Verhoeven, ce héros : Nos films préférés du maître

Geoffrey Crété | 5 février 2014
Geoffrey Crété | 5 février 2014

Quiconque ne voue pas une haine ancestrale au cinéma hollywoodien garde une place spéciale dans son cœur pour Paul Verhoeven. Venu des lointaines contrées hollandaises pour atomiser le système, ce terroriste de l'univocité a illuminé les années 80-90 avec sept films cultes et diaboliques, lancés sur le cinéma américain comme les plaies d'Egypte.

Pour mieux s'enivrer du doux parfum de nostalgie ressorti du remake de RoboCop, dans la directe lignée de celui de Total Recall sorti en 2012, Ecran Large rend hommage au maître.

 

 

 

 

Black Book par Stéphane Argentin

On choisit Black Book non par dépit ou pour me distinguer mais aussi et surtout parce qu'à la découverte des deux films précités, je n'y avais vu à l'époque que de « simples » longs-métrages de SF et qu'il me fallut bien longtemps avant de saisir tous les tenants et aboutissants (politiques, économiques, sociaux, religieux, etc...) des œuvres hollywoodiennes de Verhoeven. En 2006, lors du retour du hollandais sur ses terres natales pour son nouveau film, la première vision fut cette fois la bonne pour percevoir véritablement toute l'étendue d'un cinéaste parvenu à la maturité de son art, tant graphique que thématique.

Et Verhoeven de faire montre de tout son talent pour nous livrer non plus une œuvre issue de son imagination mais inspirée de faits réels. Et si la forme revêt les mêmes atours que dans ses longs-métrages précédents, nous y dévoilant des individus physiquement et moralement portés à nu, blessés, meurtris, torturés, massacrés, le regard posé ne se veut plus aussi cynique (grotesque ?) mais bien plus pernicieux, dans ce qu'il dévoile la nature même de l'Homme. Une cristallisation artistique qui aboutit à l'œuvre la plus forte de la filmographie d'un cinéaste qui, hélas, n'a plus donné signe de vie sur grand écran depuis. Serait-ce parce que Black Book est son œuvre somme ?

 

 

 

 

Total Recall par Marine Baillon

À la fois kitch, drôle, hypnotique et violent, Total Recall fait partie de ces œuvres de science-fiction capables de traverser les âges sans perdre ce qui fit son charme. Ce tour de force, on le doit à la mise en scène de Verhoeven qui témoigne d'une inventivité visuelle étonnante s'associant parfaitement à la réflexion schizophrénique du récit Dickien. Jusqu'à la dernière minute, impossible de savoir si l'action est ancrée dans la réalité ou si tout ceci n'est qu'un rêve. Cette double lecture a donné lieu à des scènes devenues cultes et des punchlines qui le sont tout autant. Même certains effets spéciaux, loin de paraître archaïques aujourd'hui, restent marquant (le personnage de Kuato est pour ma part encore un traumatisme...). Revoir Total Recall aujourd'hui, c'est aussi se rappeler avec quelle abomination, Len Wiseman a sali cette œuvre avec son remake grotesque de 2012, sans âme ni logique. Mais sa version paraît un moindre mal tant elle se sera révélée incapable d'intéresser le public, fidèle à l'intelligence de son aîné.

 

 


 

 

Basic Instinct par Geoffrey Crété

Sous ses airs de canaille, un film-massue qui a bouleversé son monde, et une véritable mine d'or qui renferme les obsessions du cinéaste. Enfermé à première vue dans le cadre très scolaire du polar, Verhoeven repousse les limites de l'exercice avec une dextérité fascinante : une course-poursuite en voiture se transforme en valse rythmée par Jerry Goldsmith, une scène de sexe, en lutte sauvage, et une scène de danse, en cérémonie tribale. Le choc est immense : le mythe Sharon Stone est forgé en l'espace d'un Festival de Cannes, le film est nommé aux Golden Globes et aux Razzies, la critique est partagée, la polémique est née. Du fabuleux scénario de Joe Eszterhas, animé par des dialogues irrésistibles, le réalisateur tire une pièce-maîtresse de sa carrière, où se rencontrent les furies de Showgirls, dans une église déguisée en club, et l'hubris de Hollow Man - le « C'est fou ce qu'on peut faire quand on n'a pas à se regarder dans un miroir » de Sebastian Caine, en écho au « Pour voir s'il peut s'en sortir » de Catherine Tramell. Choisie après sa prestation dans Total Recall, qui a confirmé sa capacité à passer de la maman à la putain, Sharon Stone incarne une version moderne de la veuve noire du Quatrième homme, alors dernier film hollandais de Verhoeven. La boucle est bouclée. Basic Instinct est beau, et le cinéma hollywoodien en est ressorti plus grand.

