Apichatpong Weerasethakul : réconcilier l'homme et ses fantômes

Simon Riaux | 1 septembre 2015
Simon Riaux | 1 septembre 2015

Apichatpong Weerasethakul est un cinéaste rare, précieux, qui livre avec Cemetary of Splendour l’une de ses ouvres les plus accessibles et abouties. L’occasion idéale de se replonger dans la carrière de cet auteur.

Honoré d’une Palme d’or pour son élégiaque Oncle Boonmee, Weerasethakul fait indéniablement partie de ces auteurs dont une partie du public se méfie, tandis qu’une fraction le suit religieusement, parfois sous l’effet d’un orientalisme un peu facile. Deux attitudes qui confinent un peu à l’absurde, tant l’œuvre de l’auteur fait preuve d’une belle cohérence et d’un agencement de thématique qui confinent à l’universel.

 

Medicine Man

Il le rappelle volontiers, Apichatpong Weerasethakul a grandi dans un cadre hospitalier, élevé par des parents médecins. C’est sans doute l’origine de cet environnement médical, de cette notion de maladie, que l’on retrouve dans son cinéma. Qu’il s’agisse du mystérieux patient de Tropical Malady, de l’homme souffrant de Boonmee ou des soldats endormis de Cemetary of Splendour, la médecine est toujours là.
Mais cette toile de fond, qu’elle apparaisse comme un décor au sens propre, ou que sa présence guette les protagonistes, témoigne surtout de l’impuissance des hommes. Elle charrie des personnages volontaires, toujours prêt à aider leur prochain, désireux de les comprendre, mais souvent incapables de les aider.

L’univers médical, chez Apichatpong Weerasethakul, est à la fois la preuve que le Royaume des hommes est finalement peu de choses, et le témoin du regard incroyablement bienveillant que pose le cinéaste sur le monde qui l’entoure.

 

La Spiritualité tranquille

Si la médecine et la modernité semblent toujours dépassés chez le metteur en scène, c’est que le monde des esprits guette et ne se laisse pas écraser par notre monde contemporain. Les vies antérieures de Boonmee ne lui laisseront pas de répit, le soldat de Tropical Malady devra pour sa part se dénuder, littéralement, pour atteindre la félicité et se reconnecter au Tigre, le symbole de rites anciens.

Dans Cemetery of Splendour, deux divinités s’invitent à la table de l’héroïne, vêtues comme la première citoyenne venue, pour partager un repas frugal. Toute sophistiquée que soit la mise en scène de Weerasethakul, elle laisse au divin, au mystique, au surnaturel une place naturelle.

Le fantastique surgit ainsi toujours avec une évidence confondante, une simplicité d’une transparence inédite. L’œuvre du metteur en scène nous dit ainsi quelque chose de la réconciliation, fondamentale, entre l’homme moderne et son passé, son héritage culturel. Deux mondes en apparence séparés, qui ne demandent qu’à se rejoindre.

 

Une histoire de fluide

On pourra être désarçonné par l’apparente lenteur des films de Weerasethakul. Ce serait oublier leur principe fondamental : traiter du temps et de la mémoire comme d’un phénomène fluide, continu. Ainsi, impossible de rythmer artificiellement l’action, ou de donner aux personnages une place qu’ils ne peuvent revendiquer.

Une fois ce principe intériorisé, il paraît parfaitement logique de trouver si peu de gros plans dans son œuvre, du moins si peu de plans rapprochés des protagonistes de leur visage. Si dans Cemetery of Splendour nous ne découvrons en détails les traits de l’héroïne que quelques minutes avant la conclusion du film, peu de temps après avoir enfin pu scruter le regard d’un des soldats endormis, le temps d’une scène de repas en apesanteur.

C’est qu’alors les personnages ne sont plus tant des individualités que des entités flottantes, qui, après avoir accepté de se laisser porter par le flot d’évènements, d’esprits, de fantômes et de croyances qui constituent leur monde, sont enfin des êtres complets.

 

Ainsi, les créations de Weerasethakul ne sont pas tant ces œuvres contemplatives que le public aborde parfois avec des pincettes, pas plus que des rêveries dont les clefs ne nous seraient pas accessibles. Elles sont le témoignage bien vivant et formidablement serein d’une possible réconciliation, une quête d’apaisement toujours renouvelée. Un dispositif infiniment plus simple qu’il n’en a l’air, qui demande à être appréhendé avec la même simplicité que celle déployée par le réalisateur.

Tout savoir sur Apichatpong Weerasethakul

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commentaires
La Rédaction - Rédaction
05/09/2015 à 18:16

Un réal que je suis depuis depuis plusieurs années et qui fait mieux à chaque film