Deauville 2013, la vie en blue

Simon Riaux | 2 septembre 2013
Simon Riaux | 2 septembre 2013

Comme l'expliquaient nos camarades Huby et Foltzer dans un délicieux et récent article, le cinéma américain c'est bien. Fort de cette analyse inattaquable et pertinente, la team EL s'empressa d'envoyer votre serviteur en villégiature du côté du 39ème Festival Américain de Deauville. Présent à peine quelques dizaines d'heures, la faute à un emploi du temps de ministre sur le chemin de la guerre, il ne lui en fallut pas plus pour prendre le pouls d'une des manifestations culturelles les plus reconnues de l'hexagone.

 

 

 

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Deauville est en forme. Riche d'une programmation éclectique, d'une organisation solide et d'une ambiance de folie (pour qui goûte le charme discret de la bourgeoise ménoposée), le Festival nous en fit voir de toutes les couleurs. À commencer par le bleu, clairement mis en avant cette année, avec pas moins de trois œuvres emblématiques de cette tendance chromatique, sur laquelle nous reviendrons en détail. Le rouge n'était pas en reste non plus, grâce à un tapis foulé aux Berlutis par tout ce que le Septième Art compte d'étincelants artistes. On put ainsi croiser en soixante-douze petites heures des cadors tels que Michael DouglasSteven SoderberghCate BlanchettRoland EmmerichQuentin DupieuxÉric JudorChanning TatumJamie Foxx, quand bien d'autres sont encore attendus dans cette cité qui, n'en déplaise à Michel Audiard, n'attire pas en été que les vieux cons.

On l'a souvent répété sur Ecran Large, la conférence de presse est un exercice frustrant, rarement très constructif et dévoué à la promotion, seule activité que maîtrisent véritablement les comédiens, à une époque où même les plus impliqués d'entre eux voient leur parole cadenassée par des armées de publicistes zélés. Nous fûmes d'autant plus surpris et ravis d'assister à une série de rencontres aussi impeccablement organisées que vivantes, pour ne pas dire spirituelle (faut pas pousser non plus).

Ainsi, la première à laquelle nous assistâmes, à l'honneur de l'hommage que Deauville rendait à l'impériale Cate Blanchett, fut l'occasion de constater qu'il existe encore des acteurs véritablement concernés par les œuvres dans lesquelles ils jouent, les comprennent, et mieux encore, sont avides d'en parler. Et Dame Blanchett d'évoquer son parcours au théâtre, son implication dans des pièces telles que Les Bonnes de Jean Genet, qu'elle interprète aux côtés d'Isabelle Huppert, le rôle des femmes chez Tenessee Williams, ou dans le théâtre russe. Tout cela sans oublier d'évoquer sa collaboration récente avec Woody Allen, et l'opportunité de collaborer avec le maître pour un portrait de femme tel qu'il n'en avait plus réalisé depuis des décennies.

 

On se régala également de l'énergie mordante et décalée de l'équipe de Wrong Cops, emmenée par un Quentin Dupieux on the rocks, l'œil vif et la barbe fleurie. Soutenu par un wingman stellaire en la personne d'Éric Judor, suivi de près par Mark Burnham, ce non glabre de haut vol offrit à un parterre de journalistes-blogueurs-et-gens-qui-sont-là-parce-que-c'est-cool-quand-même la preuve par l'absurde qu'il réside dans ses outrances plus de cinéma que dans la dernière excrétion de Guillaume Canet. On a bien rigolé, raconté beaucoup de conneries, et on se serait presque souvenu que pour faire un film, il suffit d'une bande de joyeux énervés, et d'un type avec une caméra qui n'en veut.

Mais rien de tout cela ne nous avait préparé à la folie White House down. C'est après avoir traversé un tapis rouge recouvert de petites culottes et autres stérilets retirés à la vite que Tonton Roland, Channing Tatum et Jamie Foxx purent rejoindre leur estrade. Au travers d'une foule de journaleux, où s'étaient introduites quelques blogueuses jeunes filles humides comme un mois d'octobre, jaillirent une tripotée de questions des plus classiques et conformes à l'exercice. Nous apprîmes de la bouche de Channing la probable mise en chantier d'une séquelle à Magic Mike (mythomanie ? Humour ? Alcool ?), et de celle de Foxx une nouvelle cruciale pour l'avenir du monde : Obama adorerait White House down, au point de le regarder en boucle. Et d'attaquer la Syrie ?

Mais ce n'est pas tout de côtoyer le gratin du Septième Art, de bronzer avec les stars, jouer à la roulette russe en trombinant une deauvilloise à chapeau, il faut bien voir les films. Et pour le coup, le Festival nous a choyé avec une programmation d'assez haute volée, et ce, dès les premiers jours. On ne reviendra pas trop longuement sur Ma Vie avec Liberace, duquel la team EL s'était amouraché lors de sa présentation cannoise, sinon pour dire que l'émotion palpable d'un Michael Douglas en état de grâce et celle, plus discrète, retenue, mais néanmoins présente d'un réalisateur prolifique, brillant et dispersé ont jeté sur cette 39e édition un voile à la fois solennel et lumineux. Il y avait dans cette ouverture quelque chose d'ineffable et euphorisant, qui tenait autant de l'adieu que de la renaissance. Un sentiment qui se prolongea avec la présentation de Blue Jasmine, œuvre surprenante d'un Woody Allen doux-amer, porté par une comédienne à l'ampleur tout bonnement sidérante, l'australe Cate Blanchett.

