Le Loup de Wall Street : chef d'œuvre ou plantage ?

Simon Riaux | 28 décembre 2013
Simon Riaux | 28 décembre 2013

Le Loup de Wall street de Martin Scorsese est sorti sur les écrans le 25 décembre dernier, et pour l'immense majorité de la presse comme du public, le film a été reçu tel un formidable cadeau de Noël. Pourtant, nous avons dégotté un irréductible pisse-froid, un grand blasé au cœur aussi glacé que la pierre d'un vieux cachot écossais, pas du tout emballé par ce qu'on n'hésite pas ici et là à qualifier de chef d'œuvre. Et si le Loup tant vanté n'était qu'un caniche aux chicots élimés ? 

 

 

 

La presse est unanime. Jusque dans les colonnes d'Écran Large, on loue le génie de Martin Scorsese, qui aurait retrouvé le mojo des Affranchis, la maestria de Casino. Alleluia. Avec ses 170 minutes au compteur, son heure restée sur la table de montage, son casting quatre étoiles, sa frénésie stupéfiante et sexuelle ou encore son sujet, Le Loup de Wall street jouit d'entrée de jeu d'un pedigree d'exception. Hélas, il en va parfois des films comme des chiens de race, un sang pur pouvant se révéler curieusement rance. Car à bien y regarder, le dernier Scorsese n'est pas seulement un des plus mauvais films de son auteur, c'est un très mauvais film tout court.

 

On attendait avec impatience de découvrir le sort que le metteur en scène réservait à la faune de Wall street, dont le parallèle avec les petites frappes ambitieuses qui firent le sel de ses chef d'œuvres passés est évident. La réponse tient en un mot : rien. Peine perdue, Scorsese se moque éperdument de la finance, du capitalisme, du libéralisme, des traders ou de la cupidité en général. En dépit de ses continuels dialogues, voix offs et commentaires dispensés par l'ensemble des personnages, le réalisateur opte pour la pirouette sitôt qu'est abordée la question de ce qui se joue à l'écran. Un dilettantisme qui touche aussi bien les évènements dépeints lors de l'incroyable ascension de Jordan Belfort que les relations humaines entre les personnages, dont les sentiments et émotions ne semblent jamais dictés par une quelconque logique. Nous ne saurons jamais véritablement ce que fait Jordan Belfort pour gagner sa vie, pas plus que nous ne saurons pourquoi il le fait, le script se contentant de nous balancer dès la séquence introductive que le pognon, c'est la meilleure des dopes. Circulez, y à rien à voir.

 

 

  

Puisque Wall street et son époque indiffèrent Scorsese, s'intéresse-t-il à ceux qui la peuplent ? Pas beaucoup plus. Aucun personnage ne jouit ne serait-ce que d'un semblant de personnalité. Jonah Hill est réduit à l'état de bouffon décérébré, quatrième roue d'un carrosse comique efficace mais lourdingue, Margot Robbie n'est qu'une merveilleuse paire de seins, ersatz de la Sharon Stone de Casino, Matthew McConaughey fait un brillant petit tour et puis s'en va, quant à DiCaprio, il va jusque dans le fondement d'une prostituée chercher son futur Oscar, qui risque encore de lui échapper. Aucun d'entre eux ne jouit des règles basiques de l'écriture scénaristique, à savoir des motivations et des contradictions. Tous ne font que suivre la petite mélodie hystérique du script.

 

Script est un grand mot pour définir ce qui articule le récit du Loup de Wall street, en l'état il s'agit plus du squelette d'une mini-série d'une dizaine d'heures tronçonnées à la hache par une monteuse irresponsable. Le film suit durant trois heures une logique imperturbable, pauvre et répétitive : monologue, saynètes comico-sexuelles, séquence étirée en longueur à base d'humiliation des personnages. Ce triptyque se répète à l'envi, sans connaître de gradation ou d'évolution. Inutile de préciser qu'à moins de ne pas avoir vu de seins ou de fesses depuis plus de trois mois, le spectateur moyen succombe à sa première crise d'apoplexie après vingt minutes de métrage.