 

 


 

 

RoboCop ex-aequo avec Starship Troopers par Christophe Foltzer

Impossible de citer l'un sans parler de l'autre tant ils semblent se répondre. Tout deux brûlots ultra-violents contre l'Amérique néo-libérale à tendance fascisante, l'un traite avec brio de la menace intérieure, des années Reagan et de l'importance d'une forme d'humanité dans l'ordre et la justice là où le second prophétise de façon troublante le 11 septembre 2001, la politique de riposte américaine contre le grand Autre et tout ce qui en a découlé. Tout simplement brillant.

 

 


 

 

RoboCop par Sandy Gillet

À l'époque il était une sorte de réponse ambigüe et nettement plus passionnante au phénomène Terminator. Aujourd'hui, il est devenu le symbole et le témoin d'un cinéma transgenre et iconoclaste. Sa force réside encore dans sa violence graphique et organique peu égalée, jamais dépassée et la modernité de ses thématiques restées en suspens. En plein Amérique reaganienne, ce genre de tour de force s'est compté sur les doigts d'une main. Et ce n'est pas la moindre de ses qualités.

 


 

 

 

Showgirls par Simon Riaux

La vulgarité, Paul Verhoeven connaît bien. Il s'agit même d'un des thèmes récurrents de son œuvre, puisqu'à travers la barbarie des maîtres, la violence des révoltés ou la prédation féminine, le réalisateur a mis en scène une vaste analyse d'un des maux de son époque. Showgirls représente le sommet de cette réflexion, un film consacré à la vulgarité, par la vulgarité et pour la vulgarité. Avec une force impressionnante, l'artiste suit Nomi et son parcours d'effeuilleuse de luxe à Las Vegas, épouse de sa caméra les scènes flashy, les coulisses cocaïnées et les séducteurs en Cadillac. Mal reçu lors de sa sortie et injustement décrié comme une apologie de tout ce qu'il moque et dénonce, le métrage impressionne par sa virtuosité et son impact, qui n'a cessé de grandir depuis 1995. Au détour d'une scène de sexe ahurissante, d'un numéro de danse délirant ou d'une vengeance sanglante, Verhoeven nous permet de regarder l'époque à travers un miroir déformant qui suscite encore aujourd'hui un grand trouble mêlé d'euphorie.

  

 
 

 

Black Book par Didier Verdurand

Il est trop difficile pour moi de choisir un meilleur Verhoeven alors je vais me limiter à sa filmographie du nouveau millénaire. Ca tombe bien, il y a l'excellent et sous-estimé Black Book qui pourtant devrait considéré comme un véritable classique du genre. Avec un sujet moins verhoevénien que La Chair et le sang ou Starship troopers, on pouvait redouter une oeuvre trop polie, histoire de gagner quelques euros. On pouvait craindre aussi que ce dieu des années 80/90 ait mal vieilli, à l'instar d'un David Cronenberg, par exemple. Tu parles. Black Book est une claque, un film d'aventure comme on n'en fait plus, avec un sens épique propre à l'hollandais qui sait captiver le spectateur du début à la fin, le surprendre, l'émouvoir, le transporter. 2h25 de pur bonheur qui passe comme une lettre à la poste. Une lettre d'amour, of course, pour Carice Van Houten qui aura du mal à retrouver un rôle si fort.

 

 

 

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