Rétrospective Tom Cruise : de l'âge d'or aux années terribles [Partie 2]

Linda Belhadj | 30 décembre 2012
Linda Belhadj | 30 décembre 2012

Suite et fin de notre rétrospective consacrée à Tom Cruise. Après avoir suivi son ascension fulgurante dans les années 80, plongeons désormais au coeur des films qui l'ont confirmé comme l'un des acteurs - si ce n'est l'acteur - qui a défini les 90's mais aussi dans la tourmente qui manqua de peu d'éteindre définitivement son étoile.

  

1990-1993 : UNE SUPERSTAR QUI SE REPOSE SUR SES LAURIERS ?

Jours de tonnerre - Horizons lointains - Des hommes d'honneur - La firme

 

La question se pose légitimement quand on considère les deux films avec lesquels Tom Cruise avait choisi d'inaugurer son entrée dans les années 90. Jours de tonnerre voit la réunion de Cruise avec l'équipe en or qui avait fait le succès écrasant de Top Gun. Au guidon de ce film sur la course automobile on retrouve en effet Tony Scott à la réalisation et le duo Brukheimer/ Simpson à la production. Pourtant bien moins lourd que son prédécesseur, Jours de tonnerre ne ravit pas les critiques qui n'arrivèrent pas y voir autre chose qu'une variante sur quatre roues de Top Gun. Etait-ce un choix que l'on pourrait qualifier de fainéant de la part de Cruise ? Un choix uniquement motivé par l'argent ? Cela est envisageable mais on préférera l'expliquer par le fait que l'acteur souhaitait simplement prendre du bon temps avec ses comparses après le tournage émotionnellement épuisant de Né un quatre juillet. Opposé dans le film à Robert Duvall (qu'il a retrouvé dans Jack Reacher), il y a surtout eu pour partenaire pour la première fois à l'écran Nicole Kidman, jeune australienne qui s'était auparavant illustrée dans Calme blanc et qu'il ne tarda pas à épouser. L'amour fait faire des choses stupides et dans le cas de Cruise, cette stupidité fut de tourner avec sa jeune femme dans Horizons lointains de Ron Howard. Fresque historique, elle reste un embarras dans la filmographie jusque-là quasi impeccable de l'acteur.

Après ces deux incartades, Cruise reprit les choses en mains avec Des hommes d'honneur dont il partagea l'affiche avec Jack Nicholson, Demi Moore et Kevin Bacon. Réalisé par Rob Reiner (Misery, Stand by me), le film raconte l'enquête menée par Cruise et l'ex-madame Willis au sujet de deux soldats accusés du meurtre d'un autre. Le succès fut au rendez-vous et l'interprétation de l'acteur encensée, particulièrement grâce à la scène d'anthologie dans le tribunal où il se livre à une véritable guerre des nerfs avec le monstre sacré Jack Nicholson. Cette maîtrise physique et verbale, va alors devenir l'une des marques de fabrique de Tom Cruise.

Il la perfectionna davantage dans La Firme, l'adaptation d'un roman de John Grisham, grande source d'inspiration dans les 90's pour Hollywood (L'affaire Pélican, Le Client, Le Droit de tuer, L'Idéaliste,...). Avec ce film, Cruise s'essaya au thriller aux côtés de Gene Hackham et Jeanne Tripplehorn (Basic Instinct); et en profite par la même occasion pour rajouter le nom de Sydney Pollack à la liste des prestigieux réalisateurs avec lesquels il a travaillé. Bien que La Firme et la prestation de Cruise furent conjointement positivement accueillis, il semblait nécessaire pour l'acteur de revenir à des rôles plus puissants, comme ceux qu'ils avaient campé à la fin des années 80 pour éviter de sombrer dans la facilité et donc, inévitablement, dans la banalité, voire pire, dans l'oubli.

 

1994-1999 : L'ÂGE D'OR

Entretien avec un vampire - Mission : Impossible - Jerry Maguire - Eyes Wide Shut - Magnolia

 

A la vue des cinq projets auxquels il prit ensuite part, l'explication selon laquelle il aurait voulu faire une sorte de break avec Jours de tonnerre et Horizons lointains avant de se redonner des challenges nous paraît davantage valable. Certes, Cruise n'avait  évidemment pas prédit qu'il allait tourner grand film après grand film à partir de l'année 1994 mais il est intéressant de noter qu'il passa de rôles ne constituant pas forcément pour lui de difficulté majeure ni de challenge à des longs-métrages qui, au contraire, lui en offraient des considérables et cela les uns après les autres.

