Ils se sont viandés en Amérique

Simon Riaux | 3 mai 2012
Simon Riaux | 3 mai 2012

Alors que le talentueux Mabrouk el Mechri vient de se viander en beauté avec l'improbable Sans Issue, il est temps de faire un petit point sur nos talents partis se perdre au pays de la Liberté. Sans doute inspirés par l'exemple de Jacques Tourneur, nombreux sont les metteurs en scène français à s'être risqués auprès des requins d'Hollywood. Toutefois, frayer avec le star system et les pontes de l'industrie n'est pas toujours synonyme de coup d'accélérateur stratosphérique pour une carrière. Que veux-tu lecteur, nous aimerions te dire le contraire, mais tout le monde n'est pas Alexandre Aja ou Louis Leterrier. Qu'il s'agisse de talentueux artisans passés à la moulinette hollywoodienne, ou de nullards ambitieux venus grossir les rangs des nanars réalisés en pilotage automatique, les frenchies auront servi durant ces deux dernières décennies de chair à canon pour l'Oncle Sam. Un triste constat, dont il n'est pas interdit de rire un peu.

 

 

Jean-Pierre Jeunet : Alien, La Résurrection, 1997

Si le film peut sans mal prétendre au titre de plus réussi de la présente sélection, il demeure un tragique exemple de greffe rejetée, d'influences contradictoires, qui plutôt que de s'unir vers une transcendance, se parasitent en permanence pour donner naissance à une créature difforme, quasi mort-né. Notre Jean-Pierre arrivait pourtant en terrain conquis, exigé par Sigourney Weaver elle-même. Mais de toute évidence, l'artiste avait déjà abandonné l'univers torturé et poétique généré avec Caro pour se tourner vers la gaudriole provinciale, devenue depuis sa marque de fabrique. Malgré d'évidentes qualités techniques et des xénomorphes d'une mortelle magnificence, le choix de Jeunet de bazarder l'héritage de Scott, Cameron et Fincher interdit au film de faire jeu égal avec ses aïeux, leur préférant une nuée d'auto-citations déplacées, pour ne pas dire ridicules. Photographie barbouillée de curry, private jokes Pinonesques, action faussement badass et vraiment rigolarde interdisent à la saga de retrouver les sommets d'angoisse du passé, ou d'étendre sa mythologie. Le malheureux hybride final viendra piétiner toutes les thématiques élaborées avec minutie par Giger de ses cartoonesques outrances, tel un tragique dernier outrage.

 

 

Jean-Marie Poiré : Les Visiteurs en Amérique, 2001

Saccager sa comédie populaire avec une séquelle redondante n'avait pas suffit, il fallait encore que Jean-Marie en fasse cadeau à nos cousins d'outre-Atlantique. Le refus hexagonal de s'engager en Irak ne fit rien pour redorer notre blason, mais gageons que les américains attendaient seulement un prétexte pour se venger de l'étron projeté sur leurs écrans. La french touch prend ici des airs de burger arrosé de piquette, avec son intrigue parfaitement invraisemblable (essayez donc de justifier l'apparition de chevaliers en plein Manhattan !), qui s'américanise sans jamais chercher à s'adapter. Poiré n'est pas le seul coupable, avouons que Clavier et Reno font tout leur possible pour saborder l'entreprise, dont on ne sait trop si elle est plus insupportable dans la langue de Michael Bay ou celle de Gérard Oury.

 

 

Xavier Gens : Hitman, 2007

Après un Frontière(s) à la rage et à la sincérité bienvenus, on était curieux de voir ce que pourrait faire le réalisateur au pays de l'Oncle Sam. Hélas, c'était sans compter sur le carcan de la Fox, qui étouffa toute velléité artistique. Grosses cylindrées, petite pépée, machisme malodorant et action au rabais se voient ici acculées aux exigences contre-productives de l'adaptation vidéoludique. Figures imposées, dialogues fonctionnels et invraisemblances se multiplient, sans jamais laisser d'espace à la patte de Gens, qui finit par abandonner Timothy Olyphant à son triste sort de chauve taiseux, préférant filmer la peu farouche Olga Kurylenko.

 

 

Éric Valette : One missed call, 2007

Aller chercher l'inventif metteur en scène de Maléfique pour remaker un Miike, voilà qui tenait du pari audacieux. Malheureusement, tout indique que les dés étaient pipés d'avance, tant le résultat fleure bon la paresse et la direction artistique en roue libre. D'habitude si attaché aux personnages, Valette ne pourra rien faire contre l'absolue stupidité du script (il faudra presque les deux tiers du films aux héros pour tenter de se débarrasser de leurs portables maléfiques), et son aporie hollywoodienne, à base de répliques molles du genou et de jump scares faisandés. 

 

 

Forent-Emilio Siri : Otage, 2005

Nid de guêpes nous avait enthousiasmé, avec son recyclage consciencieux d'influences et son réel sens du spectacle. Il n'en fallut pas plus aux studios pour confier au metteur en scène le nouveau véhicule de la star Willis. Sauf qu'ici, personne ne semble désirer emballer le même film : la star veut son retour gagnant et pousser la larmichette, le réalisateur fait son possible pour tirer vers le haut un script poussif (la poursuite dans les conduits d'aération), tandis que les exécutifs nous assènent une suite de séquences inutilement spectaculaires. L'expérience est d'autant plus amère que Siri paraissait tout indiqué pour se jouer des codes de l'industrie, et faire retrouver à son comédien principal le talent évaporé en même temps que ses cheveux.

