Prometheus, l'anti- Avatar ?

Simon Riaux | 1 juin 2012
Simon Riaux | 1 juin 2012

ATTENTION, CE DOSSIER CONTIENT D'ÉVENTUELS SPOILERS

 

S'il est abusif de parler de véritable concurrence entre les deux cinéastes que sont Ridley Scott et James Cameron, les cinéphiles qui auront suivi de près les déclarations du père d'Alien, Le Huitième passager n'auront sans doute pas manquées les quelques piques adressées ici et là au metteur en scène d'Avatar... et d'Aliens. Ce dernier a au long des années maintes fois était comparé à son (anti)modèle, dont il reprenait l'univers pour l'amener sur le terrain du film de guerre à grand spectacle, une comparaison stérile, les deux films étant de véritables merveilles pour des raisons on ne peut plus différentes, voire opposées. Scott, sans renier le travail effectué par son confrère, le gratifia récemment d'un « c'est un très bon film d'action, » volontairement réducteur, avant de reconnaître la réussite d'Avatar, et d'expliquer que Cameron « avait mis la barre très haut, » se posant ainsi en challenger de premier ordre. La bataille des chiffres et du box-office ne nous intéresse pas ici, mais ces déclarations viennent à point nommé souligner un fait patent et particulièrement intéressant, car une nouvelle fois, les deux auteurs ont accouché d'œuvres radicalement opposées, qui délivrent deux visions du monde parfaitement contraires.

 

 

Les deux films s'opposent jusque dans leurs titres. Tandis qu'Avatar sous-entend une évidente altérité, voire une gémellité, Prometheus fait directement référence à la mythologie grecque. Prométhée est un titan qui, en signe de rébellion envers les dieux de l'Olympe favorise les hommes, leur apprend à se tenir sur leur deux jambes, puis leur fait don du feu, et enfin de la maîtrise de la métallurgie. Ce n'est pas tant dans cet enseignement qu'il faut voir le rapport entre le mythe et le récit de Scott, mais bien dans le châtiment subit par le Titan, condamné à voir chaque jour un aigle dévorer son foie, lequel se régénère entre chaque supplice. Soit une figure de la destruction ou dévoration des entrailles au cœur de la symbolique de la saga Alien, et toujours très présente dans Prometheus, où la technologie des Ingénieurs semble intimement lié aux corps qu'elle soumet, transforme puis broie littéralement. Sont donc ici confrontée la vision d'un autre non pas semblable mais égal, et l'augure d'une punition corporelle sans cesse renouvelée, d'une humanité condamnée à accueillir en son sein une punition en forme d'accouchement cannibale.

 


 

On se souvient encore de la mine ahurie de Jake Sully qui, après avoir quitté une Terre exsangue et polluée, découvrait une planète luxuriante, vierge de tout affront humain. L'atmosphère l'oblige à porter un masque, mais l'air n'en est pas moins chargé d'une vigoureuse charge vitale, dont le reste du film nous amènerait presque à penser qu'elle est trop riche pour être respirée par un simple humain. En revanche, la planète LV-223 où se déroule l'action de Prometheus n'a rien du havre de paix panthéiste, et tout du cadavre à la renverse. Peu ou pas d'oxygène, et une quantité importante de monoxyde de carbone, soit un pur poison impropre à la vie, quand la planète n'est écorchée par des tempêtes de silice tranchant, telles des alarmes à répétition, prévues pour interdire à quiconque d'exister auprès des Ingénieurs...

On pourra arguer que la faune dans Avatar se montre hostile et belliqueuse, mais Neytiri (Zoe Saldana) elle-même viendra nous rappeler que ces créatures suivent la logique d'une chaîne alimentaire éminemment saine et naturelle, que les notions de bien et de mal ne constituent pas une grille de lecture valide pour l'appréhender. Il sera même reproché à Jake, ignare en matière de nature et rustre pour ce qui est de la culture, de ne pas savoir tuer proprement, pire encore, de provoquer la mort d'animaux par son inconséquence. Nous sommes donc en présence d'une conception de la vie et par extension de l'humanité essentiellement rousseauiste. L'homme (ou l'entité consciente) est naturellement bon, et doit écouter son cœur, son instinct, pour faire le bien. C'est une voie exactement contraire qui suivent les antagonistes d'Avatar, militaires et industriels, motivés par la cupidité et une volonté destructrice de pure domination.

 


Chez Scott en revanche, les dangers ne sont pas la conséquence d'une quelconque forme de prédation, les multiples créatures que rencontrent les explorateurs de Prometheus sont autant de chiens de garde, de logiciels de surveillance conçus pour stopper, infecter, tuer, tout ce qui passe à leur portée. Les Ingénieurs démiurges s'arrogent d'ailleurs le droit de vie et de mort sur leurs créations, et vont même jusqu'à considérer très sereinement de les modifier, reniant donc leur droit à l'auto-détermination, jusqu'à leur conscience. On le voit, à l'univers horizontal de Cameron s'oppose la conception verticale de Ridley Scott, quand chez le premier tout se voit interconnecté et interagit selon des lois d'équivalence, c'est au poids d'une autorité supérieure et d'une volonté possiblement mal-intentionnée que font face les personnages de Prometheus.

L'Alien est un loup pour l'homme, certes, mais on peut pousser la plaisanterie plus loin, et considérer que sur LV-223, toute forme de vie est sur le point d'attaquer son prochain. Dans ce contexte d'entropie généralisée, la technologie est une des seules chances de survie à la disposition d'Elizabeth Shaw et de ses semblables. Lance-flammes, camions, buggys, radars, vaisseaux spatiaux seront autant d'artefacts clefs pour assurer à chacun sa conservation, quand c'est tout l'inverse chez Cameron, dans l'ensemble de sa filmographie. De l'omnipotence de Skynet, aux débordements guerriers d'Abyss, en passant par l'arrogance des concepteurs du Titanic, l'artiste a toujours mis en scène un homme que la technique obnubile, fascine, et charme pour mieux le perdre. Les Na'vis pour leur part, vivent dans un arbre géant, construisent pas ou peu, ne possèdent que de rares outils, et font appel à Mère Nature pour les soigner, voire leur redonner la vie. La technologie serait donc une perversion première de l'homme, vouée à couper un cordon essentiel le reliant à sa matrice. Face à la déferlante xénomorphe, on imagine mal les astronautes de Prometheus s'en remettre à une sympathique pratique panthéiste pour assurer leur survie.

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On terminera en évoquant le concept central de Vie, processus sacré dont la grâce et la complexité échappe finalement aux personnages d'Avatar, qui doivent s'en remettre à la prière et à la croyance. La Vie chez Ridley Scott est essentiellement une émanation de la technique à la manière dont pouvait la conceptualiser une certaine spiritualité darwinienne, selon laquelle relève du divin toute créature capable de générer consciemment du vivant. Un statut que se partagent donc les Ingénieurs et les Hommes dans le prequel d'Alien, et dont le seul à être tout à fait conscient est David, l'androïde, à la recherche d'une transcendance que ses créateurs sont trop humains pour entrevoir. Pour Cameron, il est question de montrer et rechercher une félicité originelle, quand Scott présente l'existence indissociable de la guerre de tous contre tous, soit un affrontement entre Rousseau et Hobbes.

Et vous, de quel côté votre cœur penche-t-il ?


 

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