Dans le cas d'Entretien avec un vampire, l'obstacle fondamental pour Tom Cruise fut de se faire accepter comme le choix idéal pour interpréter le vampire Lestat par l'auteur du roman, Anne Rice. La romancière désirait que Julian Sands (Chambre avec vue) ou Rutger Hauer (Blade Runner) campent son personnage favori et vit rouge en apprenant qu'une star de blockbuster avait décroché le rôle. Un autre drame secoua la production avant qu'elle ne démarre : la mort prématurée de River Phoenix dont le rôle échoua à Christian Slater. D'autres problèmes survinrent lors du tournage, dont le problème d'ego de Brad Pitt qui ne supportait pas de ne pas être considéré comme la véritable vedette du film et fut forcé légalement par David Geffen d'honorer son contrat jusqu'au bout. Malgré toutes ces entraves, le film réalisé par Neil Jordan (The crying game) fut mené à son terme. Après l'avoir vu, Anne Rice acheta plusieurs pages d'encarts publicitaires dans un magazine pour présenter à Tom Cruise ses excuses de la même manière qu'elle l'avait vilipendé : publiquement. Elle y admet son mauvais jugement et remercie l'acteur d'avoir donné si justement vie à son vampire. Pour elle, Cruise ne jouait pas Lestat, il était Lestat. Le comédien y est épatant de puissance et de subtilité, sublime dans la peau d'un être complexe, à la fois redoutable, tourmenté et sensuel (intéressant qu'un homme prétendument honteux de sa sexualité ait accepté d'incarner un personnage bisexuel). L'occasion d'éprouver sa versatilité est l'une des raisons évidentes qui ont poussé l'acteur à accepter ce rôle contre toute attente. Il y en a peut-être une autre.  Nous avons évoqué dans la première partie de cette rétrospective l'importance du thème de la relation père-fils dans la filmographie de Tom Cruise. Il est intéressant de savoir que dans le roman, Lestat déjà vampirisé continue de s'occuper de son père mourant. Cet aspect fut supprimé à l'écran mais peut-être que Cruise, ayant lu le livre, y fut sensible, même de façon inconsciente.

La quête du père, c'est le thème central du Mission : Impossible de Brian de Palma. Bien que ce soit l'adaptation de la populaire série télé ainsi qu'un film d'action comme les années 90 en ont tant produit, le fait que De Palma, le successeur (presque) auto-proclamé d'Alfred Hitchcock l'ait réalisé nous pousse naturellement à l'analyser, dans le sens freudien du terme. Dans ce long-métrage que Cruise a produit avec son associée Paula Wagner, il prête ses traits à l'agent secret Ethan Hunt. Envoyé en mission à Prague pour récupérer une liste de la plus haute importance, il assiste impuissant à la mort de toute son équipe ainsi que de celle de son chef et mentor joué par Jon Voight. De retour à son hôtel, il découvre que la femme de ce dernier - Emmanuelle Béart - est toujours en vie et s'associe avec elle pour mener à bien sa mission initiale. Sur le plan de l'action, Mission : Impossible est un film réussi. La scène où l'on voit Cruise suspendu à une corde afin de récupérer un disque dans une salle où il ne faut pas toucher le sol sous peine de déclencher un dispositif de défense surpuissant ainsi que celle où la star livre un combat acharné à Jean Reno sur les toits d'un Eurostar lancé à toute vitesse sont cultes. Au niveau esthétique, la photographie est sublime et De Palma a, comme à son habitude, filmé avec brio les jeux de dupe des personnages. Mais c'est son symbolisme qui rend cette œuvre si captivante. Traiter de thèmes psychanalytiques au cinéma peut s'avérer être une entreprise périlleuse comme le dernier Skyfall - qui a d'ailleurs copié la scène du train de Mission : Impossible - l'a montré : les scénaristes ont insisté avec si peu de finesse sur le rôle de mère de substitution pour Bond et les autres espions que cela en était cliché, voire presque ridicule. De Palma n'avait pas fait cette erreur et n'a révélé qu'à la fin du film la véritable raison de la trahison de Voight. Pour Ethan Hunt, ce dernier est un mentor, le père symbolique de leur unité. Emmanuelle Béart, bien qu'étant de la même génération que lui, incarne la mère puisqu'elle est mariée à Voight. Lorsque leur équipe est décimée, cela équivaut à l'explosion de la cellule familiale de Hunt. Il part en quête du meurtrier de son père mais en chemin tombe amoureux de la mère sans toute fois passer à l'action. Variation sur le complexe d'Œdipe, Mission : Impossible a donné à Cruise l'opportunité d'incarner un espion avec du relief, loin du stéréotype macho incarné par Bond. Efficace et déterminé dans son interprétation, il montre aussi sa capacité à transmettre de l'émotion, parvenant à faire sentir au public qu'il est lui aussi en cavale, à ses côtés. Courir, Cruise le fait d'ailleurs dans presque tous ses films. Qu'est-ce-qui le fait courir ? La recherche du père !

