Festival Cinemania 2012 [Compte-rendu]
Ecran Large est allé faire du rattrapage de l'autre côté de l'Atlantique en allant à la rencontre du cinéma français à Montréal où se déroulait il y a quelques semaines le festival francophone Cinemania. Cette 18ème édition a su trouver l'équilibre entre une sélection éclectique et des invités de tout horizon. Entre de nombreux films déjà sortis ou à sortir en 2013, on a eu l'occasion de rencontrer la réalisatrice franco-irakienne Leila Albayaty pour son film intime et personnel Berlin Télégram ainsi qu'Alexandre Arcady pour Ce que le jour doit à la nuit.
Un vieil homme (Gebo) continue son activité de comptable malgré la fatigue. Avec sa femme (Doroteia) et sa belle-fille (Sofia), leur discussion ne tourne qu'autour de l'absence de leur fils (joão) disparu depuis maintenant plusieurs années. Un jour, João va réapparaitre, bouleversant la vie de tous.
Manoel de Oliveira a réalisé ce film à l'âge de 103 ans, ce qui fait de lui, le doyen des réalisateurs en activité. A son âge, on a franchement plus grand-chose à prouver et il peut se permettre des partis pris risqués ô combien plaisants pour un spectateur à la recherche d'œuvre personnelle et artistique. En effet, à travers sa mise en scène d'une cinquantaine de plans, c'est une véritable leçon de minimalisme qu'il nous donne à voir, ou comment atteindre l'essence d'un sujet de la façon la plus directe, la plus pure. De part cette mise en scène qui leur est vouée entièrement, le jeu des acteurs en est sublimé et incroyable de justesse. Fortement inspiré du théâtre (à travers la scénographie, le placement des acteurs, l'utilisation d'un décor unique) et de la peinture (plan fixe, lumière clair obscur), Manoel de Oliveira réalise un film d'époque qui fait écho à l'actualité de son pays qui vit une crise économique et sociale sans précédent. Il pose également des questions plus existentielles : Quelle vie mener ? Peut-on être riche et honnête ? La routine tue-elle ou rend-elle heureuse ? Magique et hypnotique, le dernier film de Manoel de Oliveira donne autant à réfléchir sur l'histoire qu'il raconte que sur la façon de faire du cinéma.
Début du XXème siècle, Madame Solario est accueilli par des aristocrates en villégiature sur le lac de Côme. Venant de divorcer, elle n'a plus les moyens du milieu qu'elle convoitise. Avec l'arrivée surprise de son frère qu'elle n'a pas vu depuis des années, ils vont tenter de séduire quelques personnages fortunés afin d'asseoir leur situation. Cependant, leur lourd passé commun va resurgir...
On comprend volontiers le désir du réalisateur René Féret de décrire un univers codifié par les traditions, ne laissant que peu de place à la liberté d'expression et aux états d'âme personnels. Et malgré des thèmes intéressants comme l'enfance perdue, le bonheur passé, l'amour interdit entre une sœur et son frère, le film ne réussit jamais à captiver. La faute à un traitement de l'histoire trop poli, ne jouant pas assez sur les frontières de l'interdit, les limites des conventions imposées par la société aristocratique de l'époque. La présentation des personnages et des lieux s'éternisent (bien la moitié du film) et quand le film démarre enfin, ce n'est finalement qu'un sursaut pour retomber dans l'ennui. La photographie de Benjamin Echazarreta colle parfaitement au sujet mais la mise en scène plate, sage, aurait mérité plus de fougue et de prise de risque.
Quand au personnage de Madame Solario, elle est insipide, effacée. Dur à dire si c'est un problème de direction d'acteur ou de casting mais Marie Féret n'y est pas. Jusqu'à se demander comment elle peut attirer autant d'hommes en étant si peu expressive ? Seul l'acteur Cyril Descours tire son épingle du jeu et réussit à créer un élan de rébellion dans ce monde figé. On aurait aimé que le réalisateur aille plus dans ce sens mais malheureusement, le film finira comme il a commencé, sans saveur. Frustrant !
BERLIN TELEGRAM
Musicienne belge d'origine irakienne et française, Leila a le cœur brisé. Comment refaire sa vie, comment guérir ? Sans prévenir sa famille, elle décide de tout quitter pour aller vivre à Berlin.
