Sitges 2012 - Partie 2

Aude Boutillon | 10 octobre 2012
Aude Boutillon | 10 octobre 2012

Jours 3 et 4 ; entre rencontres fortuites, évènements inopinés venant chambouler un emploi du temps savamment orchestré, et montagnes de tapas à ingérer, le rythme de fréquentation des salles peine parfois à rester raisonnable. C'est que le festivalier n'est jamais à l'abri d'une surprise du plus bel effet ; la journée du lundi 8 octobre s'est ainsi vue ponctuer de la découverte, en toute dernière minute, d'un petit concert organisé au centre de Sitges. Oh, trois fois rien ; Claudio Simonetti se contentait de proposer un spectacle, précurseur à la projection de Dracula 3D, dont il a signé la bande sonore. Le musicien, accompagné d'un clavier et d'un thérémine, a ainsi délecté un public de fans du thème de Démons et des partitions les plus célèbres des Goblins, en payant au passage un hommage soutenu à Dario Argento, présent en toute discrétion.  Un bien joli moment qui aura coûté le sacrifice d'une projection ; nous ne pouvons qu'implorer la mansuétude du lecteur vindicatif, et l'appeler à ses premiers frissons transalpins.

 

 

Autre atmosphère avec Acte Attorney, adaptation attendue de l'excellente licence popularisée (et internationalisée) par une arrivée sur console Nintendo DS en 2006. La qualité du matériau de base s'alliait à la présence, derrière la caméra, d'un gaillard aussi renommé pour sa fécondité créative que pour sa démence cinématographique ; Takashi Miike. Premier constat : Ace Attorney s'attache en tous points à reproduire le (second) jeu dont il est issu, des personnages à l'intrigue, en passant par les gimmicks bien connus des joueurs (facilement identifiables parmi l'audience). Le film reprendra donc à l'identique le scénario du jeu, créant au passage des passerelles simplifiées entre les enquêtes menées par le héros, et sacrifiant quelques complications dispensables.  Phoenix Wright, novice du barreau caractérisé par la bien-connue fougue du débutant et une improbable chevelure pointue, est ainsi chargé de défendre la petite sœur de sa mentor, assassinée dans d'étranges circonstances, avant de se voir confier un inextricable dossier accablant le procureur du tribunal dans une sombre histoire de meurtre. Les mécanismes interactifs faisant le sel du jeu vidéo se trouvent de fait portés à l'écran, sauvant de peu Ace Attorney de la monotonie pouvant naître de la platitude de confrontations judiciaires. Des longueurs n'en sont pas moins identifiables, étendant parfois le procès plus que de raison, a fortiori quand l'essentiel de la trame est constitué de logorrhées incessantes, certes rythmées par la retranscription des procédés vidéoludiques de la saga.

Dans la série « Les Espagnols chérissent très fort leurs petits rejetons », la projection de The Impossible en tenait une jolie couche. Le nouveau film de Juan Antonio Bayona (L'Orphelinat, plus gros succès espagnol au box-office du pays, tous genres confondus) a aisément fait salle comble, et s'est vu accueilli par un enthousiasme chaleureux, que nous jalousons secrètement, et dont nous serions ravis de voir la reproduction en nos contrées franchouillardes, où les sifflets et huées accompagnent un poil trop souvent les initiatives nationales. L'histoire d'une famille de vacanciers (présidée par Naomi Watts et Ewan McGregor, impeccables l'un comme l'autre) rescapée du tsunami thaïlandais aura ainsi cueilli un public touché en plein cœur... en nous laissant malheureusement au bord du chemin, la faute à des procédés émotionnels trop mécaniques et évidents pour porter leurs fruits. The Impossible délaisse ainsi progressivement la sobriété qui avait caractérisé sa séquence d'introduction, aussi chiche en grandiloquence que glaçante, pour sombrer dans des envolées lyriques à la limite de l'indigestion, aussi reconnaissables d'un point de vue musical que dans une mise en scène étonnamment peu subtile. Le procédé semble, de surcroît, relativement vain, tant The Impossible peine à imposer, à défaut d'un message réellement pertinent, une vision singulière.