Cette quête est celle d'un autre mais aussi d'un moi. Avec Jerry Maguire, Tom Cruise signe l'un de ses plus beaux rôles, celui d'un agent sportif qui après avoir eu une épiphanie  sur son métier et ses dérives, écrit frénétiquement un mémo où il enjoint sa profession à prendre moins de clients pour pouvoir mieux s'occuper de leur carrière et d'échanger l'argent contre la fierté du devoir accompli. Renvoyé pour ses aspirations humanistes, Maguire démarre sa propre boîte, avec l'aide de sa secrétaire (Renée Zellweger), une mère célibataire avec un petit garçon et une sœur féministe encombrante. Que Cameron Crowe - scénariste et réalisateur - ait arrêté son choix sur Cruise pour le rôle titre a tout son sens. Le cinéma de Crowe lui est certes très personnel, une ode perpétuelle et toujours remarquablement écrite à la pop culture qu'il aime tant mais de ce fait, c'est aussi un cinéma très populaire tant il parle inlassablement de films, de musique et des icônes de ces domaines. Crowe parle bien sûr fondamentalement de l'amour, de l'amitié, de l'humanité en général mais il le fait par le biais de la pop culture. Qui d'autre alors que l'acteur le plus populaire et pop du cinéma américain aurait pu incarner Jerry Maguire ? Disons le clairement : Cruise est parfait dans ce film qui frôle lui aussi la perfection. Au-delà des références musicales et de l'apparition de Eric Stoltz qui font sautiller de joie les fans de l'univers Crowe (il avait promis un rôle à l'acteur dans chacun de ses films), ce qui rend Jerry Maguire si incroyable, c'est la qualité de l'écriture et l'émotion avec laquelle les répliques sont livrées par l'ensemble du casting. En effet, des phrases cultes se succèdent les unes après les autres, et à chaque fois qu'elles le sont, c'est comme si l'on recevait un coup en plein cœur tant elles sonnent justes, vraies, humaines. Tom Cruise est souvent accusé d'être robotique dans son jeu, affichant un regard aussi froid que celui d'un tueur à gage. Difficile d'être d'accord avec cela une fois qu'on l'a vu dans la scène iconique du jardin où il est quitté tandis que résonne en fond Secret garden de Bruce Springsteen. Cruise y est bouleversant dans la peau d'un homme qui est en train de perdre la femme qu'il aime mais qui est incapable de détruire les fortifications qu'il a mis une vie à élever autour de sa personne et de son ego pour la garder. Jerry Maguire, c'est le combat d'un homme pour être « à nouveau le fils de son père », phrase qu'il prononce en rédigeant son mémo, action qui lui donne l'impression de redevenir l'enfant innocent et humain dont son père était fier ; mais pour aussi être un véritable père pour l'enfant de Zellweger ainsi que pour son dernier et unique client, Cuba Gooding Jr. qui a tout d'un gamin capricieux.