Un film sensoriel, psychologique, personnel et familial (la réalisatrice-comédienne joue son propre rôle avec sa sœur et ses parents), un road trip musical, un carnet de voyage... Berlin Telegram, c'est tout ça à la fois ! En somme un film catharsis où la réalisatrice Leila Albayaty, se sert de la musique et du cinéma comme pour se reconstruire et avancer dans la vie. Au même titre que John Cassavetes, Leila Albayaty réussi à capter le jeu des protagonistes avec naturel, rendant ainsi la frontière entre fiction et réalité impossible à sentir tout en gardant une mise en scène purement cinématographique.
C'est surtout un film passionnant sur un moment charnière de sa vie, une reconstruction faite de doute mais surtout d'espoir, une marche en avant, sans lamentation. Car, à aucun moment, le film n'est déprimant. Non, on est ici dans une recherche sincère sur elle-même, faite avec beaucoup de justesse. Pas de voyeurisme mais beaucoup d'humilité. Et nous spectateur, de s'émerveiller, au fil des saisons, devant cette renaissance, qui éclot peu à peu devant nos yeux.
Découvrez ci-dessous l'interview de Leila Albayaty
Ombline, une jeune femme de vingt ans, est condamnée à 3 ans de prison pour violence sur un policier. En cellule, elle apprend qu'elle est enceinte et donne naissance quelques mois plus tard à Lucas. La loi lui permettant de l'élever les 18 premiers mois, Ombline va se battre pour garder son fils le plus longtemps possible auprès d'elle et convaincre le juge qu'elle est capable d'en assumer la garde à sa sortie de prison.
Pour son premier film, le réalisateur Stéphane Cazes a tapé fort, très fort. Son travail de recherche et de documentation sur le sujet ont duré environ huit ans. Il a également travaillé en tant que bénévole dans une prison pendant deux ans. Son expérience et son vécu se ressentent tout le long de son film. A travers une mise en scène inspirée du cinéma américain, le film se veut engagé. Il fait réfléchir le spectateur sur la situation des prisons françaises tout en racontant une histoire émotionnellement forte. Mélany Thierry est habitée par le personnage, totalement investie dans son rôle. On suit son combat pour garder son enfant et sa reconstruction, sa métamorphose au contact de celui-ci, ce qui la poussera à s'en sortir.
Tous les rôles secondaires sont excellents et portent en eux un thème particulier (la violence carcérale, le manque de personnel, la difficulté de la réinsertion, la surpopulation...) ce qui donne une dimension bien plus large au film. Malgré le thème et le propos très dur de l'univers carcéral, Stéphane Cazes réussit à déminer le sujet en montrant des scènes de détente, de joie qui font redescendre la pression, humanisent les personnages et donnent de l'espoir. Evitant tout manichéisme en essayant d'expliquer chaque point de vue, que ce soit du côté des gardiennes que des prisonnières. On sort de la projection bouleversé, changé.
Après avoir commis un meurtre, William Lamers est condamné à mort par injection de poison. Dans la salle d'exécution, le directeur de prison lui demande de faire sa dernière déclaration. Cependant, la loi ne précisant pas clairement la longueur de celle-ci, il va profiter de ce vide juridique pour échapper à la sentence, en parlant, en parlant...
Attention, film coup de poing! Pour son premier film, Patrick Ridremont n'a pas fait les choses à moitié. La tiédeur, il ne connait pas et c'est tant mieux. Avec une véritable envie de dépoussiérer et de bousculer les lignes, entre comédie et drame, Dead man talking se veut une fable satirique de notre société. Ou comment un tueur certifié coupable (Patrick Ridremont) d'un meurtre violent, condamné à mort, devient par le cynisme du système et des politiques, quelqu'un de franchement sympathique. Le spectateur pourra même ressentir jusqu'à de l'empathie envers le condamné et se rendre compte concrètement de ce qu'est la manipulation des foules par les médias. Ici, il n'a pas de lieu ni d'époque précis car le film parle aux sociétés modernes dans leur ensemble. En ce sens, le travail des costumes, des décors et de la lumière est saisissant. L'enjeu est ici de créer un univers imaginaire mais proche du notre. Mission accomplie !
C'est surtout aussi une envie de faire du cinéma, honnête envers lui même et ses spectateurs, ne les prenant pas par la main pour les guider. Au contraire, Patrick Ridremont nous laisse vagabonder dans son univers, libre d'être choqué, ému, hilare.... Le film a de multiples raisons d'être vu, surtout parce que c'est un film à part, sortant du moule formaté des productions standardisées. Ici, il y a des gueules de cinéma, des visages marqués, ridés, creusés, taillés à la faux, où le sang coule comme les larmes. S'il y a une autre raison de voir ce film, ce serait pour Christian Marin, qui pour son dernier rôle au cinéma, transperce l'écran, nous faisant passer du rire à l'émotion en un regard. Et c'est bien de regard qu'il s'agit dans cette oeuvre singulière, un regard sur notre société, franc, inspiré, personnel.
