Les écrivains à l'écran

La Rédaction | 22 juin 2012
La Rédaction | 22 juin 2012
A l'occasion de la sortie de L'ombre du mal qui met en vedette Edgar Allan Poe obligé d'enquêter sur des meurtres inspirés de ses propres écrits, Ecran Large se lance dans le dossier des écrivains à l'écran.
 
Non ami lecteur, rassure-toi, nous ne nous attarderons pas sur l'écrivain dans le cinéma français ! Ici, nulle trace des egos surdimensionnés des huit premiers arrondissements parisiens ou des avatars fanés de Hugo, Maupassant et consorts. Nous nous demanderons plus prosaïquement quelles sont les œuvres qui font de l'écrivain un personnage à part entière et comment elles (mal)traitent leur sujet. Éternel rival du cinéaste, qui l'a dépassé en gloire, mais pas en reconnaissance, l'ordonnateur du verbe demeure un objet de fantasmes et de mystères...

 

C'était demain de Nicolas Meyer

L’écrivain, ici, c’est H.G. Wells interprété par Malcolm McDowell qui va devoir partir à la poursuite de Jack l’éventreur (David Warner et son regard glaçant)…dans le futur, le célèbre serial-killer ayant volé la machine à explorer le temps créée par l’écrivain. Fabuleux mélange des genres à la qualité d’écriture rare, C’était demain fait partie de ces petits classiques qui n’ont cessé de prendre de l’importance au fil des années. En 1980, le jury d’Avoriaz ne s’était pas trompé en lui décernant son Grand Prix.


Misery (1991) de Rob Reiner

Plus d’une fois Stephen King a pris comme héros de ses romans, un écrivain, mais jamais il n’avait atteint un tel niveau d’efficacité. Et l’adaptation cinématographique de  Misery de magnifier l’impact de ce quasi huit-clos étouffant, stressant et effrayant où un romancier à succès va être séquestré par sa plus grande fan (Kathy Bates fort justement récompensée d’un Oscar) mécontente du sort qu’il a réservé à son héroïne préférée. Au niveau horreur psychologique, on a rarement fait mieux .

 


 


Barton Fink (1991) de Joel Coen

Plus qu'une relecture du Hollywood des années 30 Barton Fink se veut une déconstruction du mythe de l'auteur, omniscient, démiurge plénipotentiaire sur qui pleut le génie. Ici, l'écrivain est incarné par John Turturro, que vient assaillir l'angoisse de la page blanche, alors qu'Hollywood lui fait les yeux doux. Mais l'artiste s'est perdu entre songe et réalité, ne sait plus distinguer l'inspiration de la folie, il atteint un point de non-retour, où il lui sera impossible de trouver les réponses à des questions elles-mêmes des plus nébuleuses. Si le Septième Art et ses magnats sont régulièrement égratignés par le film, c'est surtout le mythe de l'auteur que les frères Coen s'amusent à piétiner, avec une inventivité et une maestria que le Festival de Cannes a eu l'intelligence de récompenser.


Truman Capote (2005) de Bennett Miller

Tout destinait De Sang Froid, le livre de Truman Capote à devenir un important moment de cinéma. Soit l'improbable et fascinante attraction entre un des auteurs les plus sophistiqués de son temps et une petite frappe au cœur d'un fait divers sordide et extrêmement violent. Événement traumatique, chef d'œuvre littéraire, personnages de marginaux sensibles, la réalité et la fiction se mêlent ici pour aboutir à l'un des portraits les plus précis et intéressants, psychologiquement parlant, qu'Hollywood nous ait offert ces dernières décennies. Le long-métrage fera peut-être office de parfait ambassadeur pour l'œuvre de Capote, tant il réussit à en condenser la sensibilité, la conscience aiguë d'une époque et d'une humanité toujours au bord du précipice, sans oublier une fausse fascination pour l'anodin, qui masque une grande analyse des petits riens.