L'enjeu pour Jerry Maguire était de devenir un père et un époux. Pour William Harford, c'est de le rester dans Eyes Wide Shut ; ou du moins, l'un des enjeux du film testament de Stanley Kubrick qui est mort peu de temps avant sa sortie en salle. Accueilli favorablement par une large partie de la critique , Eyes Wide Shut a cependant été considéré comme « décevant, forcément décevant » par Gilles Verdiani qui écrivait en septembre 1999 dans Première : « Ce n'est donc que ça, le testament du génie, cette petite crise de couple pour magazine de société, avec juste un doigt d'érotisme chochotte? (...) En suivant à la Steadycam le couple Harford dans sa pseudo-descente aux enfers, on n'oublie jamais que c'est Stanley Kubrick qui filme Tom Cruise et Nicole Kidman. C'est pourtant là le seul véritable enjeu : comment le vrai couple hollywoodien, assiégé par les rumeurs depuis dix ans, caparaçonné dans un contrôle permanent de son image, va-t-il réussir à incarner ce couple de fiction sans rien laisser paraître de sa propre vérité ? Mal. (...) Cruise, notamment, avec sa palette réduite à deux expressions (mâchoire crispée dans l'embarras simple et tête entre les mains en cas de gros souci), est incapable d'apporter la moindre nuance au comportement assez linéaire de son personnage ». Le journaliste a raison : l'enjeu pour Cruise et Kidman étaient de nous faire croire en la réalité de ce couple qui n'est pas une représentation conforme du leur. Néanmoins, attendre d'eux qu'ils nous fassent oublier qu'ils sont un power couple hollywoodien à la ville était une exigence démesurée, évidemment impossible à contenter. Si Kubrick a choisi Cruise et Kidman, c'était pour créer une mise en abîme, pour nous rendre voyeurs, aussi voyeur que le personnage de Cruise dans le film. Le voyeurisme et autres comportements sexuels dépeints dans Eyes Wide Shut en font au premier abord une œuvre sur la sexualité, l'attrait pour l'interdit. Certains y voient aussi un portrait de la haute société new yorkaise, du vide vertigineux qui caractérise ces riches familles en quête d'un plus dans la dépravation. Pour d'autres, c'est même carrément un film qui dénonce le complot illuminati. Pour nous, c'est plus modestement l'histoire d'un père et d'un mari qui part dans une errance pour tenter de vaincre son ego. A l'inverse d'un Jack Torrance dans The Shining, Harford va, après le choc initial de l'aveu de son épouse qu'elle l'aurait trompé si elle en avait eu l'occasion, recouvrir ses sens et réaliser après avoir parcouru un chemin initiatique que le désir de sa femme est moins dangereux et destructeur que son ego. La famille de Torrance ne survit pas à l'égoïsme et à la virilité primale du père tandis que celle de Harford y parvient. Ce qui pourrait être pris comme un jeu limité est en fait l'expression du tourment interne de Harford : Cruise laisse échapper des larmes et transparaître de la peur mais son corps reste rigide, nerveux, exprimant la difficulté du mari blessé à se libérer de sa furie.

Contrôler cette rage, c'est ce que le personnage interprété par Tom Cruise enseigne à ses séminaristes dans Magnolia. Encensé pour des raisons qui nous échappent (NDLR/ enfin qui t'échappent, Linda, car à la rédac, on en a des dizaines en rayon pour toi), le long-métrage de Paul Thomas Anderson (There will be blood, Boogie Nights) est... long. Très long. Trop long même pour raconter les tragédies personnelles et entremêlées d'un casting certes prestigieux mais ô combien larmoyant et, au final, ennuyeux. Robert Altman avait déjà tenté cette expérience narrative en 1993 avec Short cuts et était lui aussi arrivé au même rendu (NDLR/ idem, Linda, viens à la rédac, on va t'expliquer pourquoi on adore) mais il s'était au moins abstenu de clore son film avec une pluie de grenouilles. Malgré cela, nous vous conseillons de regarder Magnolia. Pourquoi ? Pour la performance exceptionnelle de Tom Cruise qui aurait dû lui valoir un Oscar. Il y joue Frank, un coach de développement bien particulier puisqu'il dispense à ses élèves des techniques pour arriver à coucher avec toutes les femmes qu'ils désirent. Ses techniques sont agressives et basées sur une théorie très simple : la femme doit respecter le pénis. Les cheveux longs, vêtu d'une chemise rouge, dégageant une énergie galvanisante, Cruise est captivant dans son rôle de gourou misogyne. On le hait et le désire à la fois, jusqu'à la deuxième partie du film où on le plaint et souffre avec lui. Car le tour de force de l'acteur, ce n'est pas d'avoir incarné un homme fier et fort mais de l'avoir montré lorsqu'il laisse tomber le masque. Accusé encore aujourd'hui d'être un obsédé du contrôle de son image, il a pourtant utilisé et de ce fait dévoilé un épisode traumatisant de sa vie pour incarner au mieux Frank. Ce dernier est un homme qui n'en a jamais été un aux yeux de son père. Ce dernier étant mourant, il se rend à son chevet et s'effondrant en sanglots, lui pardonne. Or, Tom Cruise lui aussi est un homme dont le père était violent et absent, père indigne dont il pardonna les péchés sur son lit de mort comme il le raconta lors de son passage à l'Actor Studio. Magnolia, c'est finalement rien moins que la catharsis de Tom Cruise sur grand écran.