 

 

 

 

Un signe, ou plutôt une absence symbolise tout particulièrement la stérilité de l'entreprise. Martin Scorsese est un moraliste, un moraliste empreint de morale catholique, comme le révèle sans ambiguité sa filmographie, saturée de symboles chrétiens, de saints, de croix et de martyrs. Le metteur en scène a toujours mis en image sa propre incapacité de petit catholique à jouir du vice qu'il cartographie depuis l'œilleton de sa caméra. Pour la première fois, l'imagerie messianique et son arsenal philosophique sont absents. Ses totems habituels, les gardes fous ou barrières qu'il brandissait devant ses personnages (qu'ils s'y soumettent ou les abattent) se sont évaporées, donnant le sentiment que Scorsese lui-même se moque pour la première fois du monde qu'il dépeint. Rien n'est choquant dans Le Loup de Wall street parce qu'il n'y a personne à choquer. Le temps d'une boursouflure cocaïnée, le patron du Casino oublie ce qui fit sa particularité : son regard. À la manière d'un curé défroqué embarqué pour une nuit de débauche, le réalisateur s'embourbe dans une célébration orgiaque ou tel son protagoniste principal, à vouloir jouir toujours, il jouit trop vite. Et mal.

 

 

 

Depuis qu'il a quitté son poste d'outsider du Nouvel Hollywood pour devenir king of the hill, Martin Scorsese a au moins gagné en panache et en faste ce qu'il a perdu en trouble et en révolte. Son dernier film est-il seulment un bel objet de cinéma ? Pas le moins du monde. C'est sidéré que l'on assiste à une suite d'enchaînements malheureux, de faux raccords embarrassants (rien à voir avec la forme libre d'un Mean Streets, on est ici dans l'erreur perpétuelle, jamais dans la transgression), voire d'allers-retours narratifs lourdauds et injustifiés, qui mettent à terre nombre de séquences dont on finit par se dire que l'artiste se désintéresse purement et simplement. La photographie semble de prime abord gentiment médiocre, jusqu'à ce que les yeux du spectateurs saignent à force d'incrustations vulgaires, d'étalonnage brutal, de ralentis mal gérés, voire de plans flous. Quant à la narration, elle empreinte à droite et à gauche la structure de ses monologues face caméra, encore une coquetterie inutile et mal digérée. La forme du Loup de Wall street n'est pas seulement télévisuelle, elle est celle d'un mauvais show vieux d'une quinzaine d'années.

 

 

 

Martin Scorsese expliquait récemment que Leonardo DiCaprio était sa principale source de motivation, que leur collaboration le protégeait d'une retraite méritée. On est tenté de le croire, tant le metteur en scène n'a ici d'yeux que pour lui, à tel point que les rares images mémorables du film sont quelques gros plans disséminés sur le visage de son anti-héros tandis qu'il jouit, hurle, saigne, pleure, se perd dans la fascination d'un con rétif. La force magnétique du lien qui unit les deux artistes est palpable, c'est le seul intérêt du film, et on ira jusqu'à se demander si Scorsese n'en était pas lui-même conscient, au point de traiter tout ce qui n'est pas DiCaprio avec un je-m'en-foutisme suicidaire. Que Scorsese soit capable, lors d'une de ses séquences les plus importantes, attendue et cathartique, à savoir celle de la Chute, de jeter à la figure du spectateur une reprise pathétique de Mrs Robinson – chanson emblématique du Lauréat et du Nouvel Hollywood - en dit long sur le néant conceptuel qui tient lieu de fondations au film.

 

On peut toujours se rassurer en voyant dans cet opéra de quat' fions rien moins que l'âme de l'époque, une ode surexcitée à sa vacuité sans fond. Peut-être était-ce là le souhait de Scorsese. Une note d'intention qui n'excuse en rien la lourdeur des dialogues, la transparence des personnages, l'hypertrophie de l'ensemble, son montage fumeux, son esthétique de supermarché ou son discours inexistant. Et le scandaleux orgasme qui nous était promis de s'achever en finition manuelle fatiguée.

 

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