Notre De Palma préféré

Laurent Pécha | 14 février 2013
Laurent Pécha | 14 février 2013

Après presque 6 ans d'absence, Brian De Palma revient aux affaires avec le thriller, Passion. Un film loin de faire l'unanimité au sein de la rédaction, un leitmotiv dans la carrière du cinéaste qui a souvent été décrié, le temps faisant toutefois office de baromètre implaccable quant à la grandeur de ses films. Après vous avoir proposé nos scènes préférées du réalisateur, voici au tour de notre film préféré de De Palma. Un choix cornélien pour beaucoup d'entre nous mais chacun a joué le jeu. Par contre, il fut demandé d'être concis dans sa justification (maximum 5 lignes). Vous allez voir qu'à l'instar de De Palma qui a toujours voulu montrer qu'il avait la plus grosse, nos rédacteurs n'en ont eu que faire et se sont épanchés pour crier leur amour au(x) film(s) de Brian. 

 

Laurent Pécha : Scarface

Comme d'habitude, le chef choisit en dernier et s'adapte un peu pour que l'un des incontournables du cinéaste ne soit pas laissé de côté. Si mon coeur penchait plus vers Phantom..., L'Impasse ou Les Incorruptibles (pour ne citer que ces trois là), on ne pouvait pas laisser Scarface tomber dans l'oubli. L’un des meilleurs remakes de l’histoire du cinéma continue, aujourd’hui encore, d’être une incroyable modernité tout en étant totalement ancré dans son époque (les 80’s). Bourré jusqu’à la moelle de scènes over the top, de dialogues instantanément cultes (« say hello to my little friend » direct dans le top 10 de tous les temps) transcendé par l’interprétation géniale de Pacino (en VO pour le puriste, en VF pour le mythique accent) et la beauté inouïe de Michelle Pfeiffer (ah cette descente d’ascenseur) sans oublier la bande originale instantanément datée à écouter en boucle, Scarface est une œuvre monstre. Et puis, d’un point de vue personnel, ce fut longtemps LE souvenir mémorable de cette scène de la tronçonneuse, découverte en cachette dans le reflet de la glace de la salle à manger pendant que mon paternel dormait devant l’écran de télé du salon.

 

 

Patrick Antona : Blow Out

« Çà c'est un cri ! » Négligé par les critiques au moment de sa sortie qui le considérait comme un pâle succédané de Blow Up, Blow Out a acquis avec le temps son statut de chef d'oeuvre du genre. Non seulement il réussit à mieux résister à l'usure du temps (le film d'Antonioni étant trop ancré dans son époque) mais il condense parfaitement l'introspection psychologique, la virtuosité technique et ce sens du récit haletant hérité du cinéma d' Hitchcock. Évitant les clichés fréquents du cinéma hollywoodien, De Palma tient la gageure de rendre passionnant la quête d'un anti-héros (excellent Travolta) en quête de rédemption qui va pousser sa petite amie de circonstance (Nancy Allen dans sa dernière collaboration avec De Palma) dans les bras d'un tueur pour prouver que la viabilité de sa théorie du complot ! Et de ne pas concéder au happy end de rigueur en nous gratifiant d'un des finals les plus déchirants qui soit, avec cet éprouvant ralenti sublimé par la musique de Pino Donaggio, qui se voit parachevé une réplique lapidaire qui démontre toute la vanité de l'entreprise d'un homme qui a tout sacrifié en pure perte. Joyau noir dans la filmographie de Brian de Palma, Blow Out est une de ces œuvres où l'on ressent de la manière la plus viscérale que le réalisateur a trouvé la parfaite incarnation de ces obsessions et frustrations les plus intimes, ainsi que sa vision bien dépressive de la nature humaine.