 

2000- 2004 : UN CINEMA (DE LA PHILOSOPHIE) DE L'ACTION

M:I 2 - Vanilla Sky - Minority Report - Le dernier samouraï - Collatéral

 

Ayant triomphé des multiples embûches qui se dressèrent sur le chemin de ce grand chelem, Cruise s'en trouva à la sortie encore plus conforté dans son statut d'acteur sérieux qu'il ne l'avait été après Né un quatre juillet. A la seule différence que cette fois-ci, il se voyait aussi confirmer dans son nouveau métier de producteur. L'histoire se répète dit-on et dans le cas de la filmographie de Cruise c'est vrai. Comme il avait il y a presque dix ans de cela accepté de tourner dans Jours de tonnerre pour s'amuser après l'épreuve qu'avait été Né un quatre juillet, il se lança dans Mission : Impossible 2 après Magnolia. Alors que le premier opus mêlait habillant action et intrigue élevant le film au-dessus des blockbusters atypiques du genre, M:I 2 ne fit rien de tout cela et se révéla être un naufrage scénaristique ; mais pas au box-office. Produit par Cruise et Wagner, le long-métrage fut réalisé par le maître de l'action chinois John Woo et écrit par le grand Robert Towne (Chinatown). L'impressionnante séquence d'ouverture du film où l'on découvre un Tom Cruise sereinement en train d'escalader une falaise à la hauteur vertigineuse à mains nues est magnifique, sexy - surtout Cruise, et il le sait - et laisse présager le meilleur pour la suite. Et pourtant, non, c'est le pire qui arriva. L'histoire de M:I 2 est une histoire d'amour, celle entre Cruise et Thandie Newton (l'infortunée servante dans Entretien avec un vampire et une amie de Nicole Kidman avec qui elle avait tourné Flirting en Australie) sur fond d'espionnage, de trahison et d'explosion et de... tout et n'importe quoi. Au point que plus d'une fois l'histoire dut se plier à la conception des scènes d'action comme le souligne, sans sourciller,  Robert Towne dans les bonus du DVD du film ! Il faut le voir (et l'entendre) pour le croire.

Ne pas croire ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il ressent, c'est ce que David Aames va douloureusement se résoudre à faire dans Vanilla Sky. Film réunissant pour la seconde fois Cameron Crowe et Tom Cruise, Vanilla Sky est le remake américain de Ouvre les yeux, le film espagnol d'Alejandro Amenábar. Un état de fait qui lui est sans cesse reprocher. La vision de Crowe est sans cesse comparée à l'original, dépeinte comme « moins bien », « pas assez sombre », comme si on ne voulait laisser à Vanilla Sky la moindre chance d'exister. Cela est fort dommage car ce n'est pas une pâle copie du tableau espagnol mais une interprétation qui lui est fidèle dans son essence et qui diverge d'elle uniquement en  s'inscrivant comme un film purement Crowien. On y retrouve en effet tout ce qui est cher au cinéaste : la musique (R.E.M, Radiohead), les références pop (la pochette d'un album de Bob Dylan recrée pour de vrai), la morale humaniste... Oui, Vanilla Sky est plus optimiste et colorée que Abre los ojos. Cela n'est pas une erreur impardonnable. Amenábar semble ne pas avoir tenu de grief ni à Crowe ni à Cruise qui a produit par la suite, Les Autres. N'oublions d'ailleurs pas de parler de Cruise. Son interprétation de David Aams ne constituait pas un challenge : être un playboy multimillionnaire adoré des femmes et de tous, il en avait une vague idée. C'est dans la deuxième partie du film qu'il est le plus intéressant à regarder, cette partie où tout lui est enlevé - les femmes (l'acteur venait lui-même de divorcer de Nicole Kidman), le succès, la beauté, la promesse d'un futur radieux - et où on le voit irrémédiablement sombrer. Ce ne fut certes pas son plus grand rôle mais on peut le considérer différemment aujourd'hui tant il est difficile de s'empêcher d'en faire un film prophétique de ce qui arriva à la star - dans une moindre mesure - quelques années plus tard.