The Ghost writer (2010) de Roman Polanski

Et si l'écrivain, le maître des mots, du verbe, le dresseur du logos, n'entendait rien à ce qui se trame autour de lui ? C'est ce que l'on pourrait se demander à la vue du thriller de Roman Polanski, dont l'intrigue et le personnage principal voient se dessiner à l'horizon les oripeaux du complot politique, pour mieux se retrouver cloitrés, manipulés, et in fine, broyés. Le scénario a beau être transparent, cousu de fil blanc, notre héros ne verra rien venir, Polanski nous indique ici que l'écrit ne suffit pas pour rendre compte de l'état du monde, que la plume ne peut capter qu'une partie de ce qui se joue autour du nous. Si l'image manipule, elle est aussi révélatrice, preuve potentielle, et explication d'un univers où l'écrivain se voit cantonné au rôle de nègre, d'historiographe des puissants, témoin inutile et remplaçable de leurs mœurs et vicissitudes.


Ténèbres (1982) de Dario Argento

Avec ce film, Dario emmène une nouvelle fois le giallo dans ses derniers retranchements, avec une ambition et une démesure dont le genre ne se relèvera pas, le réalisateur non plus d'ailleurs. Il utilisera ici l'écrivain comme un alter ego à la limite de la caricature, obligé par des journalistes illettrés de répondre des meurtres inspirés de ses créations. Une situation qu'a connue le metteur en scène, et qui explique également l'aspect jusqu'au-boutiste du film, son ton faussement racoleur, inspiré de l'érotisme cheap saturé de blancs, et son détournement des figures habituelles du genre. L'auteur est ici nécessairement incompris, l'essence de son travail ne peut être saisie par le plus grand nombre qui lorsqu'on lui montre la lune, ne voit que le doigt.

 


La Part des ténèbres (1993) de George A. Romero

Cette autre adaptation cinématographique d’un roman de Stephen King présente dans le dossier, n’arrive pas à la cheville, loin de là, du Misery de Rob Reiner. Signé par un George Romero alors en perdition et avant qu’il ne se raccroche à sa bouée de sauvetage que sont ses films de morts-vivants, La Part des ténèbres n'avait pourtant qu'à adapter fidèlement le texte efficace de l'écrivain. Peut-être la gageure résidait-elle dans la transposition d'un sous-texte au moins aussi riche et passionnant que l'œuvre elle-même. Car la traque par un auteur repenti de son pseudonyme devenu double démoniaque et meurtrier ne se hisse au-dessus du tout venant qu'à la force du poignet stylistique de King. Son contexte, lui, est beaucoup plus riche, en effet, i y avait là une occasion inespérée de mêler réalité et fiction, le maître de l'horreur ayant rédigé ce texte suite à sa décision d'abandonner momentanément Richard Bachman, son pseudonyme, devenu envahissant et encombrant, à une époque où l'usage de stupéfiants et le surmenage menaçaient dangereusement sa propre existence... 


Kafka (1991) de Steven Soderbergh

Le film qui entretient les plus grandes similitudes avec L’ombre du mal. Tous deux ont un célèbre écrivain comme héros. Les deux œuvres les plongent dans un univers fictif mais toujours imprégné de leurs récits. Il y a cette notion d’urgence dans la quête des deux écrivains, devenus le temps d’un film, de fins limiers obsédés par le désir de venir à bout du mystère qui les a happé. Le film de Soderbergh ayant néanmoins l’énorme avantage d’offrir une direction artistique bien plus audacieuse que celle du film de McTeigue.  A ce titre, Kafka est un des films de Soderbergh qui mérite le plus d’être redécouvert, rarement le cinéaste y a fait preuve d’autant d’élégance et de trouvailles visuelles.

