Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2012

Aude Boutillon | 24 septembre 2012
Aude Boutillon | 24 septembre 2012

Strasbourg, Saison 5. Si le lecteur assoiffé de mésaventures borderline avait pu, l'an dernier, s'abreuver de l'auto-fiction d'un Tonton BDM en mode reporter de l'intrépide tendance gonzo sordide, les plannings des uns et des autres ne nous ont cette fois permis d'assister qu'aux deux derniers jours du festival, réduisant le champ des possibles à autant de soirées festives. Or, la première semaine étant passée par-là, les festivaliers strasbourgeois peinaient à démontrer la même fièvre décadente inépuisable ; il fallut donc nous résoudre à poser les pieds dans quelques salles de projection, et rendre compte d'une (petite) partie de la sélection de cette cinquième édition du FEFFS.

 

 

Les diverses rétrospectives permettaient de se rassasier d'incontournables-comme-on-n'en-fait-plus-ma-bonne-dame (Les chaussons rouges, Mad Max 2, New York 1997 et consorts), mais également de découvrir quelques pépites bien senties, en l'espèce inscrites dans le cadre de la rétro Post Apo ; d'horizons désolés en perdition humaine, Le Monde, la chair et le diable et Malevil s'ouvrent dans des circonstances similaires : quelque part, reclus sous terre, des protagonistes subissent d'étranges secousses. Ils ignorent encore qu'ils viennent d'échapper à l'apocalypse. Une fois extraits de leur repaire, ils voient leur vie redéfinies à l'aune de la survie, de la recherche de miraculés, et de rapports de force redessinés, dans un monde où toute autorité a semble-t-il disparu. Dans Le Monde, la chair et le diable, c'est un New-York non pas dévasté mais désertique à l'issue d'une attaque nucléaire, qui fait office de terrain de jeu pour Ralph, minier devant ironiquement son salut au labeur auquel le condamne sa condition sociale, et dont le chemin croisera bientôt celui d'une pétulante blonde, survivante tout aussi esseulée. Au summum de son panache, Harry Belafonte habille ici chacun de ses sourires, regards et postures d'un charisme renversant, souligné ça et là d'interludes musicaux charmeurs. Si Le Monde, la chair et le diable (1959) s'inscrit au beau milieu de la Guerre froide, et voit son postulat directement justifié par une conséquence des frictions politiques alors contemporaines, le propos sera, lui, nettement plus philosophique et anthropologique, en abordant notamment la question de la ségrégation, au moyen d'une idylle jadis interdite et toujours refusée, malgré la disparition pure et simple de toute pression sociale, qui n'en a pas moins façonné société et mentalités d'une manière irrémédiable. Une mise en scène anti-spectaculaire, un propos pertinent et des dialogues ciselés.

 

 

Loin des gratte-ciels déshumanisés, Malevil (inspiré du romain éponyme de Robert Merle) situe son action dans un petit village français, ravagé par une explosion à laquelle peu ont échappé. Véritable curiosité cinématographique (nous vous laissons le soin de comptabiliser le nombre de films français construits sur la base du genre post-apocalyptique), Malevil se fend d'un casting ahurissant ; Jacques Villeret, Jacques Dutronc, Michel Serrault et Jean-Louis Trintignant trimballent ainsi leurs gueules dans un film dont la copie fatiguée et orangée contribuait à conférer un aspect poussiéreux et suranné aussi involontaire qu'approprié. La microsociété naissante, qui apprend à se réorganiser en dépit de la pénurie, cherche avant tout l'harmonie et l'espoir, en confiant à chacun le soin d'apporter sa contribution. L'irruption d'une seconde tribu, chaperonnée par un « Directeur » autoritaire (Jean-Louis Trintignant, capable de dispenser une véritable leçon d'actorat en 15 minutes chrono de présence à l'écran) fait toutefois ressurgir les relents d'une société belligérante et avide de conquête. Malevil n'échappe pas à quelques longueurs, ainsi qu'à des facilités scénaristiques attendues, mais fait preuve d'une étrangeté curieusement fascinante... doublée d'une dose de privilège, l'édition DVD française restant encore inédite !

 


 

Honteusement négligé lors du dernier Etrange Festival de Paris (on se demande bien quels clowns étaient chargés de le couvrir, tiens), Grabbers faisait son passage à Strasbourg, au demeurant triomphant, puisque le film de Jon Wright a remporté, assez logiquement, le prix du Public, grâce à une compilation humour britannique - alcool à foison - aliens-bulots-poulpes. Le postulat de départ s'octroie en effet inévitablement toute la sympathie du monde : pour échapper aux attaques d'extraterrestres marins assoiffés de sang, une communauté irlandaise n'a pour unique échappatoire que l'absorption massive d'alcool, les bestioles se montrant particulièrement intolérantes au tord-boyaux. A défaut de révolutionner le paysage fantastique, qu'il se contente de ponctuer de rires gras plutôt que d'aménager un réel potentiel effrayant, Grabbers, Tremors nautique du XXIème siècle, fait mouche, en s'abstenant de sombrer dans le florilège de références lourdingues et prévisibles, et en adoptant un ton résolument léger, dépouillé de toute forme de prétention, et porté par une série de protagonistes simple(t)s, maladroits et sympathiques.