On a senti une certaine noirceur transparaître dans le jeu de Cruise dans Vanilla Sky et cette noirceur s'accrut avec ces trois projets suivants : le superbe Minority Report de Steven Spielberg, Le dernier samouraï et Collateral. Peut-être devrait-on davantage parler de maturité au lieu de noirceur mais dans tous les cas, il s'est enclenché une transformation en Cruise qui sera pleinement palpable à partir de 2005. Quand on connaît le personnage - nous n'osons pas dire l'homme - il est difficile de le taxer de pessimiste mais il est vrai qu'il se dégage dans ses interprétations successives de John Anderton,  Nathan Algren et du tueur à gage Vincent une sorte de douleur existentialiste. Ce n'est plus le père que Cruise recherche dans ses rôles, mais lui-même. Dans Minority Report, Anderton cherche son fils, du moins le croit-il. Car ce qu'il veut réellement retrouver c'est l'homme qu'il était avant, l'homme qui avait de l'espérance, un futur. On a accusé Le dernier samouraï de propager insidieusement des préceptes scientologues. Peut-être en contient-il mais c'est parce que le film d'Edward Zwyck (Légendes d'automne) ainsi que celui de Michael Mann (Heat) sont deux manifestes des valeurs de vie auxquelles est attachées l'acteur. Les personnages qu'il y incarne sont, en apparence, différents, étant issus chacun de deux époques, de deux mondes distincts. Pourtant, ils sont unis par une seule et même chose : l'attente d'une fin. D'une délivrance. Une libération de leur passé, de leurs actes qu'ils ne souhaitent plus perpétrer ou d'un acte futur qu'il souhaite ne pas commettre dans le cas de John Anderton. Cela est apparent en la personne de Nathan Algren qui, au contact des samouraïs, va découvrir que c'est en agissant à nouveau qu'il va pouvoir s'amender de ses crimes mais moins dans le cas de Vincent. Ce dernier apparaît comme un homme implacable, sans remords, ni scrupules, ce qui est certainement le cas. Néanmoins, on décèle au fil et à mesure qu'il interagit avec son otage et chauffeur de taxi incarné par Jamie Foxx qu'il est à la recherche d'une porte de sortie. Il ne regrette rien, il ne regrette pas d'avoir agi et enjoint, apprend Foxx à le faire, lui qui est enlisé depuis des années dans l'immobilisme, attendant sa mort sans livrer un dernier combat. Des combats, Vincent en a livré plusieurs - contre son père, fait intéressant à relever puisqu'il l'évoque lui-même -,  et il en est désormais las. Fable initiaque, Collateral raconte la transmission d'un savoir, d'un mode de vie (celui de l'action) d'un homme à un homme, le second qui en fera - on ne le devine - un usage plus bienfaisant que le premier. Encensé pour sa collaboration avec Michael Mann, attendu dans la prochain Spielberg, rien ne semblait présager que la carrière de l'acteur allait bientôt être mise en péril.

 

2005 - 2007 : LES ANNEES TERRIBLES

La guerre des mondes - M:I 3 - Lions et agneaux

 

La vitesse avec laquelle Tom Cruise fut déchu de son trône en 2005 est exceptionnelle. La désacralisation de l'idole ne prit que quelques mois durant lesquels il passa du statut de star à celui d'has-been fou. L'homme à qui l'on reconnaissait encore jusque là un talent indéniable devint un acteur moyen voire carrément mauvais, sans parler d'un danger pour la société. Quelles sont les raisons de ce revirement de l'opinion publique ? Cruise fut accusé d'avoir à deux ou trois reprises fait l'apologie des préceptes de l'Eglise de Scientologie à laquelle il appartient et d'y avoir enrôlé sa jeune fiancée, l'innocente Katie Holmes. Sa vie privée porta préjudice aux recettes pourtant conséquentes de La guerre des mondes, Spielberg lui-même l'ayant tenu pour responsable de la désastreuse promotion du film pour laquelle Cruise est en effet en partie responsable. Pourtant de qualité et traitant du thème fétiche de Spielberg - la famille -, le film pâtit de la haine soudaine qu'inspirait l'acteur. Difficile, selon ses détracteurs, de l'apprécier dans le rôle d'un père de famille tentant héroïquement de la sauver d'une invasion d'aliens lorsque l'on connaît les atrocités auxquelles Cruise se livrerait dans son foyer.

Scientologue depuis son mariage avec Mimi Rogers en 1987, l'acteur avait pendant 20 ans systématiquement refuser de s'exprimer à ce sujet. Il ne s'en était néanmoins jamais caché. Lui qui s'est vu depuis si longtemps reprocher de ne pas assez se dévoiler fut ridiculisé pour avoir partagé son nouveau bonheur avec le public, un traitement dont ne pâtirent pas Brad Pitt et Angelina Jolie malgré la nature adultérine de leur relation. Pourquoi alors cette focalisation sur Tom Cruise ? Il faudrait conjurer sociologie et psychanalyse pour parvenir à y répondre. Peut-être pouvons-nous  juste nous accorder sur le fait qu'il est vrai que les hommes aiment détruire leurs idoles.

