La peur au cinéma : Universelle ou générationnelle ? [Partie 2]

Guillaume Meral | 31 octobre 2012
Guillaume Meral | 31 octobre 2012

La suite de notre dossier sur la peur au cinéma. En sélectionant 10 films parmi notre top 31 des meilleurs films d'horreur, nous avons cherché à trouver des éléments qui expliqueraient pourquoi ces oeuvres ne seraient plus perçues comme aussi effrayantes que par le passé. Bref, cette fameuse peur au cinéma, est-elle universelle ou générationnelle ? Après les 5 premiers films, voici les 5 suivants.  

 

Evil Dead de Sam Raimi

Le film de la révélation pour l'un des cinéastes contemporains les plus virtuose. Véritable rollercoaster horrifique, Evil Dead multiplie les ruptures de ton pour mieux placer le spectateur dans un état de stress permanent, au point de le conduire au bord de la nervous breakdown qui guette son héros à tout instant. Evil Dead, c'est aussi des inventions formelles permanentes, des prises de vues impossibles et une caméra à la première personne qui matérialise la présence de l'esprit maléfique. Bref, c'est la rencontre du Carl Theodor Dreyer de La passion de Jeanne d'Arc avec le cinéma d'horreur le plus décomplexé.

Pourquoi ça ne marche plus comme avant

Comme il a été dit dans notre première partie, chaque génération de spectateurs grandit dans un monde d'images aux contours esthétiques soigneusement définis. Or, pour instaurer une chose aussi délicate que la peur à l'écran, il paraît plus nécessaire que jamais de se référer à des critères visuels familiers pour bousculer le public dans le formalisme structurant son imaginaire. Film fauché par excellence, Evil Dead s'éloigne peut-être beaucoup trop des points de repères habituels du public d'aujourd'hui pour susciter son identification, ne serait-ce que du point de vue des effets spéciaux. Par conséquent, sans immersion, le spectateur ne perçoit que les ficelles avec laquelle le film a été conçu. Le temps, pire ennemi de la générosité ?

 

The Thing de John Carpenter

L'un des films phares d'un des plus grands réalisateurs ayant œuvré dans le genre ces trentes dernières années. Comme d'habitude chez Carpenter, la menace se cache derrière l'indicible, l'environnement oppresse les personnages par son gigantisme sans issue, et l'ambiance distille une fatalité que l'on sait inéluctable. Sans oublier les trucages légendaires de Rob Bottin

Pourquoi ça  ne marche plus comme avant

Essayer d'impressionner un spectateur ayant évolué toute sa vie au sein d'un monde d'images numériques avec des effets animatroniques, cela revient à « frotter son sexe contre une râpe à fromage : beaucoup de douleurs pour peu de résultats » pour paraphraser Ford Fairlane. Exception faite de The Thing pourrait-on dire, tant le travail extraordinaire accompli par Rob Bottin et son équipe parvient encore aujourd'hui à imprimer la rétine d'un public shooté aux SFX.  Le problème serait alors voisin de celui rencontré par L'Exorciste ou Rosemary's Baby : la place laissée à l'indicible, à l'ellipse génératrice de frustration pour laisser le spectateur dans le même état désemparé que les personnages lorsque la menace se précise. Le récent remake s'est d'ailleurs chargé d'adapter le traitement de Carpenter aux normes contemporaines (celle de la génération de la transparence) : le malaise déserte le décor pour se focaliser exclusivement sur un monstre surexposé, et toutes les zones d'ombres savamment entretenues par l'original font désormais l'objet d'un coup de projecteur. Pas sûr qu'on y gagne au change.


La Nuit des morts-vivants de George Romero

Encore un film matriciel, puisqu'il peut quasiment prétendre avoir inventé un genre à lui tout seul. Entre satire politique matérialisant les peurs de son époque et film de siège viscéral, Romero a créé l'alpha et l'oméga d'un genre dont il continue à être le dépositaire.

