Sitges 2012 - Partie 5

Aude Boutillon | 17 octobre 2012
Aude Boutillon | 17 octobre 2012

Cinquième et ultime compte-rendu de la 45ème édition du festival fantastique de Sitges, autrement connu sous le nom d'heure du redoutable bilan. A l'issue de 10 jours de festivités riches en projections -et bien plus, on se montrera un poil chagriné face à l'absence de grosse exclusivité, une importante partie des bestiaux attendus étant passée par les cases Venise et Toronto. Mais aubaine : Ecranlarge s'était justement exceptionnellement abstenu cette année d'assister à ces deux festivals. Comme l'an dernier, on regrettera une absence de véritables coups de cœur (à l'exception de la délicieuse surprise John dies at the end), à imputer davantage à la production cinématographique qu'au festival. Chapeau bas toutefois justifié par une galerie d'invités aussi prestigieux que pertinents, qui auront tantôt éclairé les projections de leur aura légendaire (Don Coscarelli, William Lustig, Barbara Steele) tantôt hanté les couloirs du festival une semaine durant, entre photos et autographes de fans frémissants, à l'image de Lamberto Bava. Les séances spéciales auront également justifié le déplacement d'Eli Roth, Elijah Wood ou encore Mark Lester. Il aura été d'autant plus décevant, face à tout ce beau monde, de ne pas parvenir à obtenir d'entretien, malgré, nous ne pouvons que nous en douter, l'assaut dont certains faisaient certainement l'objet. Nous ne pouvons que souhaiter voir le tir rectifié l'an prochain...

Le jury international, composé de Judith Colell, Denise Crosby, Lamberto Bava, Nacho Cerda et William Lustig, aura étonnement choisi de couronner de succès Holy Motors (meilleur film en compétition et meilleur réalisateur), récompensé en sus d'un prix de la critique et du Méliès d'argent. En dépit des indéniables qualités du film, on pourra légitimement s'interroger sur le bienfondé de ce triomphe, lorsqu'on sait la difficulté rencontrée par certains cinéastes fraîchement débarqués dans le métier, qui ne rechigneraient pas à se voir gratifiés d'un coup de pouce. On aura toutefois été ravis de voir le Touristes de notre bien-aimé Ben Wheatley récompensé à deux reprises (meilleure actrice pour Alice Lowe ; meilleur scénario). Les curieux peuvent s'enquérir du palmarès complet de la 45ème édition du Festival International du Film Fantastique de Sitges sur le site officiel.

 

L'heure est par conséquent venue de dérouler la dernière salve de films découverts à l'occasion de la dernière journée du festival. Deux ans après Outrage (à prononcer à la Japonaise, s'il-vous-plaît), Takeshi Kitano revenait assener un nouvel uppercut avec Outrage Beyond (à prononcer à... bref), suite directe du premier épisode. Les luttes internes du clan Sanno, précédemment introduit, se sont désormais étendues au niveau national, l'organisation s'étant muée en une structure criminelle tentaculaire. Quiconque s'installera devant Outrage Beyond, armé de quelques souvenirs relatifs à sa préquelle, ne pourra que constater avec surprise le retour de la gueule burinée de Beat Takeshi, plus increvable et déterminé que jamais à tirer son épingle de la véritable partie d'échecs qui se joue au sein du milieu yakuza. Lesdites factions sont assimilées, ni plus ni moins, à de banales entreprises, déchirées et restructurées autour de luttes internes et de problématiques bureaucratiques, la variante n'étant constituée que par leur caractère légal ou non. A ces forces illégitimes s'ajoute une représentation de l'ordre bien loin de s'ériger en rempart contre le crime et le chaos, le détective à l'origine du retour en grandes pompes de Kitano se montrant aussi manipulateur et rongé par la corruption que le milieu qu'il pénètre. A l'image de l'environnement impitoyable qu'il s'efforce de décortiquer, Outrage Beyond fait montre d'une mécanique implacable, servie par un rythme extrêmement soutenu et des dialogues diaboliques, la pleine compréhension des innombrables interactions exigeant de la part du spectateur une concentration continue. On appréciera un dosage judicieux d'une violence pourtant sèche et féroce (agrémentée d'un humour noir bien familier), voire explosive à l'occasion d'un plan final tout simplement parfait. Une fiction criminelle dense et furieusement hard boiled.