C'est dans ce climat que sortit sur les écrans Mission : Impossible 3. Malgré les 400 millions que le film amassa, la Paramount décida de ne pas renouveler le contrat qui la liait à la boîte de production de Cruise et Wagner. Une collaboration de 14 ans prit ainsi abruptement fin. Si le démarrage moyen du long-métrage peut être imputé à la nouvelle image de l'acteur, il peut aussi être mis sur le compte des critiques plutôt négatives, à juste titre. Bien que M:I 3 se tienne davantage que son prédécesseur, il pâtit d'avoir été réalisé par J.J Abrams, créateur de la série à succès Lost. M:I 3 apparaît comme un long épisode de cette dernière, conjurant la même musique et les mêmes rouages. Cruise y campe un Ethan Hunt qui se bat avec l'énergie du désespoir pour sauver son épouse. L'agent n'est plus l'homme sans attache, à la liberté totale que nous admirions et, étrangement, cela amoindrit notre compassion pour la tragédie qu'il vit. Le projet qu'il accepta ensuite, Lions et agneaux fit un véritable flop au box-office malgré la présence de Meryl Streep et Robert Redford qui l'a lui-même réalisé. Beaucoup imputèrent cet échec à la présence de Tom Cruise. Pourtant, il faut plutôt aller chercher les raisons du fiasco dans la qualité même du film de Redford, bien peu inspiré. Sans oublier que le long-métrage sortit également à une période où les spectateurs n'avaient pas envie d'un énième long-métrage politico-intellectuel.

 

2008 - 2010 : UN ACTEUR A LA RECONQUETE DE SON PUBLIC

Tonnerres sous les tropiques - Walkyrie - Night and day

 

Avec ces deux échecs successifs, Tom Cruise était face à une situation qui demandait une réaction rapide de sa part. Délaissé par une grande partie du public, sali par la presse qui n'avait pour lui presque plus une once de respect, l'acteur n'avait que deux solutions : se draper dans son égo et disparaître ou se montrer humble et regarder son public. Cruise choisit la deuxième car comme il l'a lui-même sans cesse répéter, être un acteur est pour lui un privilège mais aussi une nécessité. Certes, la Paramount l'avait abandonné mais Cruise avait toujours des soutiens à Hollywood, dont son fidèle ami Ben Stiller. Ce dernier lui proposa un rôle dans sa comédie Tonnerres sous les tropiques, celui d'un producteur - Les Grossman - sans foi ni loi obèse et chauve. Ce n'est qu'un second rôle et pourtant, c'est Cruise qui vola la vedette aux têtes d'affiche du film, Robert Downey Jr., Jack Black et Stiller. Tonnerres sous les tropiques n'est pas l'œuvre la plus hilarante de Stiller mais elle a ses moments, et ceux-ci sont surtout à mettre au crédit de Cruise. Il y casse son image de garçon bien sous tous rapports en professant les pires obscénités et en se livrant à une danse ridicule qu'il reproduira live aux MTV awards avec Jennifer Lopez.

Ayant montré qu'il était capable de se moquer de lui-même, Cruise se rallia une partie de son public et d'ainsi obtenir un résultat honorable au box-office avec son film suivant sur la Deuxième Guerre Mondiale. Walkyrie de Bryan Singer (Usual Suspects) retrace la tentative d'assassinat ratée d'Hitler orchestrée par un officier nazi, le colonel Claus von Stauffenberg. L'histoire - écrite par Christopher McQuarrie que Cruise a retrouvé cette année avec Jack Reacher - est bien menée, reconstruction historique fidèle de l'événement mais elle aurait profité d'un rythme plus soutenu. Cruise est à l'aise dans ce rôle d'un homme cherchant à passer à l'action et à racheter les crimes de son pays. Ce n'est pas la meilleure de ses performances mais l'acteur a le mérite d'avoir accepté ce projet difficile, sachant pertinemment qu'il serait attendu aux tournants. Le film ne connut pas le triomphe habituel des productions de Singer mais rapporta tout de même 200 millions de dollars dans le monde entier (pour un coût de production estimé à 75 millions).

Cruise eut cependant moins de chance avec Night and day dans lequel il retrouva sa partenaire dans Vanilla Sky, Cameron Diaz. Notamment aux USA où le film ne rapporta que  76,4 millions de dollars (pour un budget dépassant allégrement les 100 millions). Heureusement, les recettes monde leur sauvèrent. Pour un retour à l'action, on était loin de combler les attentes. Il faut dire que les critiques ne furent pas tendre avec le film et avec raison : son réalisateur, James Mangold (Walk the line), n'arrive pas à faire décoller cette histoire d'amour entre un espion et une citadine qui s'ennuie dans sa vie et n'en fait qu'un succession de scènes qui s'emboîtent maladroitement, de gags et de courses poursuites. Néanmoins, Night and day et ses recettes mondiales permirent à Cruise de prouver qu'il était toujours un acteur grand public, prêt à toutes les cascades pour le divertir.

