Nos Ridley Scott préférés

Laurent Pécha | 12 novembre 2013
Laurent Pécha | 12 novembre 2013

A l'occasion de la sortie de l'excellent Cartel, ce mercredi 13 novembre, la rédaction d'Ecran Large s'est penchée sur la filmographie de Ridley Scott pour savoir quelle œuvre du cinéaste elle préférait. Pour éviter d'avoir une rafale de redites et que ce dossier serve autre chose qu'à confirmer l'évidence, Alien et Blade Runner, les deux films phares et dates incontournables du 7ème art, n'avaient pas le droit d'être cités. L'occasion alors de confirmer que le réalisateur anglais a eu une carrière bien disparate, peuplée d'œuvres plus ou moins décriées selon les sensibilités de chacun (hormis quelques flops retentissants comme Une grande année, 1492 ou A armes égales pour ne citer que les trois énormes ratés de sa filmo). La preuve, hormis Sandy et Stéphane, nos marines d'élite, personne dans la rédaction n'a choisi le même film.

 

Nicolas Thys : Duellistes

Coup d'essai et coup de maître avec ce film historique, dans la veine de Barry Lyndon d'un point de vue stylistique et doté d'un scénario simple mais maîtrisé, une très belle adaptation de Joseph Conrad. Le film est un duel qui n'en finit pas et il crée une ambiance à la fois drôle et vertigineuse en nous plonge au cœur de l'absurde et des guerres napoléoniennes.

Bonus : Quand Ridley Scott ne fait pas de film, il réalise des publicités monumentales comme celle pour Apple en 1984 où dans un univers futuriste qui fait penser à Blade Runner, il revisite à sa manière les idées véhiculées par l'ouvrage de George Orwell. Amusant et à voir surtout quand on sait ce qu'est devenue la firme près de 30 ans plus tard.

 

 

Patrick Antona : Legend

Film maudit (tournage perturbé, charcutage des producteurs) qui eut à subir un échec commercial au moment de sa sortie en 1985, Legend a depuis gagné ses galons mérités d'œuvre-phare de la fantasy, préfigurant à l'avance le triomphe de la saga du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Au croisement des gravures de Gustave Doré pour sa beauté picturale, de Shakespeare avec son démon tourmenté et tourmenteur (fabuleux Darkness incarné par le génial Tim Curry) et de Walt Disney par sa candeur et son enchantement, Legend ne cesse de fasciner depuis, avec son onirisme et son style visuel rarement égalés au cinéma. Conte de fée naïf (trop diront ces détracteurs), il demeure un spectacle fastueux et intemporel, dont la principale réussite réside en sa matérialisation "crédible" de tout un bestiaire souvent mal exploité : ainsi elfes, gobelins et licornes prennent vie dans une forme esthétique superbement magnifiée par les maquillages spéciaux du maître Rob Bottin, tout ceci avant la vague du CGI propret et des décors virtuels insipides.

 

Laurent Pécha : Thelma & Louise

Road-movie magnifique où le sens visuel et esthétique de Ridley Scott fait merveille (rarement la beauté du paysage américain n'aura été aussi bien mis en évidence), Thelma & Louise fascine et étonne à la fois. Fascination pour ce destin tragique de deux femmes enfermées dans un monde masculin qui ne les reconnaît pas (ou trop tard) à leur juste valeur. Étonnement face au succès retentissant d'un film qui porte en exergue l'échec sans appel du rêve américain. Car, si on rit souvent aux tribulations de nos deux héroïnes interprétées de manière plus qu'admirables par Geena Davis et Susan Sarandon, pas loin de leur meilleur rôle, il ne faut pas être dupe. Ce formidable souffle de liberté qui émane du récit laisse place à une tragédie des plus bouleversantes : oui, Thelma et Louise ont choisi d'être libres mais au prix de leur vie. Le film de Ridley Scott offre ainsi un formidable paradoxe : euphorisant et enthousiasmant mais pourtant terriblement triste et mélancolique.

  

 

