Oliver Stone: Contestataire reconnu, idéaliste mal perçu [Partie 1]

Guillaume Meral | 26 septembre 2012
Guillaume Meral | 26 septembre 2012

Alors que Savages vient d'entamer sa carrière dans les salles françaises, l'heure semble propice à un bilan de la carrière d'Oliver Stone, alors que le réalisateur semble être définitivement arrivé à un point culminant de sa carrière. Célébré (et critiqué) pour avoir pris le pouls d'une Amérique saisie dans les dérives de son époque, reconnu pour s'être attaqué bille en tête aux images d'Epinal formant la mémoire institutionnelle de son pays, Oliver Stone présente également le paradoxe notable de s'être parfois fait accusé de faire le lit d'une idéologie réactionnaire insidieuse, au sein d'œuvres pourtant vendues sur leur subversion supposée (Salvador, Platoon, Tueurs Nés, ...). En réalité, le cas Stone est infiniment plus complexe que ces deux étiquettes réductrices. A l'instar d'un John Milius, pourtant diamétralement opposé à lui politiquement parlant, le réalisateur a toujours chevillé son cinéma à une vision du monde (et notamment du pays dans lequel il réside) réfutant tout compromis. Au-delà du vernis séditieux de son œuvre se dessine en creux le portrait d'un idéaliste invétéré, dont les élans contestataires émanent précisément de son aversion contre toute altération de son utopie au contact du système corrompu dans lequel il évolue.

 

 

 

Après être sorti de l'école de cinéma de New-York (où son court-métrage, Last year in Vietnam, connut un certain retentissement), il débute comme tant d'autres réalisateurs avant lui au sein du cinéma d'horreur, genre qu'il investit au détour de ses deux premiers films, La Reine du mal en 1974 et La Main du cauchemar en 1981. Mais c'est véritablement son activité de scénariste qui va contribuer à forger son identité artistique, à travers une série d'œuvres qui ont pour particularité d'avoir fait polémique d'une façon ou d'une autre.

 

 

Si ses scénarios pour Midnight Express et L'Année du dragon lui valent d'être taxé de racisme, respectivement envers les Turcs et les Chinois, Conan le barbare et Scarface posent les jalons des anathèmes que Stone est appelé à subir durant le reste de sa carrière. Accusé de véhiculer une imagerie crypto fasciste à travers des représentations stéréotypées primitives, de vouer une fascination malsaine pour la violence et de délivrer des propos résolument amoraux, Stone sert de cible (aux côtés des réalisateurs desdites œuvres) aux lancers de tomates des apôtres de la morale de tous bords. En réalité, ce sont les contours de son œuvre, à l'ambivalence entretenue par le jusqu'au boutisme narratif qui la caractérise, qui s'esquissent ici entre les mains des autres. Car bien que la paternité desdits films ne saurait échapper à la personnalité très marquée de leurs réalisateurs respectifs, Stone développe des figures destinées à devenir récurrentes dans sa filmographie : une représentation exacerbée des figures archétypales, des univers dépeint dans toute leur intégrité délétère, et des « héros » qui s'adaptent à un environnement darwinien au point de finir par le dominer. C'est là que réside la confusion à propos de Stone, dont le refus viscéral d'apposer toutes grilles de lectures prémâchées à un contexte atypique conditionne une écriture décrivant ses héros comme des épiphénomènes d'une société pervertie. Un état de fait que l'on peut se risquer à traduire en effectuant une analogie entre Conan et Scarface : si les héros de ces films semblent évoluer au sein de deux contextes que l'on aimerait considérer comme antagonistes (une civilisation barbare uchronique, et la société américaine des 80's), tout deux aperçoivent l'horizon de leur émancipation (de l'esclavage pour Conan, de la pauvreté pour Tony Montana) à travers leur dispositions pour la violence. D'où une propension déjà manifeste du cinéaste à dépeindre des protagonistes sublimés à travers les excès semés dans leur quête d'absolu. Chez Stone, il n'y a pas de juste milieu entre la pureté et le chaos : si l'un ne peut se totaliser pleinement, alors l'autre doit prendre sa place.

 


 

Cette ligne thématique, Stone continue de l'explorer lors de son retour derrière la caméra, qui se traduit notamment par la mise en exergue particulière du contexte perturbé dans lesquels se déroulent ses histoires, l'auréolant ainsi de la réputation de cinéaste engagé qui deviendra la sienne.  Le Salvador régi par la junte militaire dans le film éponyme, le Vietnam au plus fort de la guerre de Platoon, ou le Manhattan des yuppies dans Wall Street. Une ambivalence qui sied parfois mal aux capacités de metteurs en scène de l'époque de Stone, notamment sur Platoon (à la fois son  film le plus personnel, puisqu'il s''inspire largement de sa propre expérience au Vietnam, et l'oeuvre de la consécration avec ses 4 Oscars obtenus en 1986), dont la redondance des partis-pris visuels tend à exacerber le didactisme quelque peu schématique du récit, au détriment d'une portée narrative pourtant plus complexe (la contradiction comme cheminement vers un Apocalypse potentiellement salvateur). Scénariste aguerri, Stone restait encore un cinéaste en quête d'un style susceptible de transcender le poids de ses velléités thématiques.

 

 
 
 

 

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