 

2011- 2012 : LE RETOUR DU ROI

Mission : Impossible - protocole fantôme - Rock Forever - Jack Reacher

 

Durant deux ans, Tom Cruise s'était employé à redorer son blason en redevant la star discrète sur sa vie privée et entièrement dévouée au cinéma. Les films auxquels il avait participé l'avait aidé à reconstruire son image mais même si il avait été en partie pardonné, il ne pourrait être totalement absout et de retour de façon certaine dans le circuit à moins qu'il ne rapporte à nouveau des bénéfices pharaoniques à la maison-mère Hollywood. Le test final pour Cruise, sa dernière épreuve, celle qui allait sceller son destin portait le nom de Mission : Impossible - protocole fantôme. Sauver la franche mise à mal par le troisième opus permettrait à Cruise de se sauver lui-même au passage. Le miracle eut lieu en décembre 2011, M:I 4 provoquant la surprise à sa sortie en se plaçant immédiatement au top du box-office mondial. A son retrait des salles obscures, il avait engranger la somme imposante de près de 700 millions de dollars. Le public avait donc répondu présent et les critiques aussi. Confier la réalisation à Brad Bird qui n'avait dirigé que des films d'animation jusqu'alors était un coup de poker qui se révéla gagnant. Surtout, adieux les scénarios complexes et pompeux des deux précédents volets, ici l'histoire est simple et attirante : Ethan Hunt et ses agents sont désavoués par le président, ne devant désormais compter que sur eux-mêmes et le peu de gadgets défaillants qui leur restent pour sauver le monde d'une guerre nucléaire. Ode à l'héroïsme, à la capacité à l'homme à se surpasser, le film bénéficie d'un casting impeccable (Jeremy Renner, Paula Patton, Simon Pegg) et un Tom Cruise qui prouve une fois pour toute qu'il n'a à l'esprit que la satisfaction de son public. Il réalisa lui-même ses cascades, dont la périlleuse escalade de la plus haute tour du monde à Dubaï. Le film a ses problèmes, dont un méchant pas assez développé mais on pardonne à MI 4 ses faiblesses tant le spectacle qu'il nous offre est de qualité.

La salut qu'apporta MI 4 à Tom Cruise et à sa carrière fut réellement mesurable à la sortie de Rock forever. Version sur grand écran d'une comédie musicale de Broadway, Rock forever ne récolta pas de critiques favorables et réalisa une performance décevante au box-office. Contre toute attente, Tom Cruise fut bien plus qu'épargner par les journalistes ainsi que par les spectateurs : il fut ériger comme étant la seule bonne raison d'aller voir le film. L'acteur fut certes aussi raillé pour son rôle de rock star has-been qui se balade torse nu en compagnie d'un singe  et qui se déhanche lascivement sur scène en chantant du Bon Jovi mais, en majorité, sa prestation comique fut grandement appréciée.

Quant au succès critique de Jack Reacher qui vient de sortir en France, il permet d'entériner le retour en grâce de Tom Cruise. Dirigé par Christopher McQuarrie qui signe son deuxième film en tant que réalisateur après Year of the gun il y a 11 ans, Jack Reacher a ses défauts, dont notamment un rythme pas assez énergique et des ressorts comiques trop fréquents. Mais le film demeure agréable et honnête. Cruise y est charismatique, intense avec une touche de nonchalance, une attitude que l'on peut qualifier de « cool », un adjectif qu'il aurait été inenvisageable d'associer à l'acteur il y a deux ans. Malgré ces points positifs, nous espérons qu'il choisira à l'avenir des rôles plus à même de le pousser vers de nouveaux horizons et non simplement, plus ou moins, des déclinaisons du personnage d'Ethan Hunt.

Tom Cruise est tout ce qu'on dit de lui. Scientologue, divorcé trois fois, tenant à contrôler son image et... petit. Mais, non seulement fait-il la même taille que Robert Downey Jr., il est aussi, surtout et avant tout l'un des acteurs qui aura marqué profondément le cinéma et la pop culture de ces 30 dernières années. Un survivant. Qu'il ait survécu aux attaques n'est d'ailleurs finalement pas si étonnant que cela. Alors, pourquoi ne pas nous en réjouir, nous installer confortablement dans nos fauteils et just enjoy the show ? C'est tout ce que Cruise nous demande. Il se charge du reste depuis 1983 !

 


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commentaires
toms
19/08/2015 à 20:53

toms

̨
31/07/2015 à 18:53

toms