PIFFF 2012 - Jour 5

Aude Boutillon | 22 novembre 2012
Aude Boutillon | 22 novembre 2012

CRAVE, de Charles de Lauzirika

Aiden est ce que la nature humaine a de plus insidieusement pourri et lâche. Il est ce que chacun se refuse d'être et clame combattre, quand il condense en réalité la couardise et l'individualisme quotidiens ; un regard détourné face à une agression dans le métro, des rancoeurs ravalées en lieu et place d'une quelconque honnêteté, des jugements mesquins... Et comme chacun, Aiden tandis qu'il s'écrase en silence, se rêve chaque jour téméraire et irrésistible. Mais Aiden est manifestement plus troublé que la moyenne, et, en Travis Bickle du pleutre, la découverte d'une arme, ainsi qu'une banale amourette transformée en véritable conte de fées par le prisme  de son regard, menacent de faire éclater la fragile frontière entre réalité et fantasmes. Le vigilante movie que l'on pouvait attendre se concentre alors davantage sur le désir dévorant d'un quidam qui se rêve justicier, purement motivé par des considérations égoïstes de reconnaissance, de conquête (financière, amoureuse) et d'épanouissement.

Profondément enraciné dans la psychologie de son personnage principal, et prenant le parti d'épouser exclusivement son point de vue, le récit de Crave se pare d'une voix-off continue, prolongation de la pensée d'Aiden et, bien plus que narratrice, extériorisation de sa frustration destructrice. L'identification ou le rejet en bloc appartiendront intimement au spectateur, libre de voir en Aiden  le reflet de sa propre solitude et de son désir d'émancipation et de reconnaissance, ou au contraire la concentration de bassesses abjectes. Les divagations imaginaires  du personnage se trouvent en tous les cas illustrées par un univers graphique soigné, planté dans un Détroit sinistre, menaçant, et grouillant de vermine (signalons à ce sujet la travail du production designer de Blade Runner, le nom de Lauzirika n'étant peut-être pas inconnu aux familiers des making-of de Ridley Scott). Si la rencontre d'une jeune femme laisse présager un virage romantique désarçonnant au vu des pistes effleurées, Crave se caractérise en réalité par un scénario diffus, entre histoire d'amour à l'intensité fantasmée, chantage laborieux, activité de photographe de scènes de crimes assez nébuleuse, et tentatives d'héroïsme avortées ; autant de pistes qui peinent à trouver leur aboutissement respectif, voire parfois leur justification au sein du récit. De même, Crave s'entête tant à coller à l'ombre de son personnage principal qu'il en délaisse ceux qui le côtoient, n'offrant à Ron Perlman qu'une participation anecdotique. On appréciera celle, plus consistante, du trop rare Edward Furlong, qui rappelle en une brève séquence toute sa justesse et sa sensibilité. Tantôt loufoque, empathique, révoltant, sinistre, Crave est une curiosité imparfaite et désarçonnante, et un coup d'essai marqué d'une réelle proposition, intrigante et atypique.

Nous avions pu rencontrer cet été, par l'intermédiaire de notre correspondant, Philippe Boissier, une partie de l'équipe du film au Fantasia, le festival de Montréal. Voici donc l'interview.

 

THE SEASONING HOUSE, de Paul Hyett

Les festivals ont cela de cocasse qu'ils permettent des interactions incongrues, inattendues, parfois même au su d'un des interlocuteurs. Au terme d'une longue conversation avec un Britannique somme toute fort sympathique, l'on apprendra ainsi, de la bouche du fort avisé Patrick Antona, que le bonhomme n'était autre que le réalisateur de The Seasoning House. Soit. Ah, et accessoirement maquilleur SFX des films de Neil Marshall, ainsi que de Heartless, Citadel et La Dame en Noir. Broutilles ! La première réalisation de Paul Hyett investit quoi qu'il en soit le délicat thème de la prostitution juvénile dans un contexte politique explosif. Dans un bordel d'Europe de l'Est, une jeune sourde-muette arrachée à sa famille, et campée par la convaincante Rosie Day, se voit confier la tâche de « préparer » ses consœurs prisonnières sur le point d'être jetées en pâture à des brutes épaisses. Ce rituel est celui de l'injection, destinée à rendre les victimes plus malléables, et d'un maquillage en violent décalage avec la crasse de corps privés de décence et de propreté. Le handicap de la petite Angel constitue en réalité son salut, l'immunisant contre le désespoir et les appels au secours des jeunes filles maltraitées, et l'emprisonnant dans un cocon déshumanisé, un isolement traduit par un travail sonore étouffé. C'est sa rencontre avec une des prisonnières, maîtrisant la langue des signes, qui constituera l'élément déclencheur, et le premier pas vers le ressaisissement de la jeune fille, désormais destinée à fuir le palais délabré des horreurs. The Seasoning House se découpe donc distinctement en deux parties. La première, destinée à retranscrire l'horreur d'une maison du plaisir révulsante, se veut tant insoutenable (preuve en est, un évanouissement au compteur) qu'elle cède parfois aux sirènes de la caricature, en alignant une série de profils masculins dépourvus de nuances, et nuisant à la vraisemblance des situations dépeintes (que l'on sait pourtant avérées, et qui ont justifié en premier lieu l'élaboration du film). Paul Hyett réalise toutefois l'exploit d'échapper à l'écueil de l'exploitation borderline, en drapant ses victimes d'une pudeur toujours bienfaitrice. La seconde partie de The Seasoning House fait quant à elle office de véritable survival, au cours duquel la freluquette supposément désavantagée donnera du fil à retordre à toute une troupe de criminels sans foi ni loi (au détriment, s'entend, d'une bonne dose de réalisme, coups de bol et incohérences à l'appui). On se surprendra alors de l'individualisme total de la jeune fille, dont la reconquête progressive d'humanité se trouve purement avortée par une détermination à sauver sa peau, et sa peau uniquement. Un parti-pris qui s'inscrit dans l'étrange ambiguïté du traitement des personnages dans The Seasoning House, où pas un homme ne se dénote de la médiocrité ambiante, et l'unique personnage féminin se montre aussi irrécupérable (doublée d'un goût décoratif un brin discutable). Il va sans dire que le passif de Paul Guts and Blood Hyett se charge de  remettre les pendules à l'heure au sein de ce beau petit monde ; une violence récréative diablement efficace lorsqu'elle est exploitée, au sein d'un rape and revenge détourné pétri de louables intentions mais trop bancal pour tenir l'ensemble de ses promesses.

 


 

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