 Pourquoi ça ne marche plus comme avant

A l'instar d'Evil Dead, le film accoutume la réalité de son budget à une mise en scène novatrice mais tributaire de critères esthétiques qui ne font plus l'objet d'une identification de la part du public contemporain, qui ne perçoit dès lors que les ficelles de sa fabrication. De plus, les évolutions récentes du genre (gore en pagaille, zombies qui courent...) rendent peut-être difficile d'accès un film extrayant de ses figures une portée avant tout allégorique (les zombies, symbole de l'Apocalypse lent mais inéluctable qui menace d'engloutir la civilisation à une époque où le climat social était en effervescence).


Halloween de John Carpenter

L'un des films fondateurs du slasher, établissant les codes du genre et la figure du boogeyman avec une sensibilité toute carpenterienne. Chaque parcelle de la banlieue américaine typique devient un endroit de surgissement potentiel d'une menace presque déréalisée en la personne de Michael Myers, monolithe déshumanisé animé par un but unique. Et ce plan-séquence mémorable du début, voyant naître le mal à l'état pur sans qu'aucune explication ne vienne rationnaliser son existence.

Pourquoi ça na marche plus comme avant

Comme son remake l'a démontré, notre époque s'accommode mal avec le mystère et l'irrationnel, à plus forte raison quand il s'agit d'une entité aussi impénétrable que Michael Myers. Bref, les explications sont désormais de rigueur pour justifier l'existence du mal, là ou il s'agissait auparavant d'un état de fait s'imposant aux quidams qui avaient le malheur de croiser son chemin (et aux spectateurs venus y assister sur grand écran). Au-delà de ça, le slasher est un genre à ce point exploité depuis la sortie d'Halloween que les codes établis par Carpenter font désormais partie intégrante d'un inconscient collectif qui ne peut bénéficier de l'effet de surprise et de la fraîcheur découlant de sa découverte.


Shining de Stanley Kubrick

Quand le film d'horreur devient le terrain d'exploration d'un des plus célèbres scrutateurs de la nature humaine, avec la performance hallucinée de Jack Nicholson pour hyperboliser le passage du film dans la démence la plus insondable. Une succession de scènes inscrites au tableau d'honneur du patrimoine cinématographique, et la vision pessimiste d'une condition humaine mesurant la minceur de son libre-arbitre quand elle se fait rattraper par le cycle de sa destinée.

Pourquoi ça ne marche plus comme avant

Le rythme du film, ainsi que le regard de son réalisateur, pouvant paraître froid et distancié à une époque célébrant l'immersion sensitive immédiate peuvent constituer autant d'obstacles à l'adhésion du spectateur à l'univers dépeint. Il est d'ailleurs édifiant de constater que là où un film comme Full Metal Jacket réussit à conserver son pouvoir de fascination auprès du public (quelque soit le degré de lecture avec lequel celui-ci le regarde), la question est loin d'être aussi tranchée en ce qui concerne Shining. Une preuve que la peur est le sentiment le plus délicat à véhiculer à l'écran, ainsi que le plus tributaire de la fluctuation des critères esthétiques ?


Au final, il apparaît bien difficile de distinguer une analyse homogène dans ce qui se présente davantage comme un corpus de raisons tributaires d'une multitude de raisons inhérentes à l'exemple sélectionné. Dans ces conditions, difficile de distinguer le film d'horreur ultime et  extra générationnel, tant cette qualification semble dépendre de facteurs hautement subjectifs (pour l'auteur de ces lignes, il s'agirait du Candyman de Bernard Rose). Une première piste peut cependant être esquissée : dans une période de transparence généralisée comme la notre, où le fait de voir s'avère parfois plus important que d'avoir un point de vue, il reste peu de place à des films souvent édifiés sur les sphères nébuleuses disséminés par les cinéastes et dans lesquelles l'imaginaire du spectateur s'épanouissait. Dans ces conditions, un film fondé sur des critères esthétiques différents n'a que plus de chances de subir la visibilité de ses ficelles pour un regard qui ne consentirait pas à oublier son époque.

Autrement, pour la « vieille » génération qui se poserait des questions, il suffit de se dire que les mêmes personnes qui ne sentiront pas souffler le vent de l'aventure à cause du broshing de Kirk Douglas dans Les  Vikings ne peuvent connaître la joie de frissonner la boule au ventre devant un monstre animatronique, où une atmosphère de perversité onirique filmée en noir et blanc. C'est bien connu, les jeunes ne savent pas ce qui est bon.

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