Rétrospective Tom Cruise : La Genèse [Partie 1]

Linda Belhadj | 24 décembre 2012
Linda Belhadj | 24 décembre 2012

Jack Reacher sort sur les écrans ce mercredi, l'occasion pour Ecran Large de revenir sur la carrière d'une des dernières véritables étoiles d'Hollywood : Tom Cruise. Vilipendé depuis quelques années au sujet de sa vie privée, celui qui se destinait à l'origine à devenir prêtre est même attaqué sur son jeu d'acteur, comme si on avait oublié que Tom Cruise possède l'une des filmographies les plus impeccables de sa génération. Décryptage en deux parties de cette dernière, en commençant par la première, la genèse d'une icône. 

 

1981-1983 : LA MACHINE CRUISE SE MET EN MARCHE

Un amour infini - Taps - The Outsiders

 

Annoncé comme la version 80s de son acclamé Roméo & Juliette, Un amour infini de Zefferelli ne rencontra pas le succès critique de son chef d'œuvre sorti en 1967. La présence de Brooke Shields alors au pic de sa beauté et de sa popularité ne convainc pas les critiques ni les spectateurs qui n'apprécièrent pas le tournant à la « Liaison fatale » du scénario. Le film raconte en effet l'obsession amoureuse d'un étudiant pour sa petite amie (Shields), lycéenne et très attachée à sa famille qui la surprotège ; en particulier son grand frère joué par James Spader. Pour son premier rôle au cinéma, Tom Cruise incarna l'un des amis de ce dernier, dans une brève scène où l'on peut le voir parler de filles torse nu, paré d'un short en jean, nonchalamment allongé sur une pelouse. Apparition qui si elle eut le mérite de révéler le corps d'éphèbe du jeune acteur ne marqua pas les esprits compte tenu de sa brièveté.

 

Après ce passage éclair, Tom Cruise réussit à partager l'affiche de Taps avec Sean Penn - l'un de ses amis proches à l'époque - et, surtout, Timothy Hutton. Ce dernier, fraîchement auréolé de gloire pour Ordinary People réalisé par Robert Redford, était la tête d'affiche du film. Mais, Cruise, le crâne rasé, le visage dur, sut se faire remarquer par l'intensité qui émanait de son interprétation d'un soldat révolté. Décrocher ce rôle fut selon l'intéressé inespéré et une bénédiction puisqu'il lui permit de se faire remarquer et de rejoindre le casting de The Outsiders.

 

Œuvre chérie de Coppola, The Outsiders relança le genre du film pour ados dans les années 80. Adapté d'un roman de S.E Hinton, le film dépeint l'amitié profonde qui unit une bande de jeunes désargentés et à leur rivalité féroce avec leurs opposés fortunés. Conte poétiquement dirigé par un Coppola rêveur, The Outsiders doit énormément à son casting dans lequel on retrouve les principaux acteurs qui définiront cette décennie. Tom Cruise n'y tint pas un premier rôle, Coppola ayant confié à C. Thomas Howell (Hitcher), Ralph Macchio (futur Karaté Kid) et Matt Dillon (qu'il retrouvera dans Rusty James) les trois plus importants. Néanmoins, sa participation fut remarquée car ce qui touche dans The Outsiders  ce ne sont pas les individualités mais combien elles se complètent dans ce groupe émouvant de gamins liés face à l'abandon de leurs parents et de la société. Campant le baroudeur Steve, ses interactions avec le reste de l'ensemble composé de Rob Lowe, Patrick Swayze et Emilio Estevez témoignent d'une véritable compréhension de l'essence, de la dynamique de cette bande. 

Dans son autobiographie Story I only tell my friends, Rob Lowe revient sur le tournage de The Outsiders confesse son admiration pour Tom Cruise qui, selon lui, était d'un professionnalisme et d'une volonté impressionnants pour son âge. Tandis que Matt Dillon disparaissait dans des ascenseurs accompagnés de demoiselles, Cruise lui passait son temps au téléphone avec son agent ou à perfectionner son personnage (il se fit par exemple arracher une dent pensant que cela soulignerait la personnalité rebelle de Steve). Et Lowe d'ajouter que personne ne démarrait une bagarre avec Cruise, car ce dernier était un combattant acharné et téméraire. Rien d'étonnant donc pour Lowe que son ami fut celui qui de la bande réussit le mieux sa métamorphose de teen idol à acteur « sérieux ».