 

 

Stéphane Argentin : Les Incorruptibles

J’ai longuement hésité entre L’Impasse et Les Incorruptibles ! Mais vu les notes de la rédac sur le premier, il y a de forte chance que celui-ci ait déjà été retenu par l’un de mes collègues (NDR/ deux fois même). Et comme notre bien aimé rédac chef souhaite, autant que faire se peut, éviter les doublons dans ce genre de best of, j’opte donc pour le second. Non pas qu’il s’agisse là d’un choix par défaut, bien au contraire ! Et la découverte récente en salles du très fun, limite cartoonesque, Gangster squad m’a d’ailleurs donné une furieuse envie de revoir ce joyau de De Palma qui réunissait de grands noms devant la caméra esthète du cinéaste (c’te casting de dingue !) ainsi qu’en coulisses (ah c’te musique de Morricone ! Sans parler du scénar aux p’tits oignons signé David Mamet) au service d’une vision que certains jurerons sans doute un poil trop « onirique » (© Sandy Gillet) mais qui me sied oh combien beaucoup plus que l’univers mafieux si souvent exploré par Scorsese.

 

Guillaume Meral : Carrie au bal du diable

Réalisé en 1976, alors que les préceptes formels amenés à implanter durablement le style du réalisateur dans le paysage cinématographique sont déjà solidement esquissés, Carrie au bal du diable résonne pourtant aujourd'hui comme le film de la transition pour Brian de Palma. Comme si en définitif, le réalisateur effectuait le pont entre ses premiers films, sortes de brouillons théoriques de son œuvre ultérieure, et la route qu'il s'apprête à emprunter. De fait, le titre s'avère quelque peu trompeur quand au contenu du film qui, loin de se focaliser sur le personnage incarné par Sissy Spacek, se révèle davantage comme le portrait évanescent d'une jeunesse sur le point de vivre ses derniers instants d'insouciance. Passé sa tétanisante scène d'introduction, Carrie est donc un film presque choral durant ses trois premières bobines, proche d'un American Graffiti, que seules les scènes avec Carrie et sa mère viennent quelque peu perturber par des partis-pris de mise en scène à l'emphase anxiogène contrastant avec le reste. En bon élève de la Nouvelle Vague, De Palma use d'artifices ostentatoires, presque expérimentaux exprimant tout autant la légèreté que le caractère éphémère des enjeux relatifs au fameux bal de fin d'année (les accélérés lorsque les garçons choisissent leur smoking). Le cinéaste s'amuse comme à ses tous débuts, avant qu'un magistral plan séquence ne vienne marquer le territoire de l'auteur, et dilater le temps avant l'instant fatidique qui verra Carrie déchaîner sa fureur, interrompant le destin des personnages pour le figer dans une catastrophe que personne n'aura su anticiper. L'émergence progressive du formalisme inhérent à De Palma représente ici le miroir de la croissance inéluctable du ver dans le fruit de l'innocence. Pas son film le plus virtuose, mais incontestablement l'un des plus importants de sa carrière.

 

 

Simon Riaux : Snake eyes

Pour qui ne l'a pas revu depuis sa sortie en l'an de grâce 1998, Snake eyes pourrait n'être qu'un gentil thriller avec des boxeurs, un Gary Sinise qui tire hermétiquement la tronche, un Nicolas Cage dont l'hystérie ferait presque oublier l'accoutrement et une Carla Gugino qui n'était pas encore officiellement une MILF, mais déjà une trentenaire que le cinéphile moyen envisageait sérieusement de cartonner dans ses rêves les moins déviants. Nombreux sont ceux à avoir oublié, et qui découvriront lors de leur prochain visionnage que Snake eyes vaut bien plus que la somme de ces attrayants atours. Oh il y a bien sûr le vrai-faux plan séquence d'ouverture, vulgaire, virtuose et grandiloquent, dont il est de bon ton d'écrire qu'il justifie à lui seul le visionnage du métrage (ou comment avouer qu'on ne sait pas trop quoi raconter du reste).

Il y a pourtant matière. Car Snake eyes est un des derniers films d'avant. Avant le onze septembre. Avant la multiplication puis l'atomisation des images et de la vidéo, et leur mutation virale. Le film de De Palma nous met pourtant constamment en garde. Bientôt tonne-t-il, nous verrons des meurtres en direct, bientôt, nous ne saurons plus distinguer le vrai du faux, bientôt, acteurs et publics seront indissociables, bientôt... C'est ce vocable qui fait aujourd'hui toute la saveur et la valeur du film. Car si Snake eyes pressent la possibilité de ces changements, essaie de les conceptualiser, il ne parvient pas toutefois à les incarner dans toute leur proximité, dans leur soudaine immédiateté. Et De Palma de leur faire recouvrir les masques et colifichets de son univers si clairement et délicieusement identifiable, de nous abreuver de ces archétypes que nous adorons détester ou détestons adorer.