A la mort de sa mère, Anne quitte l'Estonie pour venir à Paris s'occuper de Frida, vieille dame estonienne installé en France depuis de nombreuses années. A son arrivée, Anne est rejetée par Frida qui souhaite rester seule. Anne résiste à sa manière. A son contact, Frida va retrouver sa fougue d'éternelle séductrice.
Derrière les apparences calmes du film, se cache une réelle dynamique. Celui d'un destin croisé, de deux femmes qui n'auraient jamais du se rencontrer. Frida (Jeanne Moreau), vieille dame estonienne, vivant à Paris depuis de nombreuses années loin de sa famille. Et Anne (Laine Mägi), plus jeune d'une vingtaine d'année, est restée en Estonie près de sa famille mais loin de son rêve parisien. L'ancien amant de Frida (Patrick Pineau) contactera Anne pour qu'elle devienne aide à domicile. Mais Frida ne l'entend pas de cette oreille. Vont-elles réussir à s'entendre malgré leurs différences et s'affranchir de leur solitude ?
Le film questionne les choix de vie et comment accepter ces choix. A ce titre, les scènes ou Anne déambule la nuit sur les traces de la vie qu'elle aurait pu avoir 20 ans plus tôt, des rues qu'elle aurait pu arpenter, des tenues qu'elle aurait pu acheter, s'avèrent des plus troublantes.
Quant à Frida, c'est son manque de relation avec sa famille qui est devenu, au fil du temps, pesant. Il est intéressant de voir comment après le rejet, la méfiance, elles finissent par s'ouvrir l'une à l'autre, à se confier, à se comprendre. Chacun trouvant en l'autre la moitié qui lui manque. Touchant et parfois drôle, le film impose un rythme lent mais maîtrisé qui pourrait rebuter certaines personnes. C'est sans compter le trio de comédiens, absolument parfait, qui parvient, avec brio, à nous fasciner de bout en bout.
Algérie, années 1930. Younes a 9 ans lorsqu'il est confié à son oncle pharmacien à Oran. Rebaptisé Jonas, il grandit parmi les jeunes de Rio Salado dont il devient l'ami. Dans la bande, il y a Emilie, la fille dont tous sont amoureux. Entre Jonas et elle naîtra une grande histoire d'amour, qui sera bientôt troublée par les conflits qui agitent le pays.
Devant une salle comble, Alexandre Arcady est venu présenter son film au public de Cinemania. Il a notamment raconté une anecdote que nous vous relattons ici :
Toute sa famille a du fuir l'Algérie dans la précipitation. Ils se sont retrouvés, ses frères, ses parents et lui sur un bateau direction la France. Sa mère regardait les côtes algériennes s'éloigner quand tout à coup, elle se retourne vers ses enfants, affolée : « J'ai oublié les photos de famille dans l'armoire de la maison ». Après un silence, Alexandre aurait dit à sa mère : « un jour, je te les ramènerai ».
Cette anecdote est intéressante car elle met en lumière les raisons, les motivations profondes qui l'ont poussé à réaliser ce film. Une envie de recréer un univers quitter trop brutalement, de capturer en images ses souvenirs et ceux de sa famille. On comprend davantage le soin apporté à la reconstitution de l'Algérie d'avant-guerre avec notamment le travail incroyable sur les décors et les costumes.
À travers l'adaptation du roman de Yasmina Khadra, Alexandre Arcady a pu décrire la vie quotidienne sur plusieurs époques et aborder de façon non manichéenne des thèmes comme les inégalités (la pauvreté qui côtoie les richesses), l'injustice, la violence, le racisme. Mais aussi la joie, l'insouciance, le mélange des cultures. C'est aussi un moyen de mêler le film sentimental et le film d'aventure, de faire une parabole entre l'histoire d'amour impossible et le conflit qui se prépare dans le pays. Et malgré quelques défauts dont l'omniprésence de la musique et certaines lourdeurs scénaristiques (notamment sur l'histoire d'amour trop tire-larmes entre Jonas et Emilie), il serait dommage de bouder cette fresque historique aux élans romanesques, racontée avec passion et sincérité.
Découvrez ci-dessous l'interview d'Alexandre Arcady