Fidèle à sa réputation de découvreur de talents, le Festival ne réservait pas ses ors qu'au Panzer teuton et sa destruction massive de Maison blanche, puisque nous eûmes l'occasion de découvrir quelques œuvres autrement plus modestes (et inspirées). Ce fut le cas du remarquable Blue Caprice, de Alexandre Moors, frenchie installé depuis une décade aux États-Unis, accueilli pour présenter le récit d'un fait divers célèbre et tétanisant, soit la descende aux enfers du duo que l'histoire devait retenir comme les Snipers de Washington. Graphique – dans le véritable et bon sens du terme- tout autant que vénéneux et inspiré, le film évite l'écueil de « l'œuvre-Wikipédia », en se gardant de jouer la carte du dévoilement et de l'explication empirique. Subtil, souvent aérien, le métrage porte en lui quelque chose de Truman Capote, une humanité vibrante, qui jamais n'excuse ou ne justifie, mais ne craint pas de faire corps avec ses personnages pour leur donner vie. Dans un autre genre, le documentaire Our Nixon apportera à tous ceux qu'intéresse la mythologie politique américaine un objet d'étude à la fois clair, fascinant et ludique. Soit le montage de quantités d'images et d'enregistrements audios inédits, qui dévoileront autant qu'ils épaissiront l'énigme d'un chef d'État qui précipita symboliquement son pays dans un âge de ténèbres idéologiques dont il n'est jamais tout à fait sorti.

 

 

Enfin, toujours dans la catégorie des claques, Deauville avait cette année sous le coude un film aussi furieux qu'adorable, source d'un plaisir qu'on aurait tort de qualifier de coupable. À l'heure où l'internationale Geek et un certain relativisme cinéphile autorise à étreindre le genre pour peu qu'on le moque ou prétende le tirer vers des sommets supposés respectables, Les frères Miller nous gratifient avec Sherif Jackson du western le plus jouissif vu à l'écran depuis un paquet d'années. Loin des scories grotesques d'un Django Unchained, l'œuvre s'avère d'une efficacité diabolique, qui ne prend jamais le pas sur une science du découpage chirurgicale, ni sur l'intelligence de l'écriture. En choisissant tout simplement d'être un western d'exploitation violent, rageur et sexy plutôt que de rendre hommage à un pan du cinéma qui n'en demande pas tant, Sherif Jackson s'avère également le meilleur film découvert à Deauville cette année. À noter pour les aficionados de January Jones, une bonne grosse rupture du corps caverneux nerf optique à prévoir.

 

Quant au Wrong Cops de Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo, s'il ne révolutionnera pas l'image que nous nous faisons de cet homme orchestre et trublion musical, il confirme tout le crédit qu'il convient d'apporter à ses travaux. Sa dernière folie s'apprécie les pieds en éventail, menotté à une poupée gonflable et un litron de mezcal à portée de main. Libre et libérateur, foutraque et pataphysique, c'est avec délice que l'on suit les débordements scabreux d'une troupe d'anti-flics qui feraient passer Police Academy pour un doc de Depardon.

On en s'attardera pas sur la relative déception que fut Upstream Color, un très joli fourre-tout inutilement compliqué et bêtement prétentieux de l'auteur du remarqué Primer, pas plus qu'on ne s'acharnera sur le tout pourri Blue Ruin et sa tronche de piège à festivalier. On vous conseillera plutôt de quitter votre boulot, d'abandonner vos enfants, de larguer votre femme et de décoller pour Deauville. En effet, vous y attendent Tilda SwintonNicolas CageLarry ClarkGale Anne HurdVince Gilligan (showrunner de Breaking Bad, invité à donner une master class) et John Travolta, pour ne citer qu'eux. Si vous prenez votre voiture tout de suite, peut-être parviendrez-vous à rattraper une projection du Majordome du nullissime Lee Daniels (mais c'est ptêtre bien, hein, qui sait), à moins que vous ne préfériez à raison découvrir All is lost, The Necessary death of Charlie CountrymanLes Amants du Texas, ou l'immensément attendu SnowPiercer.

 

Enfin, le présent article ne saurait se conclure sans l'éloge des équipes du Public Système. Alors que la team EL a déboulé dans ce qu'il convient d'appeler une souveraine improvisation, elle a été accueillie, choyée, chouchoutée et accréditée avec un professionnalisme, une réactivité et une gentillesse d'autant plus remarquables que votre serviteur a débarqué comme un cheveux de Demis Russos dans la soupe d'un grand chef italien. C'est donc le cœur gros d'être déjà de retour dans la Capitale que nous adressons un grand merci à tous ceux qui nous ont accueillis et travaillent encore à faire de cette 39ème édition un grand moment de cinéma.

 

 

 

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