Festival Saint-Jean-de-Luz : Jour 2

Christophe Foltzer | 10 octobre 2013
Christophe Foltzer | 10 octobre 2013

Pas de doute, nous sommes passés aux choses sérieuses. Au programme de cette très bonne deuxième journée des juifs armés, des femmes kidnappées, les seins de Gabrielle Lazure, des morts, de la solitude, du deuil et la découverte d'au moins deux metteurs en scène à suivre de près.

On commence avec Youth de Tom Shoval, étonnant premier film israélien racontant le kidnapping d'une lycéenne bourgeoise par deux jeunes frères prolo (dont l'un en permission entre deux séances de tir à l'armée) afin d'obtenir une rançon qui permettra à leur famille de se sortir de la merde. Un portrait atypique de cette société, que le grand public (français qui plus est) ne connait finalement pas du tout, où le réalisateur renvoie son pays face à ses contradictions, ses injustices, sa pauvreté, en présentant une jeunesse pas forcément concernée par la religion et le conflit israëlo-palestinien et qui ne se prive jamais de pointer du doigt la génération précédente, dépeinte comme lâche, irresponsable et fatalement condamnée. Une très bonne surprise donc, au discours clair et tenu du début à la fin, servi qui plus est par deux acteurs principaux totalement convaincants et habités par leurs personnages. On pourra reprocher quelques baisses de rythme ici et là mais rien qui ne plombe définitivement le film.

 


 

On continue avec Passer l'hiver d'Aurélia Barbet, librement inspiré de la nouvelle « Nouvel An » d'Olivier Adam. Là, nous sommes déjà plus dans un cinéma d'auteur français avec toutes les craintes que cela peut susciter. Pourtant la réalisatrice nous propose un portrait de femmes brisées plutôt bien vu et dans un rythme lent à la limite de la contemplation par moments (ce qui ne veut pas dire chiant, attention). Gabrielle Lazure étonne dans son rôle de quinqua amochée, dont la mère se meurt et qui bosse de nuit dans une station-service où sa collègue, brillamment interprétée par Lolita Chammah, l'observe, cherche son attention. D'une durée très courte (1h20 générique compris) le film n'est pas exempt de défauts, notamment un déséquilibre entre les deux parcours (passionnant dans le cas de Gabrielle Lazure, plus attendu et donc forcément moins intéressant pour celui de Lolita Chammah), quelques facilités scénaristiques et une propension à tirer en longueur certaines scènes qui ne le méritent pas forcément, mais rattrape ces scories en proposant une galerie de personnages crédibles épuisés par la vie et des dialogues dans l'ensemble bien sentis.

 


 

Séance de rattrapage pour The Lunchbox, film indien de Ritesh Batra, sans chansons et de moins de 4h, et première petite claque. Narrant les aventures d'une femme délaissée qui prépare chaque jour le repas de son mari et qui se rend compte que la fameuse lunchbox n'est pas livrée à la bonne adresse, le film est une habile histoire d'amour entre deux personnes esseulées, enfermées dans leur solitude (décidément une constante de la sélection) qui vont apprendre à se connaître via des plats cuisinés et des petits mots subtilement planqués dans la bouffe. Outre l'exotisme de la société indienne (pourtant très loin de l'image qu'en donne Bollywood par exemple), le métrage émeut grâce à ses comédiens parfaits, son ambiance (tant visuelle que musicale) léchée et sa maîtrise technique impressionnante pour un premier film. N'évitant pas quelques clichés inhérents au genre de la rom'com, The Lunchbox les dépasse heureusement très vite pour se concentrer davantage sur ses personnages que sur de possibles situations comiques et/ou émouvantes et arrive avec une facilité déconcertante à nous faire passer toute l'émotion de son histoire par de simples gestes, de discrets sourires et regards. Bref, Ritesh Batra réalise un excellent premier film et on attend avec impatience qu'il transforme l'essai.

 

 

Enfin, LA surprise de cette deuxième journée, La pièce manquante de Nicolas Birkenstock, avec Philippe Torreton. L'histoire d'un père de famille abandonné par sa femme qui doit s'occuper de ses enfants, de son boulot, tout en cherchant une explication à ce qui vient de se passer. Tous les ingrédients sont réunis pour se dire qu'on va encore assister à un film d'auteur fraaaaaançaiiiis un peu chiant, un peu pompeux, mal branlé et mal joué. Sauf que non, miracle. Nicolas Birkenstock maîtrise son sujet et décide d'apporter une touche de vrai cinéma dans ce genre sclérosé et moribond. Et ça fait sacrément du bien de voir un jeune réalisateur qui fait autant attention à ses personnages qu'à sa mise en scène, qui se sert de la forme pour intensifier le fond, qui n'hésite pas une seule seconde à tutoyer le métaphysique pour illustrer le parcours psychologique de cette famille en voie de destruction. Le film propose une lumière absolument magnifique, un Philippe Torreton à contre-emploi franchement excellent, une partition envoûtante... Bref, c'est à un petit coup de cœur que nous avons affaire. Evidemment, tout n'est pas parfait : quelques séquences sont en-deçà du reste (notamment les deux en caméra épaule, bien violentes et qui coupent légèrement le spectateur du film), quelques personnages secondaires semblent un peu fades. Mais pour un film à moins d'un million d'euros, on ne peut qu'être admiratif du travail accompli, de l'ambition d'un réalisateur qui semble avoir les épaules suffisamment solides pour être à la hauteur. Ce film est beau, émouvant (saloperie de dernière scène), touchant, prenant et il rassure quant à la santé de notre jeune cinéma. Quoi qu'il en soit, qu'on adhère ou non à ce qui nous est proposé ici, Nicolas Birkenstock est un réalisateur à suivre de très près.

 


 

On espère que la suite de la sélection soit du même niveau qu'aujourd'hui. Vivement demain.

 

PS : Pas de nouvelles concernant la voiture des gentils dans Fast 7, je commence à m'inquiéter. Sinon, Pécha a un sosie basque, un poissonnier / animateur FM assez touchant (NDR, voilà un scoop bien plus excitant que toutes les news sur Fast 7, il y a un donc un mix entre Clooney et Gosling qui vante comme Ordralfabétix la fraîcheur de son poisson sur les marchés basques).

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