Guillaume Meral : Gladiator

Prometheus en faisait office de constat définitif, à défaut d'être vraiment nécessaire : en essayant de renouer avec le statut d'auteur que tout le monde consent toujours à lui accorder, Scott révélait ce qu'il était devenu aujourd'hui, à savoir un faiseur aux chevilles gonflées par la reconnaissance disproportionnée dont il jouit, et qui a depuis longtemps placé son égo artistique dans l'inamovibilité d'un formalisme roboratif en guise de carte de visite. De fait, les raisons concourant à la réussite de Gladiator se trouvent sans doute dans le contexte de sa fabrication. Décrédibilisé suite aux échecs successifs de ses trois derniers films, Ridley Scott est alors condamné au succès pour survivre, et ne trouve rien de mieux pour se faire que de se lancer dans le genre à l'époque désuet du péplum pour remonter la pente. Tout le monde lui prédit un gadin, mais le résultat est là : box-office triomphant, presse unanime, Oscars en pagaille, Gladiator est un coup d'éclat qui relance la carrière de son réalisateur pour la décennie suivante. Comme si, acculé et le couteau sous la gorge, Scott avait puisé dans ses ressources et, sans renouer avec la puissance évocatrice de l'image qui irriguait chacun  des photogrammes d'Alien et Blade Runner, parvenait à ranimer les braises de son cinéma pour conférer une véritable ampleur lyrique à un récit aux proportions finalement assez modestes, mais transcendé par les talents de dramaturge esthétique de son réalisateur, qui offrait un bel écrin à son canevas de tragédie grecque. On attend désormais que l'histoire se reproduise.

 

 

 

 

Geoffrey Crété : Hannibal

Il y a quelque chose de diablement excitant dans le mépris suscité par cette suite du Silence des agneaux, désertée par Jonathan Demme et Jodie Foster. Déboulonné par la critique un an à peine après le phénomène Gladiator, Hannibal ressemble à un trésor d'une finesse et d'une poésie macabre étourdissantes, un magnifique cauchemar éveillé, peint entre ombre et lumière, noblesse et crasse, beauté et perversion. Jamais la monstruosité romantique de Hannibal Lecter n'a été filmée d'une manière aussi raffinée que dans sa chasse face à la superbe Julianne Moore, sur les notes de Hans Zimmer et dans les yeux d'un Ridley Scott habité comme rarement par son histoire. De là à dire qu'il s'agit de son dernier grand film, il n'y a qu'un minuscule pas, tristement franchi par Prometheus et Cartel.

 

 

 

 

Sandy Gillet : La chute du faucon noir

Si la scène d'intro de Il faut sauver le Soldat Ryan a constitué une date (technique) dans l'histoire du cinéma, La chute du faucon noir lui a très facilement emboité le pas repoussant encore plus loin le procédé immersif initié par Spielberg tout en bouclant (temporairement ?) la réflexion sur le rôle des États-Unis dans l'ordre mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Stéphane Argentin : La chute du faucon noir

Filmée avec une incroyable brutalité, cette guerilla urbaine nous cloue à notre fauteuil dès que les tirs débutent tout en tissant en toile de fond une intéressante réflexion sur l'héroïsme et l'interventionnisme US.

  

Perrine Quennesson : Kingdom of Heaven

Quand Laurent nous a dit qu'on ne pouvait pas choisir Alien ou Blade Runner, il aurait pu ajouter Gladiator  (NDLaurent : euh ben non !) tant cette œuvre frôle la perfection autant en terme de storytelling, d'émotions que de mise en scène qu'elle semble trop évidente. Cinq ans après, Kingdom of heaven est arrivé sur les écrans. Ridley semblait avoir rouvert son manuel d'histoire et nous la rejouer Maximus au temps des Croisades. Que nenni. On obtient alors un film un peu bancal sur un seigneur-to-be sans grand charisme et, il faut le dire, un peu ennuyeux. Mais ça c'était avant de voir le director's cut. Allongée de 50 minutes, cette version donne enfin toute son ampleur à ce drame médiéval mêlant habilement clivages politiques, récit initiatique, portrait des Croisades et observation éclairée des religions. Et sûrement le meilleur rôle d'Orlando Bloom (ce n'est pas dur, vous me direz).

 

Simon Riaux : Prometheus

Cartel aurait pu figurer ici en bonne place, mais je lui ai accordé assez d'encre numérique pour revenir sur un autre métrage aussi excellent que bêtement décrié. Certes Prometheus est doté d'un scénario bancal et souffre de personnages sous-écrits, la faute à un certain Lindelof. Mais comme on n'a rien inventé de neuf depuis La Poétique d'Aristote et que Ridley Scott n'a pas vraiment besoin de script pour arpenter l'univers d'Alien, inutile de s'appesantir sur ce défaut somme toute mineur. Car la grande réussite du film, en dehors de proposer au spectateur d'explorer une nouvelle fois un monde jamais intelligemment approfondi par de multiples séquelles, c'est d'en proposer une lecture différente, par le seul biais de la mise en scène. L'horreur maternelle inhérente à la saga xénomorphe cède ici la place à une monstruosité contraire, centrée autour de la figure paternelle, tandis que Scott s'amuse comme un gamin à subvertir cet univers en y ajoutant quelques greffes de Philip K. Dick, grâce à son androïde tout droit sorti de Blade Runner. À la manière de Fassbender, il regarde ainsi son grand œuvre muter sous nos yeux, son ADN profondément modifiée. On est terriblement impatients de découvrir le monstre dont il accouchera.

 

 

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