Safe : état des lieux du cinéma d'action

Simon Riaux | 27 juin 2012
Simon Riaux | 27 juin 2012

Alors qu'on n'a jamais vu autant de buildings détruits, de marines en sueur, le canon encore fumant, de capitales réduites en cendres et de voitures projetées dans les airs à coup d'ondes de choc telluriques, se demander s'il existe encore un cinéma d'action peut prêter à sourire. Et pourtant, tout indique que ce genre particulier, si souvent moqué dans le pays de la Nouvelle Vague, est en déshérance, pour ne pas dire en déclin. Élevé aux États-Unis au rang de produit national, il semble aujourd'hui ne plus être que l'ombre de lui-même, carcasse convoquée au gré de spasmes nostalgiques, comme l'expliquait avec talent Adam Sternbergh dans le New York Times au mois de mars dernier. Pour tenter d'élucider ce mystère, il nous faudra ébaucher une définition de ce cinéma à nul autre pareil, et voir en quoi elle s'est dissoute ou perdue.

 

 

Premièrement, qu'est-ce que le cinéma d'action ? La question est beaucoup moins simple qu'il n'y paraît, tant on sera tenté d'adosser à cette appellation des œuvres qui ne recouvrent que partiellement le cahier des charges indispensable à tout actionner qui se respecte. La saga Terminator pourrait ainsi être hâtivement qualifiée, quand elle relève d'abord et avant tout de la science-fiction. Il en va de même pour les trips destructeurs de Roland Emmerich, ou les pitreries robotiques de Michael Bay qui, si elles contiennent leur lot de destruction azimutée et de cascades affolantes, nous embarquent sur un terrain tout autre que celui qui nous intéresse ici. Si l'on admet que la séquence culte de La Mort aux trousses où Cary Grant se retrouve aux prises avec un avion le mitraillant est à bien des égards l'acte de naissance du cinéma d'action, il nous sera permis d'en établir une définition digne de ce nom.

Pourront revêtir ce qualificatif des œuvres dont le héros est un personnage solitaire, dont la survie est directement en jeu, voire celle de ses proches, cette situation lui interdisant souvent de prendre conscience de l'échelle du complot et/ou de la machination qui menace de le broyer. Une fascination manifeste pour les armes ou tout artefact technique susceptible de donner la mort s'avèrera également indispensable. Les significations que peuvent revêtir cette figure et leur possible portée critique font bien sûr partie intégrante de ce pan du Septième Art. Enfin, le fétichisme de la destruction, de l'explosion, de la catastrophe terminale est un motif essentiel du cinéma d'action. Nuages enflammés, nuées de débris, bâtiments publics éventrés, le genre s'attarde toujours sur les ravages provoqués par le personnage principal ou ses adversaires, que cette débauche destructrice fasse ou non avancer le scénario. Ces trois éléments se retrouvent dans La Mort aux trousses, notamment durant l'illustre séquence de l'avion tueur, à l'état embryonnaire, préfigurant de ce qu'ils deviendront au cours des glorieuses années 80.

 

Il faudra pour dynamiter le prototype du héros droit dans ses bottes à la Bullit toute la violence de Dirty Harry. S'il ne s'affranchit pas tout à fait des usages du polar, mais provoque sur son passage un déferlement de critiques offusquées par sa létale générosité, le film nous rapproche encore un peu plus des canons de ce que sera le film d'action. Clint Eastwood y est encore un peu trop maître de l'univers qu'il tente de préserver à coup de plomb durci, mais les occurrences évoquées plus haut se font dans chaque séquence un peu plus prégnantes.

Ce n'est pas un hasard si c'est l'acteur lui-même qui réalisera L'Épreuve de Force, long-métrage explosif où le justicier est sommé de protéger une femme que tout l'hémisphère nord est désireux d'assassiner. Sa pyrotechnie, son agressivité revendiquée et son rythme quasi-insoutenable en font un ancêtre enragé du film d'action moderne, qui annonce la déferlante à venir. Il en va de même pour les glorieux Warriors de Walter Hill, où un groupe de jeunes gens se retrouvent pourchassés par tous les gangs gangrénant un tissu urbain déliquescent. La charge politique typique des années 70 est encore prégnante et n'a rien à voir avec l'impérialisme des studios qui marquera les eighties et la mort du Nouvel Hollywood, et pourtant, formellement parlant, ces Guerriers de la nuit entretiennent d'étroits rapports avec leurs descendants en marcel. Le genre est alors quasi défini, il ne demande qu'un personnage emblématique en guise d'accoucheur musculeux.