 

 

83 : LE PASSAGE OBLIGE DE LA STAR POUR ADOS

American Teenagers - Risky Business - L'esprit d'équipe

 

En effet, tout comme Robert Downey Jr. et Sean Penn, Tom Cruise dut passer par la case « acteur pour midinettes ». La caution Coppola avait empêché The Outsiders de tomber dans la catégorie film rose bonbon mais il n'en alla pas de même pour le projet suivant de Cruise, American Teenagers qui ne fit pas grand bruit. Il est indéniable que bon nombre de films pour ados des années 80 se contentèrent de scénarios bateau pour exposer des paires de seins mais condamner le genre tout entier serait une erreur regrettable. Les classiques de John Hughes et bien d'autres teen movies étaient de grande qualité et démontraient une intelligence dans l'écriture ainsi que dans les interprétations et la réalisation. Risky Business en est l'illustration parfaite.

Bien que tous les ingrédients étaient réunis pour qu'à la sortie du four il ne soit qu'un autre Porky's - soit des filles de petite vertue, des voitures et surtout, des parents loin, très loin de la maison - Risky Business créa la surprise grâce à son traitement que l'on pourrait qualifier d'adulte. Les scènes d'amour sensuelles et inventives d'abord dans le salon puis dans le train sont enivrantes, en partie grâce à la musique de Tangerine Dream mais surtout grâce aux interprétations de Cruise et Rebecca De Mornay qui devinrent un véritable couple à la ville. Risky Business, c'est aussi un vivier de scènes et d'éléments qui sont entrés dans le panthéon de la pop culture : le fameux œuf qui trône sur la cheminée sera vendu aux enchères dans un épisode de Newport Beach tandis que la danse en slip et chemise rose totalement improvisée par Cruise sur un tube de Bob Seger sera maintes fois parodiée, par Cruise lui-même d'ailleurs. Aussi, c'est dans ce film que l'acteur délivrera sa première grande phrase culte, « Sometimes you gotta say, what the fuck, make your move », et qu'il porta des Ray-Bans, lunettes de soleil dont il fit exploser les ventes un an plus tard avec le film qui le propulsa - littéralement - au top. En attendant, avec Risky Business, Cruise parcourut plusieurs kilomètres importants qui le rapprochèrent davantage du statut d'icône.

 

La même année, il tourna un autre film pour adolescents, L'esprit d'équipe (All the Right Moves) qui n'avait aucune des qualités de Risky Business. Cruise y joue un athlète issu d'un milieu très modeste qui tente de décrocher une bourse malgré les bâtons dans les roues que lui met son entraîneur. Après Rebecca de Mornay, ce fut Lea Thompson - qui devint la maman de Marty McFly dans Retour vers le futur - qu'il attira dans son lit. S'il n'est pas resté dans les annales du cinéma pour son scénario ni sa réalisation, L'esprit d'équipe figure dans ceux des fans de l'acteur pour une raison très spéciale : si l'on passe au ralenti l'une des scènes, on y voit le pénis de l'acteur. A vos télécommandes...

 

 

85-86 : LE DECOLLAGE

 

