La rédaction vote pour ses Palmes d'or préférées

Laurent Pécha | 15 mai 2013
Laurent Pécha | 15 mai 2013

A l'heure où débute aujourd'hui la 66ème édition du Festival de Cannes, la rédaction d'Ecran Large a planché pour élire ses Palmes d'Or du coeur. Le choix fut loin d'être simple et on ne compte pas les échanges de mails de certains rédacteurs tentant de mendier des palmes ex aequo ("y a bien des jurys dans l'Histoire qui l'ont fait, pourquoi pas nous hein ?"). Mais, rien n'y a fait et le verdict est tombé. Surprise, alors que les doublons étaient autorisés, on ne retrouve que peu de films cités plusieurs fois. A noter que les trois longs-métrages qui sont concernés par un double plébiscite, ont tous la même nationalité : américaine. Et vous, quel aurait été votre choix ? 

 

Patrick Antona : Blow up - Palme d'Or 1967

Film qui parmi les premiers parle si bien de l'emprise du virtuel sur le réel (la recherche du détail photographique signifiant la perte de repère d'une société pour qui désormais l'abstraction prime sur le réel), Blow up a sûrement pris un petit coup de vieux mais garde encore cette acuité qui lui a permis de gagner une Palme d'Or méritée en 1967. La peinture du swinging London, du mouvement psychédélique et du monde artistique de l'époque, cette vision acérée et réaliste (qui n'évite pas la condescendance parfois) sur un monde en plein changement s'articule parfaitement avec une intrigue dont on ne saura jamais le fin de l'histoire (comme d'habitude chez Antonioni) et le portrait d'un artiste/technicien qui glisse vers la parano. Anticipant de quelque décennies et avec génie l'avènement du virtuel et l'emprise de l'image sur le conscient, même si celle-ci n'est qu'une construction de l'esprit, Blow up a connu une postérité d'autant plus remarquable qu'il a inspiré deux des metteurs en scène des plus emblématiques des années suivantes, à savoir Dario argento et Brian de Palma dont le Blow Out de 1981 est un des avatars les plus virtuoses qui soit.

 

Allan Blanvillain : Kagemusha, l'ombre du guerrier - Palme d'Or 1980

Akira Kurosawa revient de loin. Celui dont les chefs d'œuvre se comptent par dizaines tels Rashomon ou Les Sept Samouraïs n'a failli jamais remporter la palme d'or en 1980. Et pourtant quelle palme ! À égalité avec Bob Fosse et son All that jazz, Kagemusha, l'ombre du guerrier marque le grand retour du cinéaste après dix ans de traversée du désert. Faute de moyen, Kagemusha n'est qu'une série de peintures lorsque Francis Ford Coppola et George Lucas, deux des plus grands admirateurs du cinéaste nippon, décident de lui donner un petit coup de main. Résultat : une des plus grandes fresques épiques sur le Japon médiéval jamais tournée. Scènes de batailles grandioses, tragédie shakespearienne sur fond de réflexion sur le pouvoir, Kagemusha est devenu une référence aussi bien pour la qualité de son intrigue que pour la beauté de ses images. Plus de trente ans après, le film reste encore inégalé.

 

Jérémy Ponthieux : Paris, Texas - Palme d'Or 1984

Film américain irrigué par la délicate sensibilité d'un européen (d'un allemand pour être un peu plus précis), Paris, Texas est un film de frontières infranchissables qui touche à l'universalité des émotions les plus pures, des douleurs les plus béantes. L'introduction désertique est moins une manière de revisiter le mythe Fordien que de nous faire ressentir la déchirante solitude d'Harry Dean Stanton, ici au sommet de son art d'acteur, pour qui le chemin de croix passera par une reconstruction humaine difficile. Et que dire de ce dernier quart sous forme de conversation vitrée, dont la mise à nue entre deux amants paumés constitue sans doute un des plus beaux morceaux de pelloche de la décennie 80. Les larmes qui s'en suivent, accompagnements naturels du spectateur au long-métrage, confirment en tout cas l'importance d'un film un peu trop souvent négligé.