 


 

Si le film d'Hitchcock était annonciateur d'un genre en devenir, on peut considérer Rambo – Fist Blood de Ted Kotcheff comme son premier véritable ambassadeur. Tous les éléments cités plus haut sont présents et arrivent à maturité à l'intérieur même du film, qui nous fera progressivement quitter le calme trompeur d'une forêt piégée pour nous emmener vers le déchaînement paroxystique de la rage contenue en John Rambo. On comprend alors que le grand mérite de cette recette en apparence simpliste est qu'elle offre un instantané des angoisses et démons de l'Amérique. Qu'ils soient contenus dans le scénario et relèvent des intentions du métrage, ou les révèlent indirectement, ces œuvres condensent les angoisses du miroir hollywoodien et de ses représentations. C'est bien évidemment la figure du héros qui s'ausculte en permanence à travers ces créations souvent délirantes et excessives, que le regard soit porté consciemment par son auteur, ou émane des outrances du personnage. Les frontières de ce genre balbutiant vont rapidement exploser, tant cette forme passe-partout est capable d'agglomérer les concepts et univers. L'action se pare alors des atours de la science-fiction (Predator, Robocop), du western (Extreme Prejudice), des arts martiaux (Road House) ou du film de guerre (Rambo II).

 


Ces mutations sont autant de témoignages et d'étendards d'une Amérique alors occupée à jouer les gros bras de par le monde et se dépeindre en héraut du monde libre. Il n'empêche, elles assèchent et troublent régulièrement les enjeux ou règles d'un genre, qui a donc régulièrement besoin de se voir rappeler ses fondamentaux, ce que s'empressera de faire John McTiernan, sans oublier de dynamiter au passage les codes de la mise en scène alors en vigueur. Son Piège de Cristal nous ramène ainsi à l'unité de lieu, la menace létale, les points d'orgue destructeurs, emballés à l'aune d'une confrontation inédite et révélatrice : l'américain moyen aux prises avec les terroristes est-allemands et les premiers artefacts d'une mondialisation en devenir. Le film est une date fondamentale du cinéma d'action, en cela qu'il en signe l'un des sommets, autant qu'il annonce les travers qui le mèneront à sa perte. En mettant aux prises un quidam anonyme avec un groupe terroriste surentraîné dans une tour ultra-moderne que Willis parviendra à ravager quasi-intégralement, il paraît avec le recul évident que McTiernan poussait ses futurs concurrents au pied du mur, et ne leur laissait que deux options : le dépasser par leur talent, ou la surenchère.

 


Sans surprise et selon la plus pure logique hollywoodienne, c'est la seconde option qui prévaudra, des vilains plus vilains, de la violence plus violente, des explosions plus explosives, la mécanique de destruction s'emballe et plus rien ne pourra l'arrêter. Les excès d'Invasion U.S.A. ou du troisième Rambo n'auront pas vacciné l'Oncle Sam contre la grandiloquence de la cordite répandue à l'écran comme autant d'éjaculations spasmodiques. Le toujours plus a déjà remplacé le toujours meilleur, et on ne compte plus les palanquées de Cobra, Portés disparus et consorts, comme le souligne sans appel la deuxième mésaventure de John McLane, l'efficace mais désincarné 58 minutes pour vivre.

Quant à Die Hard 3, bien qu'il parvienne à inventer ce qui passera une décennie plus tard pour la marque de fabrique de Paul Greengrass, ne peut échapper à cette logique du bigger and louder, et sacrifie le huis-clos des deux aventures précédentes au profit d'une course-poursuite effrénée dans un New York en proie à une menace terroriste explosive. Le brillant épilogue initial, aussi violent que raccord avec le premier épisode sera d'ailleurs sacrifié au profit d'un climax aussi spectaculaire qu'hélicoïdal.

Le film d'action est à peine né que déjà il s'essouffle, on peut d'ailleurs voir dans le formidable succès public et critique de Mission : Impossible, de Brian de Palma, la satisfaction des spectateurs  un métrage mâtiné d'espionnage à l'ancienne, où menaces et antagonistes agissent à hauteur d'ombre jusqu'à un dernier acte qui vient involontairement démontrer l'absurdité du spectaculaire à tout crin. Les années 90 voient les codes se boursouffler lentement mais sûrement, et naître les deux œuvres qui signent l'arrêt de mort de la mouvance dans sa forme originelle.