 

 

Pitof : Catwoman, 2004

La femme-chat, personnage emblématique de la mythologie Batman, est une des icônes sexy les plus inoubliables de la bande-dessinée américaine, ainsi que du cinéma, grâce à Tim Burton. On pouvait nourrir quelques doutes, après la vidange Vidocq, quant à la capacité de Pitof à se hisser au niveau de l'icône, mais tout de même espérer qu'il fabrique un divertissement honnête. Las ! La prédatrice se transforme en chatte de gouttière dopée aux hormones et au R'n B, Sharon Stone et Lambert Wilson se vautrent dans leur partitions de vieilles bourgeoises sans le moindre scrupule, et des CGI repoussants achèvent de cramer les pupilles dilatées d'horreur du spectateur. En l'état, la chose n'est seulement pas le plus mauvais film de super-héros jamais tourné, c'est également un des plus abominables longs-métrages jamais sortis.

 

 

Olivier Mégaton : Colombiana (2011)

Une fois encore, l'écurie Besson est largement responsable de l'ampleur de l'échec en question, mais ce serait aller bien vite en besogne que d'oublier le formidable investissement d'Olivier Mégaton dans le naufrage. L'artiste use de tous les trucs les plus incroyables pour se différencier des maîtres du cinéma d'action : situations délirantes (la transformation d'une enfant en yamakasi aguerrie restera dans les anales), usage furieux de l'accéléré (ou comment faire croire que Zoe Saldana sait effectivement taper sur quelqu'un) et concepts avariés (le duel de brosse à dent, sidérant). La mollesse et la bêtise de l'ensemble sont telles que l'on se surprend à évoquer le machisme teinté de violence habituel des prods Europa avec nostalgie.

 

 

Mathieu Kassovitz : Gothika, 2003

Mathieu “c'est-pas-ma-faute“ Kassovitz aura beau tenter de faire passer Gothika pour une commande seulement exécutée en vue de pouvoir réaliser une bouse maudite de sinistre mémoire, le film n'en demeure pas moins un gros crachat à la figure du public, et une raison supplémentaire pour Hale Berry de haïr la France. La relative indulgence avec laquelle fut accueilli le film lors de sa sortie tient sans doute au statut d'artiste intouchable qui était alors celui du réalisateur, redresseur des torts hexagonaux depuis La Haine, doublé d'un comédien reconnu, bref, la crème du nec plus ultra de l'artiste engagé bien de chez nous. L'ampoulé Assassin(s) aurait dû pourtant servir de sonnette d'alarme, mais rien n'y fit. Il faut croire que ce séjour américain aura définitivement cramé le bulbe de notre cinéaste maison, qui a depuis signé un Babylon A.D. aussi atroce que prétentieux, s'est transformé en soldat du G.I.G.N. (ne riez pas) pour les besoins de L'Ordre et la Morale, avant d'honorer la twittosphère de ses pensées les plus profondes.

 

 

Xavier Palud et David Moreau : The Eye, 2007

Comme ils le laissaient entendre dans notre interview lors de la sortie du film, les metteurs en scène frenchy ont été tout simplement censurés par la production américaine, et leurs choix artistiques écrasés. Transformations de dernière minute, reshoot, le duo aura vu son travail piétiné. Avouons tout de même que le projet sentait le tombeau d'entrée, avec sa mauvaise idée de remaker un mauvais film des frères Pang, héraut de l'opportunisme bon marché. La preuve qu'un bouquet d'idées déjà fanées a besoin de plus qu'un peu d'eau rance pour retrouver des couleurs.

 

 

Olivier Dahan, My own love song, 2010

Tout destinait pourtant Olivier Dahan au succès outre-Atlantique, fort de l'oscarisation de Marion Cotillard pour La Môme, l'auteur avait su séduire les States, et on attendait de lui qu'il lave l'honneur bafoué de myriades de cinéastes utilisés par Hollywood comme de la chair à nanar. S'il ne se déshonore pas avec ce mélo nanti d'un beau casting, Dahan montre néanmoins les limites de son cinéma. Trop lacrymal, léché sans être inspiré, se reposant un peu trop sur un très beau casting, le réalisateur montre que ce qui faisait figure d'exceptionnelle réussite dans nos vertes contrées redevient le tout venant hollywoodien. Un constat décevant et, il faut bien le dire, rageant, en cela qu'il rappelle que le cinéma hexagonal, même quand il entend jouer sur le même terrain que les yankees, est souvent techniquement à la ramasse et infoutu de maîtriser les techniques narratives aussi efficacement que ses concurrents.

 

 

Gilles Paquet-Brenner, les Emmurés, 2009

Hollywood peut transformer notre bon grain en ivraie, en revanche, les auteurs de zèderies en puissance ne s'y transforment jamais en artistes triomphants. La preuve avec l'abomination pondue par Gilles Paquet-Brenner, où le réalisateur, tenu par la pudibonderie du système, ne pourra même pas s'adonner à l'un de ses péchés mignons, à savoir truffer une intrigue périmée de séquences de fion destinée à réveiller l'audience. En l'état, la pauvre Mischa Barton n'a plus qu'à déambuler dans les couloirs vides d'un immeuble où se seraient déroulés des crimes atroces, dont elle doit planifier la démolition. L'ensemble est d'une mollesse qui désespérerait un médecin spécialisé dans les troubles de l'érection, et ferait passer le lourdingue Gomez et Tavarès pour une relecture très fine de l'œuvre de Samuel Beckett. Pas découragé par le résultat, Gillou a depuis mis en boîte Elle s'appelait Sarah, drame sur l'identité et la rafle du Vél' d'Hiv, dont la réception critique tend à laisser croire qu'il est des sujets où l'incompétence est moins préjudiciable.

 

 

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