50 Nuances de Grey : une fessée sexiste ?

Simon Riaux | 11 février 2015
Simon Riaux | 11 février 2015

Alors que les premiers spectateurs se ruent dans les salles pour voir Dakota Johnson se faire copieusement fesser par Jamie Dornan, une question se pose. 50 Nuances de Grey est-il sexiste ?

 

FAIS MOI MAL , JOHNNY JOHNNY

Si l’adaptation du roman d’E.L. James peut être considérée comme l’ambassadrice particulièrement agressive d’une vision de la femme arriérée voire dégradante, précisons que ce n’est aucunement en raison des pratiques sexuelles qu’elle représente.

Les jeux de domination, la quête du plaisir via la douleur ou sa mise en scène ne sont dans l’absolu qu’un des aspects que peut revêtir la sexualité et ne sont synonyme d’aucune forme de perversion ou de dépravation. Pour marginaux qu’ils soient, ils sont pratiqués de par le monde par les hommes comme les femmes et ne sont pas en tant que tels porteurs d’idéologie et relèvent d’une sphère privée où aucune forme de morale ne devrait avoir court.

Le problème est ailleurs.

 

DE CURIEUX CLICHES

 

50 nuances de Grey n’est pas un film militant, il n’avance pas consciencieusement une vision de la femme. Mais en convoquant simultanément des dizaines de clichés, il fait pire : il perpétue une représentation délirante sous couvert d’érotisme pop. On ne pourrait tout relever ici mais la liste est parlante : Anastasia est vierge, étudiante, timide. Elle trouve normal que son amant la couvre de cadeaux et décide de son apparence, de sa garde-robe.

Tout signe extérieur de richesse (promenade en hélicoptère, en planeur…) semble lui tourner immédiatement la tête et provoquer chez elle une gratitude sexuelle logique.

On est frappés de voir que les éléments qu’un épisode de Friends où le personnage de Monica fréquentait un milliardaire utilisait comme des gags sont ici recyclés au premier degré. Qu’Anastasia découvre avec délice les joies du SM est une chose, mais que cette jeune femme prude s’y abandonne si vite sous l’autorité de son amant coercitif interroge tout de même… De même son personnage (et les autres femmes du film) sont toujours représentées en quête de l’assentiment masculin.

Toute réservée et mièvre qu’elle soit, Anastasia ne manque jamais une occasion de discuter fist anal, de mâchouiller un crayon d’un air pénétré, reproduisant un vieux cliché de la femme virginale et ultra-sexualisée.

 

DEUX POIDS DEUX MESURES

 

Le véritable souci du film est sa représentation de la sexualité. Pour un rapide plan sur les fesses de Christian Grey et une poignée de poils, Anastasia doit elle se coltiner le gros de la charge sensuelle du film.

Souvent, sa poitrine est exhibée et son corps offert à la caméra, même lorsque son amant arbore encore quelques vêtements. Une situation clairement inégale, d’autant plus ridicule que le film a été vendu et promu pour attirer les femmes.

Comme s’il était question de leur rappeler que c’est bien à elles d’assumer la notion d’érotisme, que l’homme est là pour consommer.

Nous l’évoquions plus haut, Anastasia est étudiante. Il en est de même en matière de sexe. A elle d’intégrer les désirs de monsieur. On pourra arguer que la situation est logique, puisque 50 Nuances de Grey traite d’une relation de domination et de sadomasochisme. Mais au nom de quoi les rôles ne pourraient-ils s’inverser ?

Et pourquoi Christian Grey semble-t-il avoir si peu à apprendre de sa maîtresse ? Etant entendu que la naissance de ses sentiments constitue plus un lâcher prise qu’une connaissance qu’il aurait à digérer, un bienfait que lui transmettrait l’autre, même en matière de cœur, l’homme semble avoir ici l’avantage.

On pourrait comprendre que Dakota Johnson serve de chair à canon sexuelle pendant le film si son plaisir était au centre de la mise en scène et du récit. Mais non. Jamais la malheureuse ne jouit. Elle gémit, se contorsionne, sue un peu, mais d’orgasme point. Et on ne pourra pas reprocher cette absence au texte original, qui mettait justement l’accent sur les incroyables pics de jouissance éprouvés par Anastasia.

 

PETIT JOUEUR

 

Enfin, on pourrait pardonner ce sexisme prégnant, cette vision rétrograde d’une femme soumise, dépendante physiquement et affectivement, privée de jouissance, si le film assumait totalement ce postulat.

Si au moins jusqu’au bout, il jouait la carte de la domination assumée, totale et à sens unique, il aurait pour lui d’aller contre l’air du temps, de faire un doigt d’honneur clair au féminisme et aux valeurs d’égalité entre les sexes qui fondent de plus en plus profondément le pacte social occidental.

Voilà qui ne serait pas glorieux, mais aurait au moins le courage de la transgression, inviterait franchement au débat et interrogerait le spectateur, ses désirs, ses fantasmes, ses limites. Il y aurait pu y avoir là du panache, ou au moins une forme de cohérence.

Mais non, la romance et la mièvrerie font bien sûr leur retour pour conclure le film, aboutissant à un message encore plus problématique. En effet, voilà qui revient à dire aux spectatrices qu’à condition de baisser les yeux et de courber l’échine, elles pourront obtenir cette romance fleur bleue à laquelle elles aspirent.

Le droit à la félicité contre quelques fessées bien senties, soit une simple mise à jour de la vieille idée de devoir conjugal. Si l'on est finalement peu surpris de voir le film, tant par maladresse que par absence de point de vue, délivrer un message aussi rétrograde, on peut se désolé qu'il soit vendu et perçu par le public comme un vent de modernité soufflant sur le cinéma des sentiments.

Tout savoir sur Cinquante nuances de Grey

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