Je ne suis pas un salaud : autopsie d'un caméléon du genre

Jacques-Henry Poucave | 23 février 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 23 février 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Je ne suis pas un Salaud fait partie de ces décharges électriques que nous impose trop rarement le cinéma français. Revenons sur les ingrédients de ce film à part.

Si le drame social est un genre à part, on ne peut pas dire qu’il soit une spécialité française toujours très bien cuisinée. La force du film d’Emmanuel Finkiel provient notamment de sa capacité à mêler les genres et les thématiques.

 

Antisocial tu perds ton sang froid

Quand Eddie, à la suite d’une agression identifie par erreur un faux coupable, il ignore qu’il va précipiter Ahmed dans une spirale effrayante, à laquelle le spectateur comprend qu’il a lui-même échappé de justesse.

Nicolas DUvauchelle

Là où Je ne suis pas un Salaud aurait pu jouer la carte de la dénonciation assez banale quoique nécessaire d’un certain racisme ordinaire, le film va plus loin, en n’hésitant pas à présenter des personnages beaucoup plus troubles, ambigus, et donc intéressants.

Eddie (formidable Nicolas Duvauchelle) ne désigne pas Ahmed parce qu’il est arabe, par réflexe ou par une quelconque absence de morale. Eddie a vu le visage d’Ahmed quelques heures avant son agression, durant une formation stérile pour le remettre sur le chemin de l’emploi. Ahmed symbolise l’exact opposé d’Eddie, un individu qui aura connu les mêmes difficultés, mais sera parvenu à les dépasser, à s’en extraire, semble capable de transcender tous ses handicaps pour s’accomplir.

Le seul élément qu’Ahmed ne peut contrôler, ce sont ses semblables et leurs actions, ainsi que les conséquences de ces dernières, en l’occurrence la mise en branle du Léviathan judiciaire.

Nicolas DUvauchelle

 

Ours Polar

Ainsi, le suspense, plutôt que de se focaliser sur un élément de l’intrigue, sur une dimension de sa résolution, émaille l’ensemble du scénario et varie régulièrement d’objet. Qu’il s’agisse de la relation entre Eddie et la mère de son fils, de sa capacité à entamer un processus rédempteur, de ses rapports avec son patron, ou tout simplement du sort d’Ahmed, toutes les dynamiques à l’œuvre dans le film sont traitées avec un resserrement, une efficacité qui en fait de purs éléments de polar.

Un polar en creux, un thriller blanc, dont la police n’est qu’une toile de fond, ne faisant jamais avancer l’intrigue et n’aidant pas vraiment les personnages.

 

Nicolas DUvauchelle

La lutte déclasse

Car ici, le véritable adversaire, celui qui assassine et auquel chaque personnage tente d’échapper, c’est le carcan social. Celui composé d’un travail qui jamais n’épanouit, celui qui oblige le personnage de Nicolas Duvauchelle à accepter l’aumône de son patron en priant pour qu’il ne séduise pas sa femme, c’est enfin ce carcan qui fait que tout enferme tout le monde dans une gangue de médiocrité sans horizon aucun.

Car ici, la lutte des classes n’a rien d’un combat qui fédère, révèle et permet à l’autre de se dépasser. Au contraire, cet adversaire fantomatique et pourtant présent dans chaque plan, ceux qui tentent de l’abattre ne peuvent que se casser les dents.

Nicolas DUvauchelle

Ainsi, on comprend rapidement vers quelle issue tragique se dirige le film, alors qu’Eddie s’échine lutter contre un système capable de l’écraser d’un revers de manche. Et pour cet homme qui ne veut plus perdre, qui désire plus que tout s’élever au-dessus de sa condition, ne serait-ce que pour être à la hauteur d’un rêve entretenu auprès de son fils et de son ex-compagne, la lutte déclasse.

En choisissant d’arpenter aussi bien le domaine du pur drame, que du thriller, ou du polar, pour accoucher d’un récit fort et nuancé, qui tente de rendre compte d’un état du monde plutôt que de le dénoncer un peu artificiellement, Je ne suis pas un Salaud devient une œuvre à la croisée des genres et des formes.

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commentaires
Flash
20/02/2016 à 08:40

Etant allergique à Duvauchelle (le nouveau Dewaere, laisser moi rire), je zapperai ce film sans regret.

diez
20/02/2016 à 03:47

Un de vos coeur de coeur on dirait, ca fait plaisir !