Legend - Top Gun - La Couleur de l'argent

Tom Cruise avait démarré sa carrière en tournant avec deux réalisateurs respectés : Zeferelli et (surtout) Coppola. Même s'il n'avait joué pour eux que des petits rôles c'était un fait déjà fort remarquable qui, si on y réfléchit, laissait présager le coup de force qu'il allait réaliser en 1985 et 1986. Impossible de ne pas être bouche-bé par la rapidité avec laquelle l'acteur rentra dans la cour des grands en l'espace de quatre ans. Fort du succès de Risky Business, il rejoignit le tournage à Londres de Legend, le projet d'héroïc- fantasy de Ridley Scott. Cette fois, Cruise tenait le rôle principal, celui de Jack, un enfant de la forêt  qui unit ses forces avec une princesse (Mia Sara, la petite amie de Ferris Bueller dans La Folle journée de Ferris Bueller) pour lutter contre un être diabolique (Tim Curry). Legend fut un échec commercial malgré la beauté de l'univers imaginé par Scott et la musique signée une fois de plus par le groupe Tangerine Dream (même si les puristes préférent souvent la version avec la bande originale signée Jerry Goldsmith). Tom Cruise, dans un costume rappelant celui de Peter Pan, est convainquant mais on décèle un certain inconfort dans son interprétation. Le tournage aurait été particulièrement éprouvant et aurait eu raison de sa relation avec Rebecca de Mornay. Si l'expérience ne fut pas entièrement plaisante, elle permit néanmoins au comédien de rentrer dans le cercle intime de Ridley Scott et de rencontrer ainsi le frère de ce dernier, Tony Scott, qui allait faire de lui une star interplanétaire.

Le rôle de casse-cou Maverick dans Top Gun qui fit de Tom Cruise un sex-symbol et un millionnaire avait été à l'origine proposé à Matthew Modine qui le refusa pour dire oui à Stanley Kubrick et à son Full Metal Jacket. Bien que nous soyons admirateurs du talent indéniable de Modine, on ne peut que se réjouir du fait que Cruise hérita du rôle tant il est désormais difficile d'imaginer Top Gun sans ce dernier. Nous irons même plus loin en affirmant que sans Tom Cruise, le film n'aurait certainement pas connu un tel triomphe au box-office. Long, surproduit par Bruckheimer et son acolyte Don Simpson, Top Gun aurait pu repousser le public et les critiques par son côté « too much » et se voir relégué au rang de « nanard ». Bref, Top Gun avait besoin de quelque chose pour le dissocier des autres films macho et patriotiques. Le sauveur fut Tom Cruise qui donna du relief à un personnage très cliché. Intense et subtile à la fois dans son interprétation, le comédien semble avoir saisi l'essence de Maverick. Peut-être parce que la force qui les conduisait tous deux était la même : la volonté de survivre au père. Top Gun est en effet le premier film de Cruise qui traite de la relation du protagoniste avec un père absent, indifférent ou violent. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons sa performance dans Magnolia. Ce n'est bien sûr pas uniquement l'implication de Cruise qui remporta les suffrages du public mais aussi son charisme et son look : avec ses Aviator sur le nez, son blouson de cuir, son jean et sa moto, il incarnait le mâle américain dans toute sa splendeur.  .

 

De même qu'au lieu de profiter de son nouveau statut auprès des femmes il préfère épouser l'actrice Mimi Rogers, Cruise choisit de ne pas enchaîner avec un autre blockbuster mais au contraire de prouver qu'il était bien plus qu'un sex-symbol en tournant La Couleur de l'argent de Martin Scorsese, aux côtés du grand Paul Newman et Mary Elizabeth Mastrantonio. On peut supposer que l'acteur fit ce choix pour ne pas être catalogué mais il y a pourtant des similarités entre les deux œuvres. Suite de L'arnaqueur (1961), on y retrouve un Eddie Felson (Newman) enseignant à son jeune protégé (Cruise) l'art du billard (Cruise était si bon lors du tournage que selon son coach il aurait pu devenir pro). Si le film n'a visuellement rien en commun avec la super-production de Bruckheimer, reste que le personnage de Vincent Loria rappelle férocement celui de Maverick. Charmeur, impulsif, Loria excelle aussi bien dans les bars que Maverick dans les cieux. Cependant, tous deux ont besoin d'une nouvelle figure paternelle pour les guider et concentrer leur énergie. C'est ce que jouer avec Paul Newman offrit à Tom Cruise qui profita des conseils de cette icône du cinéma. Newman fut impressionné par le jeune acteur et lui donna l'adoubement que ce dernier avait besoin pour être définitivement considéré comme un acteur sérieux.