A l'inverse de son homologue nippon, Jennifer Chambers Lynch avait encore à faire ses preuves, après des débuts derrière la caméra en forme d'échec critique cuisant et une récente expérience de tournage ayant viré au cauchemar (et fait l'objet d'un documentaire). Si Chained ne comblera pas toutes les attentes que son excellente ouverture aura fait naître, la faute à une prévisibilité et une mise en scène trop convenue pour surprendre, il n'en reste pas moins un film de facture tout à fait correcte, porté par un rôle masculin glaçant. Vincent D'Onofrio, récompensé à juste titre par le prix du meilleur acteur, y campe une ordure déshumanisée par un trauma infantile présumé, kidnappant des jeunes femmes à bord de son taxi. Il suffira d'un malheureux timing pour qu'un petit garçon et sa mère choisissent la mauvaise voiture ; celle qui les condamnera, pour l'une à une mort effroyable, pour l'autre à l'enfermement perpétuel, au service du bourreau de sa génitrice. Contraint de répondre aux exigences du psychopathe, de l'assister dans ses méfaits, et de nettoyer la scène des inlassables crimes répétés au fil des années, le jeune Rabbit constituera malgré lui le fil rouge des interrogations véhiculées par Chained : une âme innocente, sous le joug imposée d'un geôlier à mi-chemin entre monstre et figure paternelle déviante, saura-t-il s'affranchir de l'influence délétère, ou cédera-t-il aux vices de la perversion ?

Dommage que le film cède dès lors à des rebondissements regrettablement sans surprise, jusqu'à un twist presque aberrant et royalement hors-propos. Les thèmes, pourtant riches (dysfonctionnement familial, débat de l'inné contre l'apprentissage -nature vs nurture, syndrome de Stockholm) ne seront par ailleurs jamais explorés en profondeur.

Nous avions pu rencontrer cet été grâce à notre correspondant, Philippe Boissier, la réalisatrice à Fantasia, le festival de Montréal (ça nous change de Sitges où avoir une interview est une pure mission impossible).

Tandis que l'exercice de l'anthologie semble, sinon regagner ses lettres de noblesses, du moins susciter un certain intérêt du côté des spectateurs, l'Asie fantastique remet le couvert, 8 ans après 3 Extrêmes. Cette fois, elle convie, dans Doodmsday Book, Yim Pil-Sung (Hansel et Gretel) et Kim Jee-Woon autour d'un thème plus ou moins défini comme celui de l'apocalypse, disséqué en trois segments (l'un d'entre eux ayant initialement été confié à Jan Jae-Rim, contraint de quitter le projet en quatrième vitesse, la réalisation de son film ayant finalement été confiée à Yim Pil-Sung). Ce dernier est également à la tête du premier segment, intitulé Brave New World. Enième affaire de zombie, certes inhabituelle pour le continent, et teintée d'un message écolo, Brave New World table sur un humour absurde pas toujours très juste, et souffre de certaines longueurs. L'on retrouvera le même ton dans le plus appréciable The Christmas Gift, où la patte enfantine du réalisateur s'accorde joliment à une fable optimiste et naïve sur la fin du Monde. Le cœur de l'anthologie sera, conformément aux attentes, constitué par le segment de Kim Jee-Woon, véritable dissertation existentielle et spirituelle relative à un robot supposément illuminé par l'esprit de Buddha. Eloigné de ses deux semblables, de même que du thème propre de l'exercice, Heavenly Creature démontre en tout classicisme la maîtrise du cinéaste, au risque de désappointer ceux qui attendaient, après les dernières bombes du réalisateur de J'ai rencontré le diable, un nouveau tour de force de créativité, ou un réel coup-de-poing cinématographique. Plus qu'une vision conjuguée de l'apocalypse, Doomsday Book constitue finalement un recueil d'interrogations riches en thématiques d'ordre théologique, en plaçant au cœur de ses composantes des réflexions relatives à la création, au péché, à la foi et au repentir.

72 heures après un retour difficile, le décalage horaire fictif opère toujours, et la délicieuse et éreintante routine catalane s'efface peu à peu, tandis que résonne encore la tonitruante réaction du public à la traditionnelle animation simiesque précédant chaque projection. On s'en languit, déjà. Et on l'attend de pied ferme, déjà.

 
 
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