Il y a tout ça dans Snake eyes, cette conscience d'un futur alors à nos portes, si proche qu'il n'est pas représentable, et doit être passé à la moulinette du cinéma. Mais je vous l'accorde, il y a aussi Nicolas Cage tendu comme une collection de strings, et la Gugino, humide comme un mois d'octobre.

 

 

Didier Verdurand : L'Impasse

Impossible de choisir un De Palma préféré car j'hésite entre 5 films que j'adore (Phantom of the paradise, Carrie, Pulsions, Scarface et L'Impasse). Je vais donc prendre le dernier en date (déjà 20 ans !) et ça tombe bien puisqu'il vieillit très bien. Pourtant, commencer par un spoiler qui tue installait L'Impasse sur une base fragile mais c'est oublier que De Palma est un maître du suspense et il réussit le tour de force de nous faire espérer que Carlito s'en sorte malgré tout. C'est qu'on s'y est attaché, à ce parrain qui veut retrouver le droit chemin mais qui se retrouvera dans un plan foireux à cause de son avocat cocaïné à outrance. Al Pacino trouve ici l'un des meilleurs rôles de sa carrière et on avait droit au passage à la renaissance de Sean Penn qui filait un mauvais coton à l'époque. Une BO aux petits oignons et on a là un désormais classique du film de gangster, élégant et passionnant.

 

 

Laure Beaudonnet : Pulsions

La filiation de Brian De Palma avec Alfred Hitchcock n’est certes plus à démontrer, mais Pulsions en est une belle démonstration. Au-delà de la maîtrise de l’art du suspense, De Palma tisse un lien encore plus étroit entre pulsion de vie - comprendre libido, sexualité - et pulsion de mort, offrant un tueur dont on finit par découvrir la mesure de l’ambiguïté. Ambivalent, pervers et fascinant, son sociopathe est aussi troublant et réaliste qu’un Norman Bates. Pulsions joue sur les frontières de l’identité, de la morale, des conventions et mène son public par le bout du nez, le noyant dans une confusion anxiogène. De Palma réalise un film puissant, qui marque la mémoire de son empreinte angoissante, avec une maestria stupéfiante des codes du thriller. La quintessence du genre. 

 

 

Sandy Gillet : L'Impasse

Il y a vingt ans de cela, on aurait du se douter que L'Impasse serait la dernière pépite au sein de la filmographie de sieur De Palma. Magnifique réceptacle de tous les thèmes et de toutes les obsessions d'un cinéaste qui aura marqué de son empreintes les années 70 et 80, L'impasse est aussi un film crépusculaire qui recèle en son sein une fin de cycle mortifère dont De Palma ne s'est jamais vraiment remis depuis. À la revoyure on ne peut-être qu'ému devant une si belle synthèse élégiaque qui rappelle quelque part l'ange déchu dans les Ailes du désir de Wim Wenders... Autre film testament s'il en est.   

 

 

Jérémy Ponthieux : Phantom of the paradise

Parfois, il suffit d'une séquence d'ouverture pour qu'un metteur vous attrape par le col et vous contamine d'une énergie revigorante, à la fois pop et tragique. Les souvenirs qu'il laisse deviennent fredonnements inoxydables sur lesquels les années n'ont qu'un effet bonifiant. Phantom of the Paradise est parfaitement cela et bien plus, délicieuse comédie musicale traversée par un baroque provocant qu'on use comme d'un remède contre la morosité. Et De Palma s'y montre esthète virtuose en diable, alignant ses marques de fabrique dans un maelström de couleurs et de décors bariolés. Et parce qu'il radiographie le pastel d'une époque avec la fougue d'un cinéaste encore innocent de son génie, on peut dire que Phantom of the Paradise est une date dans l'Histoire du cinéma, et dans la cinéphilie de son modeste témoin de passage.  