 

Tonton BDM : Apocalypse now - Palme d'Or 1979

Il est des films devant lesquels on se sent tout petit. Apocalypse now est de ceux-là. Poignant, riche, bouleversant, le film de Coppola n'est pas à proprement parler un film sur la guerre du Vietnam, mais une parabole sombre et définitive sur le genre humain, montrant, sous des airs de quête initiatique portée par les eaux du Nung, un homme entrer dans la peau d'un autre, afin de finalement devenir une abstraction (un dieu ?) dont le sort tragique est malheureusement écrit à l'avance. Avec ses séquences doucement hallucinées et son interprétation sans faille, le film est appelé à régner sur le cinéma contemporain pour de longues années encore, tant que le spectateur pourra s'identifier à la lancinante voix-off du film et, à l'instar de Martin Sheen durant le film, devenir Kurtz en l'espace de trois heures.

 

Stéphane Argentin : Apocalypse now - Palme d'Or 1979

Non content de nous offrir l'une des séquences les plus anthologiques du Septième Art (la mythique scène de l'attaque du village sur fond de Chevauchée des Walkyries), Apocalypse now n'est ni plus ni moins que l'un des longs-métrages les plus marquants du cinoche dans sa dénonciation du plus grand bourbier militaire de l'Histoire des États-Unis et, par extension, de la Guerre avec un « G » majuscule et de l'aliénation qu'elle engendre. 

 

Vincent Julé : Sexe, mensonges et vidéo...  - Palme d'Or 1989

Parce qu'une telle Palme d'or ne serait peut-être plus possible aujourd'hui. Sorti de nulle part, un gamin de 26 ans présente son premier film, écrit en huit jours et produit pour un million de dollars. Merveille d'inventivité et de perspective, Sexe, mensonges et vidéo a considérablement participé à la reconnaissance du cinéma indépendant américain. C'était les années 90 et il a changé à tout jamais le visage de Hollywood. Son réalisateur Steven Soderbergh en est le témoin privilégié, sa filmographie aussi, et avec la présentation de son "dernier" (télé)film Ma vie avec Liberace cette année, la boucle est bouclée.

 

Louisa Amara : Pulp fiction - Palme d'Or 1994

En 2012, Amour de Michael Haneke remportait la Palme d'Or. Un film beau mais lent, mortifère, à l'image des dernières palmes depuis près de 10 ans. Mais souvenez-vous en 1994, Client Eastwood, président du jury et ses comparses récompensaient Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Un film où régnaient les références, l'humour, l'action, la violence et l'hémoglobine. Un film couillu ! Depuis les films de genre aussi radicaux, comme Drive, recueillent l'éloge de la critique, du public, mais pas la Palme, juste le prix de la mise en scène. Ce qui est déjà prestigieux, mais gageons cette année qu'avec Spielberg comme président du jury, on aura des surprises. 

 

Didier Verdurand : Pulp fiction - Palme d'Or 1994

Après avoir révélé Quentin Tarantino avec Reservoir dogs (hors compétition deux ans auparavant), le festival de Cannes décide d'en faire officiellement son chouchou en lui offrant une Palme surprise.  Le président du jury révélera plus tard que sa préférence allait au film chinois (Vivre de Zhan Yimou). Manifestement, Eastwood écoute plus son jury qu'Isabelle Huppert. N'oublions pas que derrière chaque Palme se cache un jury, et ses histoires...

 

Guillaume Meral : Barton Fink - Palme d'Or 1991

Palme d'or, prix de la mise en scène et prix d'interprétation masculine pour John Turturo. Le dithyrambe sans réserve du jury présidé par Roman Polanski pour Barton Fink en 1991 marque une époque qui semble décidément bien loin aujourd'hui, celle où la Croisette pouvait se targuer de faire briller les talents appelés à définir les tendances, avant que les autres ne songent même à leur  reconnaître quelques compétences. Deux avant Tarantino, c'est donc les frères Coen qui accaparèrent les spotlights cette année-ci, avec leur variation hypnotique sur l'angoisse de la page blanche et l'aliénation mentale qui en découle. Désireux d'être le héraut d'une réalité qu'il contemple du haut de son piédestal (le fameux « homme de la rue »), le héros va progressivement perdre contact avec celle-ci à mesure que ses doutes et ses contradictions ne l'attirent dans une spirale psychologique infernale. On peut y déceler un tacle indirect à une certaine culture de l'élitisme en vogue dans le festival, goutte d'eau dans la richesse foisonnante d'une œuvre qui contribuera à cimenter l'aura des frères Coen dans le paysage contemporain.