 

 

Une toute autre forme d'addiction sera l'objet de Sound of my voice, production américaine de Zal Batmanglij coécrite avec Brit Marling (Another Earth), épicentre séducteur et vénéneux d'un film basé sur une organisation sectaire, qu'un couple d'aspirants journalistes entreprend d'infiltrer afin de d'en dénoncer l'imposture. L'investigation fait toutefois office de prétexte narratif à l'immersion au sein du quotidien d'individus happés par un mouvement mystérieux. Si les stratagèmes et manipulations, physiques comme mentales, opérés par les sectes sont justement retranscrits (quoique parfois incohérents -la volonté d'isoler les adhérents n'empêchant manifestement pas ces derniers de poursuivre leur vie quotidienne le plus tranquillement du monde), la prétendue enquête se trouve reléguée au second plan, pour être finalement bazardée au détour d'un dialogue concis. Soucieux de se fendre d'une atmosphère éthérée et hors du temps, Sound of my voice fait évoluer son intrigue dans un rythme lent et hypnotique, contribuant à attiser le magnétisme délétère de sa leader, dont les motivations restent mystérieuses, y compris à l'issue d'un dénouement rattachant in extremis, et un peu artificiellement, le métrage au genre fantastique, patiné d'un vernis indé par moments trop marqué. Dommage que l'empathie pour le duo principal fasse royalement défaut, alors que des protagonistes secondaires (dont un sceptique vite éconduit) auraient pu pimenter le récit. Mystérieux, fascinant, Sound of my voice voit toutefois sa sincérité handicapée par un calibrage minutieux, et une assurance presque complaisante, marquée par le rayonnement démesuré de Brit Marling.

 


 

Tant de questionnements relatifs à la foi, le dévouement et l'abandon de soi nécessitait un repos cérébral absolu. Ce fut chose faite avec New Kids Nitro, suite attendue du jouissif New Kids Turbo, qui avait fait les beaux jours des salles de cinéma néerlandaises ainsi que notre plus grand bonheur lors de la dernière édition du festival de Sitges. Oui, mais. Là où New Kids Turbo, moins décérébré qu'on peut le croire, construisait son intrigue (certes aberrante) et ses personnages (certes grotesques) sur un acerbe commentaire sur la crise économique, et proposait un réel propos ainsi que des idées de mise en scène burnées, New Kids Nitro se contente d'en reprendre les protagonistes, devenus instantanément cultes, et de donner à fond les ballons dans les situations rocambolesques et l'humour bas-de-plafond. En résulte un fatras de gags plus ou moins inspirés et excessivement jusqu'au-boutistes pour être sincères, comme si l'équipe de tarés derrière cette anomalie filmique avait cherché à remplir coûte que coûte une check list du mauvais goût. Bilan : une comédie parfois très drôle, souvent facile, calibrée pour les séances de minuit, gimmicks à l'appui, aussi inoffensive qu'elle se veut rebelle.

 

 

Toutes les bonnes choses, aussi succinctes soient-elles, ayant une fin, le festival s'achevait sur Safety not guaranteed, au terme d'une cérémonie de clôture pour le moins complète (le public se sera même vu gratifier d'un one woman show en bonne et due forme ; quelle aubaine) durant laquelle le jury international, composé de Mick Garris, Alan Jones, Agnès Merlet et Pierre Bordage, aura à très juste titre récompensé Insensibles, que nous avions découvert et défendu bec et ongles lors de l'Etrange festival de Paris, et désormais titulaire du Méliès d'argent (qui lui permettra de concourir au prix de Méliès d'or, remis à l'issue du festival de Sitges). L'Octopus d'or sera quant à lui allé à Sound of my voice, et le jury, soucieux de récompenser les méritants, n'aura pas manqué d'attribuer une Mention spéciale à Excision. Colin Trevorrow, réalisateur de Safety not guaranteed, aura quant à lui profité de l'occasion pour présenter de quelques mots son ouvrage, tiré d'une réelle petite annonce. Ici, un homme recherche un partenaire désireux de l'accompagner pour un voyage dans le temps à la « sécurité non assurée ». Trois énergumènes (dont Aubrey Plaza, visage familier des spectateurs de Parks and Recreation) se trouvent chargés par le Seattle Magazine de rencontrer l'excentrique et de lui consacrer un papier. La promesse de fantastique se voit alors éclipsée au profit d'une comédie romantique et d'un voyage initiatique et spirituel, au cours duquel chacun sera amené à se questionner, se redécouvrir et, enfin, vivre. Charmant, frais, insolite, mais trop lent et anodin, Safety not guaranteed est de ces feel-good movies dont la dégustation instantanée perd de sa saveur sitôt sorti de la salle... à l'inverse d'une soirée post clôture manifestement bâtie sur une thématique « Découverte du paysage nocturne strasbourgeois », dont les rebondissements resteront tus. Hé, n'est pas Tonton qui veut.

Le palmarès complet de la cinquième édition du FEFFS est disponible sur le site officiel du festival.

 

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