 


C'est John McTiernan qui officiera le premier via Last Action Hero, dont le titre parle de lui-même, et qui consacre autant qu'il condamne l'irréalité totale dans laquelle a basculé l'école qui fit sa gloire. Schwarzenegger y fait des merveilles, revisite l'envers des personnages qu'il a interprété tel un stakhanoviste de la gâchette, renvoyant Commando ou Double détente à leur rang de pochardises fumantes. Paradoxalement, c'est Michael Bay qui enfoncera avec Rock un des derniers clous dans le cercueil. Toutes les figures imposées du cinéma d'action se voient ici convoquées avec sérieux papal teinté de buddy movie iconique : poursuites en voitures de sport, menace bactériologiques, militaires renégats, sacrifice, explosions toute les 30 secondes, score pompeux by Hans Zimmer, gunfight homériques... cette relecture bayesque de 007 (Sean Connery interprète un agent secret de sa majesté retenu par les U.S.A. depuis la fin des années soixante...) sera le dernier film regardable de son auteur, et le visionner aujourd'hui conforte encore le sentiment d'assister à un catalogue -divertissant mais exsangue- des totems dispendieux d'un genre qui à trop vouloir s'enflammer se sera carbonisé. À la manière d'un tanathopracteur appliqué, le réalisateur retire du corpus ses organes les uns après les autres, laisse derrière lui un cadavre que nul ne saura ranimer, à commencer par lui-même.

 


 

L'avènement du web et la démocratisation du piratage, la déferlante super-héroïque et son insupportable pendant jeuniste, la frilosité grandissante des studios et leur logique absurde les poussant à booster tout morceau de bravoure à coup de CGI ne feront que consacrer cette tendance. Difficile de voir dans Die Hard 4 autre chose qu'un produit indissociable de ses concurrents, qui de précurseur s'est mué en fer de lance d'une standardisation impavide. À côté des productions étriquées ou des quelques DTV résignés à accompagner la mort du genre, Hot Shot 2 ferait presque figure d'odyssée épique. Le 9/11 est également passé par là, et l'Amérique a bien du mal à croire dans ses héros d'hier, comme en témoigne un Dommage collatéral sous respirateur, où Schwarzy semble avoir perdu toute confiance, même quand il finit une femme de terroriste à coups de hache. La bombe de l'Oncle Tom n'a plus de détonateur, la machine tourne à vide, tandis que les Spy Kids et autres Cody Banks jouent les nouvelles recrues consanguines.

 


Le cinéma d'action paraît avoir presque totalement déserté les États-Unis, n'en déplaise à l'anachronique John Cena, et c'est par soubresauts asiatiques que le public peut épancher un tant soit peu sa soif d'action. On n'est jamais loin du film d'art martiaux, on y baigne même carrément avec Ong Bak, même si l'influence du cousin d'Amérique est prégnante. Le cinéma coréen, terrain transgenre par excellence, recycle pour sa part autant de tatanes chinoises que de gnons ricains, mais s'avère un excellent dérivatif. Pour un peu, le cinéma français nous ferait bien passer quelques Nuit Blanche À bout Portant, signe que les codes de la violence récréative ont été digérés jusque dans le ventre chaud de la bienséance humaniste. Le dernier représentant de cette nouvelle vague internationale de l'action qui fait mal n'est autre que l'enragé The Raid, une œuvre énervée, protéiforme, inventive et fantasmatique, dont le remake est d'ores et déjà dans les tuyaux outre-Atlantique.

Pour autant, on aurait tort de désespérer, car si Barack Obama s'est converti à l'usage massif de drones tueurs, Hollywood pourrait bien revenir aux poings. La Mecque du cinéma a toujours attiré les talents venus de l'étranger, et pourrait se montrer particulièrement pro-active pour revisiter une école dont elle a tué les maîtres. En effet, à l'heure des destructions de mégalopoles en CGI, un gugusse qui se farcit un régiment de légionnaires au canif et de gazoline, comme le dit si habilement le Joker de Nolan : it's cheap. C'est sans doute le calcul qu'ont fait les exécutifs de studios à la vue des Expendables du sieur Stallone, et de son retour sur investissement. Quand le Septième art regarde dangereusement les classiques d'hier comme autant de sources d'inspiration, l'esthétique des seventies puis des eighties comme une charte à réactiver, l'espoir est permis. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Safe de Boaz Yakin respire si ouvertement la hargne des années 70, et on n'aurait tort de n'y voir qu'une révérence référentielle.

Jason Statham y incarne un homme au bord de l'abîme, brisé, sans but, qu'un regard innocent (comprendre neuf) posé sur lui suffira à réveiller, lui conférant une rage salutaire, et un véritable moteur. Une énergie brute qui éclate à l'écran quatre-vingt quatorze minutes durant, et lui redonne l'envie de combattre. Il en avait bien besoin. Nous aussi.

 


 

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