Jason Statham, le kickeur flegmatique

Guillaume Meral | 18 avril 2013
Guillaume Meral | 18 avril 2013

C'est un fait : malgré le fait qu'il demeure l'un des rares action hero d'envergure ayant émergé ces dernières années, Jason Statham continue de soulever le scepticisme de certains qui peinent à lui reconnaître sa légitimité, notamment eu égard à la qualité il est vrai toute relative de sa filmographie .Suivant son petit bout de chemin depuis 10 ans, dans une conjoncture pourtant peu favorable aux bourrins bourrus et monolithiques, Statham est paradoxalement  le seul acteur à avoir confirmé sa stature sur la durée, même si ses performances récentes au box-office laissent pointer l'hypothèse d'une lassitude du public envers le kickeur british. Et surtout il est également le plus dur à catégoriser. En effet, là où les filmographies de Vin Diesel ou Dwayne Johnson  transpirent une linéarité découpée par étapes, l'histoire de leur carrière imposant d'elle-même sa structure au journaliste chargé de la relater, celle de Statham s'apparente plutôt à une longue série de fausses pistes et de détours jalonnant un chemin plus sinueux qu'il n'y paraît. De fait, là ou ses collègues « poids lourds » (au propre comme au figuré) semblent avoir essayé de s'émanciper de l'image qui leur avait été façonnée sur mesure avant de rentrer dans le rang (à leurs condition cependant, surtout en ce qui concerne Dwayne Johnson), Statham lui semble tranquillement jouer sa partition. Sans discontinuité, ni coup d'éclats susceptibles d'attirer l'attention plus que de raison, mais avec une constante : embrasser son époque dans tout son éclectisme, ses tendances contradictoires, ses lubies les plus improbables. Bref, avec la conscience de l'impossibilité de rentrer tout à fait dans un moule façonné à une époque différente par les éternels nostalgiques du « c'était mieux avant ».

 

Le particularisme de Statham résonne dès une entrée dans le milieu du 7ème Art résolument atypique, à plus forte raison avec son statut actuel de star du cinéma musclé. Repéré dans la rue par Guy Ritchie par la gouaille dont il faisait preuve en tant que vendeur à la sauvette, Statham se retrouve à l'affiche des deux premiers films du plus post-tarantinien des réalisateurs anglais, à savoir les sympathiques Arnaques, crimes et  botanique, et Snatch. Deux œuvres qui lancent les carrières respectives des deux compères, le second imposant un personnage d'escroc sympathique, dont la mine renfrognée et la dégaine  de petite frappe flegmatique est loin de préfigurer la suite des événements.

Après des seconds rôles dans The One et Ghost of Mars, séries B dans lesquelles l'anglais ajuste son jeu aux exigences de récits codifiés tout en continuant d'explorer différentes nuances de son registre de grande gueule bravache, il effectue un virage à 180° avec Le transporteur. Un virage, puisque si les films de James Wong et John Carpenter ont préparé le terrain en imprimant discrètement la silhouette de l'acteur dans un univers résolument physique, Le transporteur transpose l'acteur dans un répertoire désormais appelé à lui coller à la peau. Taciturne, mutique, monolithique, mais sans jamais se départir de ce flegme spontané lui permettant de personnaliser un archétype pourtant balisé, Statham effectue sur le film de Corey Yuen et Louis Letterier pratiquement l'inverse de ce que lui demandait Guy Ritchie. Or le succès du film, et sa déclinaison en franchise, vont contribuer à segmenter le champ d'action de l'acteur dans l'inconscient populaire.

En manque de kickeur charismatique susceptible d'apporter du renouveau à un domaine quelque peu déserté depuis la descente au purgatoire du DTV des gloires déchues du genre (Steven Seagal, Jean-Claude Van Damme, Wesley Snipes...), la starification de Jason Statham se pose en véritable aubaine pour les producteurs et réalisateurs désireux de monter des films d'action de série sur un nom. De fait, hormis une incursion dans le cinéma à gros budget en tant que second rôle dans Braquage à l'italienne, la trajectoire de Statham se trace à son insu. Les blockbusters maousses budgétés à 150 M de dollars, les univers fastueux et les mythes bigger than life appelés à s'inscrire dans l'inconscient populaire, ce ne sera pas pour lui. Le créneau de Statham, c'est le petit-moyen budget qui tape dans une fourchette de 20 à 40 millions de dollars sur le sol américain et fait son beurre à l'international ; la série B confortable qui mise autant sur sa seconde vie dans les bacs DVD que sur sa destinée en salles.

Davantage l'équivalent d'un Jean-Claude Van Damme période 90's que d'un Sylvester Stallone, Statham assume son statut d'outsider au sein d'une série d'œuvres dans lesquelles son jeu se rigidifie progressivement autour de ses gimmicks habituels. Et tout comme ses prédécesseurs, l'acteur s'engouffre dans la brèche d'un cinéma d'exploitation appelé inévitablement à porter les stigmates de son époque, comme pour l'amarrer à une période circonscrite de l'histoire. Là réside à la fois sa force et sa faiblesse, puisqu'il évolue dans un genre dont l'âge d'or fut écrit à une période qui inscrit son abécédaire dans un imaginaire bien défini par les gardiens du Temple autoproclamés. De fait, on impute à l'acteur et sa personnalité les maux de toute une époque qu'il ne fait que traverser. La bouillie numérique du Transporteur 2 ? Signe des temps. Un remake troquant la transgression de son modèle contre la vulgarité d'une imagerie contemporaine avec Course à la mort ? D'autres l'ont fait avant lui. Le viol de l'essence du mythe de l'action héro, devenu pour l'occasion un chippendale réduit à singer ses caractéristiques autrefois iconiques au bon vouloir des fantasmes d'enterrements de vie de jeune fille avec Le transporteur 3 (voir la scène de baston dans le garage, où il se fait littéralement objetifier par l'argument féminin de rigueur) ? C'est moche et ça piétine  la mémoire d'un patrimoine antédiluvien, mais ça ne fait qu'emboîter le pas de la route empruntée par James Bond. Dans une pure logique d'exploitation, on émule et vulgarise ce qui a fonctionné ailleurs.

