Le Grand Jeu : entre SF et espionnage, le dernier tour de force littéraire de Percy Kemp

Sophie Sthul | 4 avril 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sophie Sthul | 4 avril 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

On a beau la dire usée, gangrénée par ses innombrables itérations, trop référentielle pour correspondre à un monde moderne fait de big data et de surveillance informatisée, la figure de l’espion a rarement hanté avec autant d’insistance la pop culture. Et Percy Kemp de nous prouver qu’il est capable à lui seul de renouveler la figure de ce cliché sur pattes.

Il nous revient donc avec Le Grand jeu, roman à mi-chemin entre l’espionnage, l’anticipation et le récit d’apocalypse. On y retrouve un de ses personnages récurrents, Harry Boone, quelques mois après les évènements de Noon Moon. Un volcan, dont l’éruption a été provoquée par des terroristes manipulés par les services secrets, est entré en éruption et voit son nuage de cendres menacer l’écologie d’un monde en crise. Alors que les récoltes meurent, que la famine éclate, que la civilisation occidentale n'est plus qu'un vaste champ de bataille, un agent trouble (Harry Boone donc) doit retrouver un individu dont les travaux pourraient permettre de résoudre en partie la situation, sur le point de tourner au carnage globalisé.

Percy Kemp

Ni resucée de James Bond, ni homme d’acier à la Jason Bourne, Boone est un espion de son temps. Aristocrate dans l’âme, comme Kemp, caméléon brave mais capable de fuite, sa personnalité forte infiltre chaque page de ce roman crépusculaire.

Car Kemp n’a finalement que faire d’un énième récit d’action ou de proto-métaphore débilitante sur les évolutions technologiques ou les mutations terroristes. Il nous propose un passionnant voyage au sein d’un continent sud asiatique dont la géographie paraît explosée, les distances s’étirant, alors qu’un monde affamé, sans centre de gravité, plonge rapidement dans le chaos.

La connaissance intime, profonde de l'écrivain d'un espace complexe, mutant, est palpable. Et c'est un ravissement, plus qu'insider de conflits terrifiants, Kemp nous plonge aux côtés de Boone, un spécialiste discret des tuyaux de l'information, un homme plus doué pour se camoufler que vider des douilles. Lorsqu'il l'entraîne aux basques d'un génie devenu ermite, il nous confronte à un vertige, un monde autre, en pleine transformation, avec la politesse rugueuse, souriante mais ferme, d'un dandy nous initiant aux secrets d'une galaxie connue de lui seul. 

Mû par une langue faussement non-chalante, d’une précision qui n’interdit pas la poésie, Boone nous emmène sur les sentiers du désastre au rythme d’une odyssée qui ménage admirablement le lecteur. Difficile de prédire quand le rythme va s’accélérer, quand la chronique de politique-fiction va laisser la place à l’aventure, tant Kemp fait preuve d’une maîtrise absolue.

Percy Kemp

Enfin, elles sont trop rare les sagas littéraires à ne pas céder à la mode de la sérialisation intempestive, préférant établir, pierre par pierre mais sans jamais exclure le lecteur curieux arrivé là par hasard, un monde radical, irrigué d’une imagination aveuglante autant que d’une conscience aiguë de notre époque.

On vous recommande chaudement ce faux roman d’espionnage et vraie plongée de SF. Un roman d’essence essentiellement populaire, qui assume parfaitement tant l’héritage du pulp et de la culture pop, que la philosophie d’un Marc-Aurèle, ou la pensée effilée de Thasos. LE GRAN DJEU est disponible dans toutes les bonnes crémeries, édité au Seuil.

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commentaires
Grift
04/04/2016 à 21:31

La grosse pub a peine masquée...
Sérieux quoi...