 

Perrine Quennesson : Body double

Le film commence dans les tréfonds du cinéma bis et se poursuit dans un hommage transcendé aux films d’Hitchcock accompagné de géniales musiques pop comme Frankie goes to Hollywood et son Relax : il y a un petit côté Tarantino chez notre ami De Palma (ou vice versa). Dans ce film de prime abord kitsch (mais kitsch à l’époque, kitsch aujourd’hui : Body Double touche à l’intemporel), De Palma met en œuvre toute sa virtuosité de metteur en scène dans une plongée abyssale et étouffante dans les tréfonds de la ville, de l’esprit de son personnage et de nos fantasmes. La mise en abîme de ce héros voyeur que nous épions à notre tour est un pur plaisir de cinéphile. Si vous en doutez, regardez à nouveau la formidable scène de double-filature dans le centre commercial pour vous en convaincre. 

 

 

Mélissa Blanco : Pulsions

On connaît l'amour insatiable que porte Brian De Palma aux oeuvres d'Alfred Hitchcock, Pulsions en est sans doute la plus marque d'attention. Si le film s'ouvre ironiquement sur une inquiétante scène de douche, Angie Dickinson n'y connaîtra pas le même destin que Janet Leigh. Elle y incarne Kate Miller, une femme à la sexualité bridée, bien décidée à se dérider… Jusqu'à ce que son chemin ne croise celui d'un disciple de Norman Bates, préférant l'atmosphère cosy d'un ascenseur à la moiteur d'une salle de bain. Puisque l'héroïne n'est plus, au film alors de repartir à zéro, lançant alors la belle Nancy Allen sur les traces du tueur. Variations autour de Vertigo et Psychose, Pulsions marque moins par son intrigue que par sa mise en scène : échelle des plans, vues omniscientes et subjectives… Brian De Palma y fait preuve de maestria, à l'instar de cette scène de jeu du chat et de la souris en plein coeur d'un musée. Brillant.

 

 

Tonton BDM : Body double

Si je reconnais volontiers que Phantom of the Paradise est un chef d'oeuvre, et qu'il est longtemps resté mon film préféré, Body double a toujours fonctionné sur moi de façon troublante, déstabilisante, presque charnelle. Le principe d'identification y marche à fond les ballons sur ma personne, et De Palma enquille beaucoup de mes cauchemars et de mes obsessions au coeur du film... Au point que j'ai presque du mal à en visionner certaines séquences. Du trauma initial aux lubies malsaines de son héros, je le "vis" à chaque vision comme une expérience profondément réaliste (surtout durant sa première moitié), vraiment hypnotique et dérangeante. Si l'on ajoute à cela la maestria technique chère au cinéaste barbu, on est définitivement en présence de l'un des plus gros morceaux de cinéma qu'il m'ait été donné de voir, même si le film comporte beaucoup plus de défauts et fautes de goût, ce qui le rend fatalement plus déviant et moins universel que son Phantom.

 

 

Vincent Julé : Blow out

Comme si Hitchcock ne lui suffisait pas, Brian De Palma s'attaque à Antonioni avec Blow out, variation sur le virtuose et théorique Blow up. L'occasion pour le cinéaste américain dealiser un nouveau tour de force mais aussi peut-être l'un de ses films les plus personnels. En effet, sa mise en scène est moins au service d'un pur exercice de style que d'une leçon de cinéma et d'une passion tragique, intimement liées. Ah, ce cri, cette fin. 

 

Nicolas Thys : Carrie au bal du diable

Une preuve de plus que Stephen King n'est jamais aussi bon qu'adapté au cinéma. Carrie est un film qui oscille entre érotisme et horreur, lyrisme et paranormal comme si tout pouvait être imbriqué et comme si Barbara Cartland pouvait être la plus folle des meurtrières. Un film génial sur les apparences, comme tant d'autres de De Palma avec la plus belle reprise de la scène de douche de Psychose qu'on ait pu voir.

 

 

 

 

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