Wes Craven : l'horreur de la classe moyenne

Simon Riaux | 31 août 2015
Simon Riaux | 31 août 2015

On ne représente généralement pas Wes Craven en cinéaste politique. Le père de Freddy et de Scream est plutôt perçu comme l’artisan d’une horreur pop et agressive, aux relents de pop corn et de frissons de jeunesse. Pourtant, son œuvre est loin d’être aussi « innocente » qu’on veut bien le croire.

Il n’est ni un anar énervé comme le John Carpenter de New York 1997, toujours prompt à verser dans le nihilisme, ni un ambassadeur du Nouvel Hollywood comme le fut Friedkin et n’est pas perçu comme un témoin de la dégénérescence sociale, ainsi que le furent Romero ou Tobe Hooper. Mais on n’aurait tort de croire que Wes Craven n’était qu’un amuseur macabre.

Le cinéaste ne s’est pas attaqué à un immense chantier moral, pas à la captation d’une peur de l’époque, ou à la dénonciation des divers conflits qui agitèrent la société américaine de son temps. Son combat était ailleurs, plus anodin en apparence, mais peut-être plus personnel et radical. Avec une régularité et une méchanceté hors normes, Wes Craven s’est est pris à la classe moyenne américaine.

 

Les Derniers Barbares sur la Droite

Les représentants de la classe moyenne sont tous des monstres en devenir. C’est en substance la conviction profonde qui anime le cinéma de Craven. Dans La Dernière Maison sur la Gauche, la famille des deux jeunes femmes massacrées par une bande de psychopathes en cavale se révèle ivre de violence et capable des pires atrocités sitôt qu’elle se sait menacée.

Et ce qui s’annonçait comme un film horrifique décrivant avec complaisance des post-beatniks en quête de chair fraîche renvoie soudain dos à dos criminels et tenants de l’American Way of Life, porteurs des mêmes germes de violence.

C’est exactement la même dynamique qui anime la famille bien sous tout rapport de La Colline a des Yeux, qui se révèlera finalement aussi cruelle que les mutants qui la prennent en chasse, jusqu’à ce que les deux clans s’allient symboliquement lors d’une dernière séquence qui nous dit en substance que la classe moyenne se vautre volontiers dans la même sauvagerie que ses bourreaux.

 

Le Sang des innocents

Et si Wes Craven continuera tout le long de sa carrière de rager contre cette classe qui semble accaparer la richesse, les symboles et le pouvoir du pays, il conservera toujours sa sympathie à la jeunesse.

Si dans Les Griffes de la Nuit, le péché originel est encore une fois commis par les parents, dont l’abominable Freddy s’amuse à massacrer les enfants, le cinéaste leur conserve une tendresse sincère. Et s’il fait d’eux les agneaux sacrificiels de son cinéma, puisant dans les clichés du slasher cristallisés par John Carpenter et son Halloween, il ne les juge pas.

Ils semblent même les seuls véritables innocents de son cinéma. Ainsi, dans Le Sous-sol de la Peur, la monstruosité du couple de parents ne contamine pas leur fille, demeurée pure et imperméable aux atrocités perpétrées sous son toit. Elle sera même sauvée par l’amour d’un jeune héros, attiré presque magnétiquement par elle.

Et derrière cette idylle l’idée que s’il faut tuer le père, voici une génération qui symboliquement, devra sacrifier ses parents pour ne pas payer à leur place l’addition de leurs crimes passés.

Quand l’auteur nous le disait lors de la sortie de Scream 3 : « La culture ado dans son intégralité n’est pas civilisée et les ados s’expriment de manière excessive, en proie à leurs pulsions. Je suis respectueux de tout cela », il fallait sans doute voir le prolongement de cette pensée.

 

Cachez ce crime que je ne saurais voir

Contrairement à l’adolescent pulsionnel, qui exprime ses envies, même meurtrières, aux yeux de tous (et c’est ainsi que Scream n’hésite pas à faire de ses tueurs les véritables héros du film), les parents, ces représentants de la classe moyenne en apparence respectable, cachent leur méfaits.

Une posture qui semble profondément agacer le metteur en scène. Ainsi, toujours dans Le Sous-sol de la Peur, la victoire sur le grotesque couple qui terrorise le voisinage ne sera-t-elle totale que quand leur méfait, ce que ce ménage dissimule littéralement dans le ventre de sa maison, explosera telle un vilain abscès aux yeux de tous.

De même, les ados naïfs des Griffes de la Nuit devront découvrir le péché originel de leurs parents, vigilantes de pacotille et meurtriers d’hier. Une hypocrisie que l’on retrouvait dans les propos de Wes Craven, alors qu’il évoquait la place de la censure aux Etats-Unis dans nos colonnes.

« C'est un peu comme si quelqu'un vous tirait dessus en prétextant comme excuse que quelqu'un d'autre l'aurait sûrement fait tôt ou tard... » nous expliquait-il en riant.

 

Rappelons-nous qu’avant de devenir réalisateur, Wes Craven fut professeur de dramaturgie et de sciences humaines à Baltimore, après avoir étudié les lettres et la psychologie. On aurait donc tort de ne voir dans son acharnement contre la classe moyenne américaine qu’une volonté de choquer le bourgeois ou un quelconque biais cynique.

Non, Wes Craven aura développé tout au long de sa carrière une attaque systématique contre une certaine frange de l’Amérique, dissimulée dans ses banlieues anonymes et soi-disant tranquilles. Sa critique, qui n’a jamais cherché ou réclamé l’assentiment des commentateurs ou de la presse, n’en demeure pas moins remarquable par sa sincérité et son ardeur.

Tout savoir sur Wes Craven

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commentaires
Coltrane
31/08/2015 à 21:32

Vrai que Craven n'est pas vraiment perçu comme un cinéaste politique... Dans son pays! En Europe et singulièrement en France, à l'instar de Big John, il en est autrement. Faut dire que le titre original de Freddy était déjà un gros indice pour qui n'a pas les neurones confis au popcorn, sans parler de ses premiers longs qui n'ont pas à rougir à côté de Massacre à la tronçonneuse et La nuit des morts vivants en termes de contenus subversifs...
Même si la fin de sa carrière était nettement en-deçà de son âge d'or, il me manquera...
Vraiment une rentrée pourrie...

actarus2001
31/08/2015 à 14:14

comme qui dirait...un certain film "oeil pour oeil"!!!! :p il a bien marqué toute une génération de fans de film "artisanal" et quel horreur!!!:p