 

Nicolas Thys : Barton Fink - Palme d'Or 1991

Film immense sur le cinéma et l'acte de création, Barton Fink arrive à un tournant dans la carrière des frères Coen. C'est leur quatrième film en six ans, et leur gout pour les classiques hollywoodiens ne se dément pas. Les influences de Preston Sturges sur Arizona Jr. sont flagrantes et Miller's crossing rappelle les films de gangsters des années 30. Barton Fink va, en quelque sorte, au-delà de ces œuvres précédentes. Il en sort afin de montrer l'envers d'un décor et les rouages d'une machine en carton-pâte, sans cesse sur le point de s'écrouler et adaptable à volonté : celles des Coen eux-mêmes, de leur propre folie, de leurs peurs et de leurs rêveries en partie surréaliste, et celle d'Hollywood que les deux frères reprennent tout en détournant la plupart de ses codes.
Si la palme n'est que le reflet du gout de quelques personnalités qui changent chaque années, Barton Fink est un choix rêvé puisqu'il met ceux qui font le cinéma, les hollywoodophiles et les autres, ceux qui hantent les couloirs de Cannes en face d'une part de leurs désirs et de leurs angoisses...

 

Perrine Quennesson : La Leçon de piano - Palme d'Or 1993

Ce chef d'œuvre de la néo-zélandaise Jane Campion parvient à manier avec perfection les émotions, à mêler avec justesse la mise en scène et la musique. Drame poignant, le film ne tombe jamais dans la caricature des sentiments, ni dans le pathos plaintif. Au contraire, l'histoire, très simple, parvient à dévoiler des trésors de sensualité, à la limite de l'érotisme lorsque l'on aborde l'instrument cité dans le titre, mais aussi à offrir une gradation dans le ressenti des personnages, en adéquation avec celui du spectateur. Mais cet accomplissement n'est pas qu'à l'écran, c'est aussi celui de Jane Campion elle-même, qui est la première femme récompensée d'une Palme d'Or (et même une double puisque son court-métrage An Exercise in discipline - Peel est lui aussi palmé) et toujours la seule. C'est donc une réussite totale car en plus d'être un exemple dans son domaine, elle est une pionnière. D'ailleurs cette année, à Cannes, celle qui sera la présidente du jury de la Cinéfondation et des courts-métrages va recevoir un Carrosse d'Or pour saluer l'ensemble de son travail.

 

Mélissa Blanco : Les Parapluies de Cherbourg - Palme d'Or 1964

1964, le jury du festival de Cannes, présidé par le cinéaste Fritz Lang, décerne la palme d'or aux Parapluies de Cherbourg, chef d'oeuvre en-chanté de Jacques Demy. Si le film est effectivement entièrement chanté - pas un dialogue -, l'histoire a au contraire tout du désenchantement. Malgré les airs entêtants de Michel Legrand, les papiers peints colorés de Bernard Evein, les robes vives de Catherine Deneuve, Les parapluies de Cherbourg suit l'impossibilité d'un amour de jeunesse, condamné par la guerre d'Algérie. Une histoire de mère et de fille, de mère-fille et de fille-mère, d'un départ, d'une attente et d'un retour, d'un musical qui n'a rien d'une comédie. Un crève-coeur magistral.

 

Sandy Gillet : Le Troisième homme - Palme d'Or 1949

Rare film noir à ne pas être d'origine américaine, Le troisième homme est pourtant et sans conteste l'un des fleurons du genre. La « faute » à une intrigue de haute volée ayant pour décor et acteur central un Berlin post apocalyptique qui n'en finit plus d'expier les fautes des hommes. Le troisième homme est aussi de par sa photo un hommage vibrant au cinéma expressionniste allemand d'avant-guerre que la présence d'Orson Welles en « personnage de la nuit » a longtemps contribué à l'identifier comme un film réalisé par ses soins. C'est dire si finalement Carol Reed a réussi son coup...

 

Laurent Pécha : Le Salaire de la peur - Palme d'Or 1953

Les cocoricos au firmament du palmarès de Cannes qui (me) font vraiment plaisir se comptent sur les doigts d'une main. En tête de liste figure le film de Clouzot, modèle de suspense qui n'a pas, mais alors pas pris une ride. Durant plus de deux heures, on est au coeur de ces camions qui transportent de la nitroglycérine pouvant sauter à chaque choc impromptu. Et nous de souffrir le martyr comme Vanel et Montand à se demander comment éviter que tout ceci finisse mal. L'identification est totale, la tension aussi et Cannes de palmer l'un des films les plus ouvertement accessibles à l'ensemble de la population cinéphage. Depuis, on regrette le peu de films qui prolongent cet état de fait au prestigieux palmarès cannois.  

 

 

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