La précédente nuit de projection encore à peine digérée, nous avons remis le couvert à l'occasion d'une soirée que nous identifierons comme placée sous la bannière « psychokillers », signant notamment le retour d'Eduardo Sanchez, coréalisateur de Blair Witch. Lovely Molly, fortement marqué du précédent travail du bonhomme, se sera ainsi avéré bien plus correct que ses prémices ne le laissaient présager. Un couple fraîchement marié (ouverture sur la cérémonie en mode found footage monté à la truelle, ça vous rappelle quelque chose ?) s'installe dans la demeure du défunt père de la mariée, réveillant de douloureux souvenirs et autant de psychoses enfouies. Naviguant astucieusement entre la folie dévorante de sa protagoniste et un surnaturel incertain, Lovely Molly se pare d'un montage malin, condamnant au hors-champ des séquences que l'on devine pourtant déterminantes. Si, en cédant à la pente glissante des clichés inhérents au genre, et tristement popularisés par Paranormal Activity, le film d'Eduardo Sanchez s'enlise dans des terrains sur-balisés et ne parvient pas réellement à se construire une identité propre, il n'en propose pas moins des thématiques intéressantes et des moments de frousse loin d'être honteux. 

On sera restés plus circonspects devant le No one lives de Ryuhei Kitamura, attendu au tournant après l'enthousiasmant Midnight meat train. Il y est question d'un couple ayant manifestement vécu jours plus heureux, croisant le chemin de dangereux malfaiteurs. Le traditionnel torture-porn attendu se verra de fait tordre le cou, les apparences pouvant paraît-il se révéler trompeuses. De son prédécesseur, No one lives hérite d'une certaine imprévisibilité, voire d'une propension à la surprise singulièrement intéressante. Le renversement brutal des rôles (pour quiconque n'aura pas étanché sa curiosité à la lecture du synopsis) réservera ainsi de réjouissants instants de folie et de barbarie récréative, personnifiées par le très recommandable Luke Evans. L'intrigue n'en baigne pas moins dans une certaine confusion... un brin exacerbée par l'horaire tardive, il est vrai.

Il faut dire que nous avions consacré l'intégralité de notre énergie rescapée à la projection très attendue du Lords of Salem de Rob Zombie, projet extrêmement fantasmé dont le teaser récemment diffusé en ligne avait rajouté une goutte d'huile sur le feu de l'impatience bouillonnante des fans... et des autres. Sans plus de tergiversations, affirmons-le clairement : Lords of Salem divisera, tant son auteur s'acquitte de toute espèce de formalité narrative et artistique, pour livrer un objet atmosphérique, menaçant et inclassable. En ce sens, Lords of Salem est certainement le film le plus édifiant et personnel de Rob Zombie, en ce qu'il finit d'entériner la personnalité iconoclaste de l'artiste, n'en déplaise aux perdus, qui souffriront sans nul doute d'une absence de repères confondante. Il est par ailleurs nécessaire de préciser que Sheri Moon Zombie surprend -y compris les réfractaires, en s'acquittant avec brio d'une tâche délicate et en livrant une performance tout à fait convaincante et sobre, là où l'on pouvait légitimement craindre de la part du cinéaste une déification poussive et indigeste de son épouse, entourée par ailleurs d'un casting résolument réjouissant (Ken Foree, Dee Wallace, Meg Foster, Patricia Quinn), qui peine toutefois à concrétiser l'incarnation du climat menaçant pesant d'un bout à l'autre du film (là où les apparitions des sorcières auraient pourtant pu relever de la terreur pure). Enfin, l'immersion dans l'univers glauque, onirique, pesant et malsain que dépeint Lords of Salem (avec le bénéfice d'une photo inspirée à souhait ainsi que de la musique de John 5) trouve sa limite dans un scénario simpliste, sinon bancal, qui ne se montre pas à la hauteur de l'ambition de la mise en scène. Une impulsion sauvage, biscornue, parfois boiteuse, mais en tous points singulière.


 

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