d'aller voir le 2.

Blason
31/03/2018 à 20:37

Vous critiquez lBen Affleck mais pour moi c'est le genre en lui même qui était pas le bon, en faire un film d'action n'était pas la bonne idée, il aurait valu en faire un triller plus fidèle à la nouvelle et beaucoup voire beaucoup moins d'action.

A ce jeu là j'aurai préféré un vincenzo natali qui a réalisé un film plus fidèle à l'univers de philip K dick que ce film, Cypher.

John_1989
21/06/2017 à 13:20

Ce que je ne comprends pas, surtout, c'est quel est l'intérêt du "méchant" d'Allcom à sauver sa machine et donc à tuer Jennings si c'est pour déclencher une Troisième Guerre Mondiale qui ne profite à personne ?

corleone
18/09/2016 à 18:01

@ParkerLewis Faut lire avec les yeux de la tête : RAYON NOSTALGIE ... ça dit tout.

corleone
18/09/2016 à 15:15

Je rejoins les avis précédents. La grande erreur du film est le casting d'Affleck, là où un Cruise ou Cage aurait mis 1000 fois plus d'intensité dramatique dans ce scénario que j'avais même plutôt trouvé assez bon. Ben n'a pas et n'a jamais eu la réelle présence singulière qui caractérise les héros de films d'action.

Dirty Harry
18/09/2016 à 11:53

entièrement d'accord avec votre analyse : le film est légèrement impersonnel et malgré l'incipit génial de K. Dick n'arrive pas à décoller. Je me souviens qu'à l'époque Ben Affleck n'était pas très charismatique, beau garçon mais manquant de sel.

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