Cette réserve, son statut d'action-hero contemporain ne fait plus aucun doute dans l'esprit de la plupart des spectateurs lamdas (après tout, il faut vivre avec son temps). Pourtant, Statham s'ingénie à dévier de la route que la série des Transporteur et autres Rogue semblent lui tracer. Il pourrait se contenter de son image d'icône de série B, mais son caractère ne saurait se satisfaire d'une étiquette le cantonnant à un cinéma trop réducteur. La sédition prend forme d'une part, en cautionnant les projets les plus improbables par sa présence, comme l'impayable Revolver de Guy Ritchie (que l'acteur a défendu becs et ongles à sa sortie), mais surtout le dyptique Hypertension, que l'on pourrait cataloguer dans le registre du « fucked-up movies », à défaut de définition plus adéquate. Ici, Statham continue son numéro de bad-ass, mais il le joue en dehors des clous, et les aspérités conceptuelles émanant de sa présence même en tête d'affiche (un tueur de mauvaise humeur, qui fout le dawa en bottant des culs) se voient subverties par la dégénérescence du délire dans lequel l'entraîne les réalisateurs. Purs produits d'une époque confondant régression et transgression, les deux Hypertension ont le mérite de témoigner de l'absence d'inhibitions de leur acteur principal, visiblement prêt à faire n'importe quoi tant que le délire le justifie. Bref, son image de marque, le Jason il s'en bat un peu les cahouètes..

Cette volonté de ne pas s'enfermer dans un carcan trop rigide profite bien de la nationalité britannique de l'acteur, qui bénéficie de la solution de repli que lui offre un cinéma à la sensibilité différente. Outre Revolver, c'est avec Braquage à l'anglaise et Blitz que Statham s'en est parti retrouver les joies du film de genre à la british. Deux films qui, sans être exempts de défauts, ni même se hisser franchement au dessus de sa carrière américaine, témoignent néanmoins de sa propension à faire corps de manière plus organique avec un décorum épuré d'artifices trop ostentatoires. Incontestablement, l'ancrage dans une certaine réalité urbaine sied mieux à l'acteur, plus naturel quand il s'agit de respirer les effluves du bitume qu'en arpentant des contrées revendiquant leurs décalages.

Dès lors, il n'est guère étonnant que la pépite enveloppant sa filmographique sous sa lumière étincelante n'est autre que le film qui aura su conceptualiser la dichotomie de l'acteur pour en réconcilier les deux tendances. Pur polar urbain revendiquant ses racines dans un patrimoine cinématographique connoté 70's, Safe permet à Statham de se fondre dans un décor fait pour lui (New-York n'avait pas été aussi bien filmé depuis des années), tout en poussant l'idée même du « Statham movie » dans une frénésie qui n'a d'égal que l'ingéniosité de sa narration (voir le mano à mano avorté du final, en forme de pied de nez aux attentes du public). Rien de moins que l'un des films d'actions les plus réussis de ces dix dernières années, et la meilleure performance de l'acteur à ce jour.

L'un des plus inestimables attributs de tout bon action hero qui se respecte réside dans sa capacité à dissocier son aura de la qualité des films dans lesquels il joue. Sacerdoce des acteurs du genre de devoir sa renommée à une carrière composée de longs-métrages dont l'importance ne dépassera jamais celle de son propre nom. Sans doute est-ce à la conscience de cet état de fait que l'on doit sa propension accentuée depuis peu à s'investir dans des projets plus mainstream, qui ne tournent plus uniquement autour de sa seule personne.

The expendables et sa suite incarnent le mieux cette volonté de jouer collectif, tout  en lui accordant la consécration en le faisant rejoindre le panthéon des stars du cinéma d'action (en dépit de l'avis des grincheux). Là encore, on peut exprimer la dualité stathamienne à l'aune des différences qui parsèment le montage salles de The expendables de son director's cut : à la succession de figures de styles figées dans leurs évocations référentielles du premier, le second délaye les interactions entre les personnages, humanisant des archétypes désormais faillibles. Un fossé qui profite grandement à Statham et à son personnage, aux contours dès lors beaucoup mieux esquissés.

Dans un autre registre, les Killer elite, Le flingueur ou Parker témoignent de sa volonté de partager la vedette avec des acteurs de renoms (Clive Owen, Donald Sutherland, Michael Chicklis...), tout en versant dans un cinéma aux aspirations moins campy qu'à l'accoutumée. Des tentatives louables mais infructueuses, tant cette quête de normalisation se heurte à des narrations qui finissent in fine par capitaliser sur sa présence en cédant aux codes qui lui sont associés, au point de reléguer ses partenaires au rang de figurants de l'écriture emphatique entourant les personnages qu'il incarne.

Jason Statham, prisonnier de sa condition ? Si les projets comme Safe ne courent pas les rues, les futurs (donc son éventuelle participation en tant que méchant à Fast and furious 7) devraient lui permettre de parvenir à ses fins, et de ne pas devenir cette icône de série B interchangeable que ses détracteurs se plaisent à pointer du doigt. Une desitinée auquelle son rythme de tournage effrené peut se révéler autant comme sa planche de salut que le savon qui lui rendra la pente glissante. On ne l'espére pas, tant les kickeurs charismatiques se font décidément rare de nos jours...

 

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