Robert De Niro, prière de raccrocher les gants

Simon Riaux | 20 janvier 2014
Simon Riaux | 20 janvier 2014

Robert, longtemps nous avons eu peur de toi. Tes yeux brillants de folie, tes mâchoires nouées par une tension souterraine toujours prête à jaillir par-delà l'écran en vagues de violence pure... de ton corps engoncé dans un costume sur mesure ou maltraité sur le ring suintait littéralement une menace diffuse et tragique, de celle que cherchent en vain à convoquer les plus accomplis scénaristes quand seuls les monstres de ta trempe, les sacrés, les bêtes de scène peuvent la convoquer dans sa fatale grandeur. Hélas Robert. Cette époque est révolue et tu es désormais l'équivalent cinématograhique de la bouillotte de grand-mère, recuite par des flots bouillonnants et domestiquée, tout juste bonne à tiédir les pieds des vieillards. Il faut qu'on cause Robert.

 

 

 

Oui Travis Bickle, c'est à toi que je parle. Nous voici face à face McCauley, je n'ai pas la prestance d'un Pacino, mais je doute sérieusement que tu t'envoles dans la seconde. La pesanteur t'a rattrapée, je t'ai bien trop prêté, trop longtemps et sans intérêts Johnny Boy. Mais que s'est-il passé Robert ? Quand as-tu cessé d'être De Niro ? Martin Scorsese réalisait-il en tournant Casino que s'il emballait un écho de son propre destin, c'est le tien et ta chute à venir qu'il imprimait sur pellicule ?

 

Comme Samuel « Ace » Rothstein, les années 90 devaient te laisser exsangue, empereur déchu, paralysé quand le monde évoluait autour de toi à vingt-quatre images seconde. On riait en 1997 de te voir singer diaboliquement la déchéance dans Jackie Brown, ignorant qu'une dernière fois tu nous offrais une composition en forme de pirouette tristement visionnaire. Tarantino t'avait affublé d'une chemise à fleur, d'une barbe naissante et de cette attitude craspec de vieux truand confit dans ses souvenirs rances, nous ignorions encore que tu t'apprêtais à faire corps avec cet avatar.

 

 

 

Pourtant, quelques mois plus tôt, nous t'avions déjà rudement souffert. Le Fan restera non pas comme ton premier faux pas, mais comme le moule dans lequel tu devais forger le personnage qui accompagnerait ta chute. Une caricature hystérique du grand De Niro, condamnée à jouer du menton comme Schwarzenegger de la sulfateuse. Et ta signature, cette gestuelle crainte et admirée, de se transformer lentement mais sûrement en un tic funeste. À l'époque, un Jean Dujardin eut été foudroyé de respirer le même air que toi, aujourd'hui il a revêtu ta vieille peau fripée, fait de ta mimique son gimmick. Tu pouvais encore te rattraper, nous t'aurions tout pardonné Robert. Mais non, il a fallu que tu enchaînes avec deux boulets que tu traînes encore aujourd'hui et dont de nouvelles itérations nous menacent encore : Mafia Blues et Mon beau-père et moi.

 

 

 

« Tout ça, c'était pour rire » semblais-tu alors nous dire en nous tapant sur l'épaule. Comment Jake La Motta, Max Cady ou Noodles pouvaient-ils bien nous donner l'accolade ? Blasphème ? Révisionnisme ? Crime contre le bon goût ? Désillusion ? Lassitude ? Sans doute un peu de tout cela, sans doute n'étions-nous pas prêts et ne voulions pas de cette soudaine roublardise. Toi, Robert tu embrayais avec insistance et piétinais avec énergie ta propre légende. Il en fallut de l'abnégation pour supporter ta mine ahurie dans Godsend, ne pas s'acharner sur ta partition neurasthénique sur Le Pont du roi Saint Louis ou pour ne pas te jeter avec l'eau du bain de Stardust. Le temps d'un Machete nous, tes dévots, fûmes sur le point de te dresser de nouveaux autels, croyant que tu nous adressais là un clin d'œil complice, par-delà l'œilleton graisseux du faiseur Rodriguez.

 

 

Peine perdue, à peine avions-nous tourné le dos que tu sévissais dans Killer Elite et Happy New Year. Nous avions défailli en te regardant démonter un quidam à la batte de base-ball, pervertir une Juliette Lewis trop virginale pour être honnête, dévorer un œuf dur avec un appétit satanique et voilà qu'il ne restait plus dans ta besace que de paresseuses redites. De films choraux en thrillers incontinents tu achevais de te dissoudre. Afin de t'assurer notre désaffection grandissante, tu souillais tout à fait la légende le temps de Malavita, sinistre farce qui t'invitait à commenter ta propre carrière comme si elle avait achevé de t'échapper, comme si De Niro était demeuré un affranchi pour te laisser toi, Robert patauger dans le marigot Hollywoodien. Pour un peu Robert, je me demanderais si ton absence au générique d'American Bluff est le fruit de ton immense modestie, ou la preuve accablante de ton irrémédiable transparence.

 

 

 

Mais tu ne t'es pas arrêté là. Écorner consciencieusement ton héritage n'était pas suffisant, il fallait encore que tu rejoignes l'une des plus ridicules arnaques de l'époque, à savoir la revanche des vieux badass crevés. Stallone et Schwarzie se payaient une bonne grosse tranche de nostalgie et pas toi ? Avec Match Retour il n'en fallait pas plus pour que tu acceptes de caguer sans pitié sur l'un des personnages les plus forts que tu aies jamais incarné : Jake La Motta.

 

À l'époque, tu n'avais pas hésité à prendre une vingtaine de kilos, à devenir un Raging bull que rien ni personne ne pouvait arrêter, trente-quatre ans plus tard, loin de toi l'idée d'exiger quoi que ce soit de ta carcasse vieillissante, Photoshop et ses artistes du clavier s'en chargeront pour toi. Ton sparring partner, l'inoxydable Sly a déjà prouvé avec maints retours qu'il comprenait son public et le respectait, sans pour autant s'interdire une sortie de route ici et là. La sortie de route, tu en as fait ton horizon. Chaque nouvelle coquille vide à laquelle tu prêtes tes traits émascule un peu plus le mythe du Parrain II. Plus Robert se délite et moins De Niro m'excite. De Dernier nabab tu t'es transformé en Premier Kebab. Raccroche les gants tant qu'il est encore temps Robert.

 

 

 

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