 


Pacte avec un tueur (1987) de John Flynn

Petit polar des 80’s qui n’a rien perdu de son mordant, Pacte avec un tueur met en vedette un duo d’acteurs, James Woods et Brian Dennehy, qui prend un plaisir fou à se donner la réplique. L’un campe un implacable tueur à gages et l’autre un flic, écrivain à ses heures perdues, qui va être chargé par l’assassin professionnel d’écrire ses « mémoires ».  Une alliance contre nature qui va se fortifier au gré de péripéties musclées, des hommes influents ne désirant pas que ces écrits deviennent officiels.

 


Mort à l'arrivée (1988) d’Annabel Jankel et Rocky Morton

Techniquement, le héros de Mort à l’arrivée campé par l’excellent Dennis Quaid n’est pas un écrivain mais un professeur d’anglais (il a quand même sûrement écrit des livres à ses heures perdues). Mais le parallèle avec les péripéties de L’ombre du mal en débutant l’intrigue avec le héros condamné ou sur le point de mourir pour cause d’empoisonnement et d’enchaîner avec les dernières heures qui ont précédées cette tragédie, méritait bien un éclairage sur ce haletant thriller, injustement méconnu. Au point de réussir à bien des égards à surpasser le film original de 1950 dont il s’inspire.


Le Troisième homme (1949) de Carol Reed

Carol Reed ne critique pas tant ici l'écrivain que l'historien a qui revient la charge d'écrire, et trop souvent d'effacer, l'Histoire. Son personnage principal ne vient-il pas justement faire la publicité (propagande ?) d'un vieil ami ? Nous ne sommes qu'en 1949, mais déjà, le metteur en scène nous annonce une partition du monde dont nous pouvons encore ressentir les ramifications aujourd'hui. Ce que notre auteur découvre sans en réaliser les imprécations, c'est la lutte quasi absurde et cynique entre les géants américains et soviétiques, et la présence d'un troisième homme, le fantôme sarcastique qui hante les ruines de Vienne, l'esprit des temps à venir, un cynisme pur qui préfigure le libéralisme.

 

 

Hammett (1982) de Wim Wenders

En 1928, l’ancien détective Dashiell  Hammett devenu écrivain revient à ses premiers amours dans les brumes du Chinatown de San Francisco, démêlant l’écheveau d une enquête qui mêle politique, prostitution et meurtres. Produit par Francis Ford Coppola, Hammett marque une rupture dans la carrière de son réalisateur, Wim Wenders, qui réussit son passage dans le monde américain en offrant un hommage classieux au film-noir des années 40, dans une variation du plus grand succès de son auteur, à savoir Le Falcon Maltais . Même si on aurait aimé voir Sam Shepard porté le trenchcoat du privé comme il était initialement prévu, Frederic Forrest donne une composition décente d’un des plus grands de la littérature policière US, donnant corps de manière faussement nonchalante mais crédible  à un auteur dont le goût pour les intrigues  criminelles égalait celui de la boisson.

 

Détective Philippe Lovecraft (1991) de Martin Campbell

L’idée de mélanger le monde de l’horreur de HP Lovecraft avec celui du thriller à la Chandler peut sembler saugrenue mais fonctionne à merveille dans cette production HBO dominée de la tête et des épaules par le solide Fred Ward dans le rôle titre. Dans ce monde alternatif où la magie noire est dominante, il n’est aucunement cet écrivain obsédé par l’avènement des Grands Anciens et la dégénérescence de la société WASP mais un détective de L.A. à la recherche d’un grimoire occulte, le fameux Necronomicon ! Rendant hommage à la mythologie inventée par l’écrivain,  et truffé de références ouvertes ou discrètes à ces romans, Détective Philippe Lovecraft permet de croiser tout un bestiaire monstrueux avec zombies, gargouilles et gremlins, certes dans une ambiance plus comique que celle menaçante qui imprégnait l’œuvre du  maître de Providence. Qui plus est, le plaisir est garanti par un casting de second rôles de choix avec Julianne Moore, David Warner et Clancy Brown et fait regretter que ce bon téléfilm n’ait pas été à l’origine d’une saga qui nous aurait changer des enfantillages de Harry Potter et sa troupe.

 
 
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