 

 

88-89 : LA CONFIRMATION

Cocktail - Rain Man - Né un quatre juillet

 

Accepté par ses paires, aimé par les studios pour qui il est devenu une poule aux œufs d'or, Tom Cruise a acquis à 26 ans les deux choses après lesquelles courent nombre d'acteurs jusqu'à la fin de leur vie. Tout ce qui lui restait à faire, c'était de confirmer sa position ; ce qu'il fit en l'espace d'une année tout d'abord avec Cocktail.  Comme Wall Street  Working GirlCocktail dépeint (et critique gentillement) la culture yuppie. Il n'avait néanmoins pas les qualités scénaristiques de ces deux derniers et ne doit son salut qu'à - encore une fois - l'incroyable charisme et enthousiasme de Tom Cruise. Cocktail fit beaucoup pour le métier de barman, inspirant des vocations et, surtout, conférant à ce dernier un nouveau statut, celui de gardien cool de la culture urbaine à l'image du personnage de Cruise dans le film. Au-delà des prouesses techniques de l'acteur derrière le bar, le film vaut aussi le détour pour sa  remise en cause des années fric et cocaïne. Dommage que le message fut enfoui sous une flopée de chemises hawaïennes...

 

Cocktail permit à Cruise de sécuriser sa popularité auprès du public tandis que ces deux prochains projets lui permirent de tester une bonne fois pour toutes ses capacités scéniques et de prouver définitivement au passage qu'il mérite son succès. Dans Rain Man de Barry Levinson (Diner), il campe à nouveau un yuppie - Barry Babbitt - qui, surprise, entretenait une relation quasi-inexistante avec son père. Il apprend à la mort de ce dernier qu'il ne touchera qu'un maigre héritage, la majeure partie ayant été attribuée à un mystérieux autiste nommé Raymond (Dustin Hoffman).

Fable émouvante sur le pardon et l'acceptation d'autrui, Rain Man permit à Hoffman d'obtenir un Oscar mais ne laissa pas en reste Tom Cruise qui reçut les louanges de l'interprète du Lauréat. Il faut dire que briller à côté d'Hoffman n'était pas chose facile mais, comme il avait réussi à le faire dans La couleur de l'argent, Cruise sut comprendre et faire comprendre au public les sentiments qui animaient son personnage. Le comédien réussit à le rendre encore plus attachant que Raymond en mettant à nu ses combats internes.

 

 

Se mettre à nu, Cruise le fit sans pudeur et avec une dévotion totale dans Né un quatre juillet. Oeuvre coup de poing d'Oliver Stone sur les ravages de la guerre du Vietnam, le film est basé sur la vie de Ron Kovic, un vétéran qui, blessé au combat, rentra aux Etats-Unis en fauteuil roulant, perdant sa fiancée et, surtout, son humanité. Réalisant le carnage auquel il avait participé et fut victime, il devint un leader du mouvement anti-guerre. Pour Oliver Stone, personne d'autre que Tom Cruise ne pouvait incarner Kovic. Il mit tout en oeuvre pour imposer la star. Kovic lui-même se rallia au choix du réalisateur. En jouant dans Né un quatre juillet, Cruise prenait un double risque : perdre son public pas habitué à le voir dans des films aussi durs et engagés et aussi donner raison aux critiques qui ne voyaient encore en lui qu'un acteur pour midinettes. Casser son image, l'acteur le fit avec éclat en incarnant un Kovic handicapé, impotent et alcoolique, l'antithèse complète d'un Maverick ou d'un barman au sourire éclatant. Ce coup de poker passa auprès du public, tout comme il passa auprès de ses pairs (nomination à l'Oscar du meilleur acteur) et des critiques dont ceux des Cahiers du cinéma qui consacrèrent l'une de leur couverture au film de Stone. Quant à Ron Kovic, il offrit à Tom Cruise la récompense qu'il avait reçu à son retour du Vietman pour le remercier pour sa performance. Avec Né un quatre juillet, Cruise obtint la reconnaissance définitive de son statut d'acteur « sérieux » juste avant de quitter la décennie qui l'avait vu se révéler avec fulgurance au public.

 

 

 

 

 

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