Oliver Stone: Contestataire Reconnu, idéaliste mal perçu [Partie 2]

Guillaume Meral | 30 septembre 2012
Guillaume Meral | 30 septembre 2012

Alors que le crépuscule est sur le point de s'abattre sur l'horizon des années 80, Oliver Stone a d'ores et déjà imprimé sa marque dans l'histoire du cinéma américain. En parvenant à intégrer l'agressivité totalement décomplexée des forces esthétiques en vigueur à sa propre démarche artistique, Stone fit du cinéma un talisman de représentations hyperboliques protégeant l'intégrité de son propos. Comme si pousser les codes des genres qu'il abordait dans leurs retranchements thématiques et visuels constituait pour lui la condition sine qua non de la préservation de sa vision du monde. En cela, il reste encore aujourd'hui le scribe d'une époque, qui en aura saisie l'essence à travers la création de ses archétypes les plus représentatifs. A eux seuls, Tony Montana et Gordon Gekko symbolisent parfaitement l'ambivalence du bonhomme, le culte dont ces deux figures mythiques font l'objet (les années 80 pourraient presque se résumer à eux) auprès de l'audience stigmatisée n'ayant d'égal que l'évidence avec laquelle ils semblent véhiculer les germes de la destruction de la société dans laquelle ils évoluent.

 

Après un Talk  radio passé (à tort) relativement inaperçu, le réalisateur entre, à partir de Né un 4 juillet, dans ce qui constitue sans doute la phase artistique la plus faste de toute sa carrière. En effet, non content de rompre avec certaines des conventions formelles qui tendaient à amoindrir la portée de ses précédents films (le cinémascope remplace le 1.85, les expérimentations de contrastes de couleurs tranchés se substituent à la photo tirant vers le naturalisme...), Stone se façonne également un style visuel unique, prenant largement forme lors du montage, qu'il n'aura de cesse de pousser dans ses retranchements. Ainsi, il s'affranchit enfin du poids  représenté par ses velléités narratives et thématiques pour les matérialiser au sein d'un formalisme cristallisant à l'état brut ses préoccupations. Là réside l'une des caractéristiques les plus remarquables de son cinéma : plutôt que de traiter avec parcimonie ses sujets, sa mise en scène en extirpe les composantes pour les étaler au sein d'un fatras d'images parfois entrechoquées, d'où émanent  les contours d'une vérité parfois contradictoire. L'équilibre qui faisait parfois défaut à ses premiers films tient désormais dans ce paradoxe : faire naître la subtilité à travers l'épaisseur apparente de son traitement.

 


Une mise en scène qui trouve une légitimité de fait lorsqu'il s'agit de traiter d'individus confrontant leur réseau de croyances à la corruption du terreau institutionnel dans lequel ils sont établis. Ainsi, Né un 4 juillet et JFK parlent tout deux d'hommes contraints d'admettre la perversion du système idéologique auxquels ils ont adhérés soit pour renaître en tant qu'individu (le vétéran paraplégique du premier), soit pour pouvoir envisager l'espoir d'un redressement futur (le procureur opiniâtre du second). On retrouve ici l'abandon de tout tissu social à une idée presque intégriste de la pureté, qui sera pleinement mise en œuvre dans The Doors, faux biopic mais véritable autoportrait à travers la figure mythique de Jim Morrisson, vraisemblablement pensé comme un alter-ego du cinéaste. En effet,  le chanteur est probablement l'un des seuls personnages de toute la carrière du réalisateur à embrasser pleinement son jusqu'au boutisme destructeur. Icône d'une génération, la recherche perpétuelle du trip ultime de Morrisson ne pouvait qu'aboutir à une mort prématurée, issue inéluctable d'une quête qui dépassa largement les limites du courant contre culturel dans lequel il s'inscrit. Preuve cette incroyable scène de concert finale, considérablement étirée, au cours de laquelle l'artiste cherche à entrainer un public pourtant chauffé à blanc, sans jamais trouver la résonnance à ce qu'il désire. Le suicide collectif, seul cheminement possible vers la transcendance ?


Si les échecs de Nixon et d'Entre ciel et terre marquèrent un ralentissement créatif de Stone, dont le formalisme n'est jamais aussi limité que lorsque les images se bornent à se paraphraser entre elles, Tueurs nés et L'Enfer du dimanche constituent peut-être le dyptique de sa quintessence. Dyptique tant le second constitue à bien des égards le double lumineux du premier (même si U-Turn peut se voir comme le chainon manquant d'une trilogie entre les deux films) ; quintessence car Stone y pousse ses expérimentations visuelles jusqu'à leur point de rupture postmoderne. De fait, si Scarface et Wall Street représentent les années 80 et 90 dans toute leur flamboyance décadente, Tueurs nés et L'Enfer du dimanche incarnent les années 90, et son « flux d'images indistinctes ».


En cela, les deux films se proposent de mettre en scène un corps d'image malade évoluant de manière totalement autonome, comme si la société médiatique qu'il était censé représenter se retrouvait dépassé par sa propre création. Ici, l'image n'est plus un produit des représentations mais l'inverse, dégénérant en matrice déréalisant le contenu qu'elle est censée véhiculer et aliénant sa réception (la scène de rencontre entre Mickey et Mallory dans Tueurs nés, façon sitcom déglinguée, participation du public à l'appui). Cependant si Tueurs nés revient (et transcende) à ce que Stone essayait maladroitement de développer dans Platoon (le chaos général comme chemin vers un salut potentiel), L'Enfer du dimanche s'en remet à l'inverse aux structures mythologiques de l'Amérique pour envisager la renaissance de la société décadente qu'il dépeint. Là où le premier honore l'échéance de l'implosion de l'image et de la civilisation qu'elle recouvre comme une seconde peau, le second met en scène le possible retour à la vertu de ce système. La pureté n'appelle plus la fin de ce corps visuel mais envisage désormais la conciliation, même si l'épilogue teinté d'ironie laisse apparaître une forme de résignation inédite chez le réalisateur, qui trouvera une résonnance déterminante dans la suite de sa carrière.

 

 

 

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