Anifest 2012 : la suite...

Nicolas Thys | 1 mai 2012
Nicolas Thys | 1 mai 2012

Anifest 2012 se termine bientôt, Teplice et son temps d'été s'éloigne déjà et on commence à lorgner en direction d'Annecy qui débute dans un mois. En attendant le palmarès, qui sera révélé d'ici demain, il est bon de revenir sur les derniers jours de la semaine marqué tout d'abord par une rencontre avec Michaela Pavlátová. Son nom ne dira peut-être pas grand chose à beaucoup mais elle est l'une des principales réalisatrices tchèques actuelles en animation comme en prise de vues réelles avec à son palmarès une nomination à l'oscar en 1991 pour Words, words, words et un ours d'or du court-métrage à Berlin en 1995 pour Repete.

 


 

Elle est venue cette année en simple spectatrice avant de se rendre à Cannes où son dernier film, Tram, a été sélectionné à la Quinzaine et à Annecy. Il s'agit d'une coproduction Franco/Tchèque, entre Sacrebleu et Negativ, autour des fantasmes féminins. Le film écumera d'abord les festivals avant, si tout se passe bien, de sortir accompagné de plusieurs autres courts métrages, également écrits et réalisés par des animatrices sur le même sujet, sous la forme d'un long d'ici peut-être deux ou trois ans. Pavlatova est la première a avoir terminé son film, réalisé en 2D sur ordinateur. On l'attend avec impatience.

 

 

 

Anifest a aussi été l'occasion de revoir certains films et de découvrir deux longs métrages en compétition, très différents l'un de l'autre, mais magnifiques et dont on ne sait s'ils sortiront en salles en France pour le moment. Le premier, A Letter to Momo, est le dernier film en date de Hiroyuki Okiura, le réalisateur de Jin Roh. Entre ces deux films 12 ans se sont écoulés où il fût toutefois animateur clé sur des films comme Paprika, Metropolis ou Innocence : Ghost in the shell 2. Ici il revient avec un film à l'opposé des précédents. Cette lettre lorgne fortement sur les plates-bandes des productions Ghibli : une fille d'une dizaine d'années dont le père est mort se retrouve entourée de gobelins aussi drôles qu'étranges dans un monde où les frontières entre réalisme et magie sont poreuses : elle va devoir les apprivoiser et affronter ses peurs et ses sentiments afin de murir. Dur de ne pas penser par moment à Ponyo, Chihiro ou La Colline aux coquelicots. Et, à la part la fin, un peu longue et maladroite, on ne peut qu'être conquis par l'histoire très bien écrite. Le charme opère, les couleurs sont belles et le trait arrondi apporte une touche enfantine qui ne demande qu'à être dépassée. L'animation est fluide et laisse la part belle aux mouvements des corps monstrueux avec quelques séquences magnifiques comme le final sous la pluie. Sans être encore au niveau d'un Miyazaki ou d'un Takahata, on s'en approche.

 

 

 

Pour le deuxième long métrage, Dead but not buried, la suite de Goodbye Mister Christie on reprend les mêmes et on recommence... mais différemment. Phil Mulloy a parfaitement su gérer la suite de cet objet composite étrange et merveilleux que fût le premier film (toujours notre favori pour les classements de fin d'année si le monde n'a pas disparu d'ici là), sorti sur nos écrans en janvier dernier. Au lieu de se laisser aller à reprendre à l'identique les principes moteurs de son précédent film, il en a conservé l'essentiel mais en s'orientant vers une narration aussi soutenue et bordélique mais plus construite. Et oui, cette histoire où un japonais qui n'en est pas se retire dans une cave en Islande pour ramener à la vie un homme mort tout en étant poursuivit par une journaliste sans bras ni jambe, des amateurs de collection de stickers étranges et la famille du mort qui le pense encore en vie est construite ! Et la beauté naïve de l'enfance laisse place au charme avenant de la maturité... Mulloy expérimente toujours autour de motifs identiques mais il ajoute des décors au design plus travaillé, des objets et même quelques photographies. Dead but not buried est donc moins froid que le précédent (alors qu'il se déroule en Islande), moins extrême (mais avec autant de morts), plus accessible aussi peut-être. Toutefois que les fans (s'il y en a, merci de me dire que je ne suis pas seul au monde) se rassurent : la forme est toujours minimale avec les visages des protagonistes seuls présents à l'écran, de sombres ombres menaçantes et amusantes réduites à leur plus simple expression. Mulloy conserve l'âme des Christie : 10 images par personnages, 5 de profil et 5 de face, et aucune profondeur... Le film a rencontré un jury assez fou pour lui accorder le grand prix du festival de Montréal. Vivement le troisième épisode !

 

 

Parmi les deux derniers programmes de courts métrages de la compétition officielle, on notera encore quelques belles surprises, des révélations et des confirmations. Parmi les plus beaux films : Luminaris de Juan Pablo Zamarella qui met une fois encore la pixillation à l'honneur avec l'histoire belle et loufoque d'un homme qui fabrique des ampoules dans une usine en mâchant des petites billes pendant que sa collègue les teste en soufflant dedans. Le film est somptueux et sa forme, idéale pour de petits films naïfs où la réalité acquiert une magie indescriptible les idées foisonnent, totalement adéquate. Notons aussi la présence de l'enfantin et très bel Un Ogre de Gérard Ollivier qui se demande que sont les ogres. Le film est d'une simplicité déconcertante mais efficace et fait figure de cartoon à la française. L'Asie n'est pas en reste avec Viewpoint du sud-coréen Sae-Byul Hwangbo à l'histoire secondaire mais formellement magnifique, tout dans la métamorphose, l'épure du décor et le corps transformé. On croirait assister à la rencontre d'Arthur Rackham et de David Lynch au pays des merveilles d'Alice...

 

 

Parmi les films les plus attendus se trouvaient là trois productions de l'ONF, toujours en forme, et un film polonais. Ce dernier, Dr Charakter presents II, est de Piotr Dumała, l'un des animateurs les plus importants de ces 30 dernières années. Son nouveau film est pourtant quelque peu décevant : cynique et drôle au début, il perd assez vite de sa verve et n'est pas aussi beau que ses précédents, la faute peut-être en partie à l'utilisation de l'ordinateur. Parmi les films canadiens le premier est signé Paul Driessen dont le film précédent remonte à 8 ans. Il revient avec Oedipus, une histoire renversante et à l'envers d'un homme tue le mari de la femme qu'il aime, avec l'accord de celle-ci, et finit par se rendre compte qu'elle était sa mère. Simple et efficace avec le même type de graphisme mouvant et décalé qui peut en rebuter certains mais dont le mouvement convient parfaitement à son univers onirique. Suit ensuite Rossignols en décembre, un conte surréaliste et trip hallucinant magnifique réalisé. Il s'agit du nouveau film de Theodore Ushev, ancien affichiste devenu animateur, à l'image de Jan Lenica, et qui a raflé de nombreux prix avec son film précédent : Les Journaux de Lipsett. Citons pour terminer Les Cordes de Muybrige du japonais Koji Yamamura, hommage à l'un des pionniers de la photographie et précurseur du mouvement cinématographique. Le film n'est toutefois pas un biopic mais une réflexion poétique qui va du délire à l'ancrage dans l'histoire personnelle de Muybridge tout en mêlant mêle photo et animation : une très belle réflexion sur ce qu'est le cinéma et son rapport au réel et au rêve.

 

 

Outre d'autres séances spéciales proposées par le festival, nous avons également pu tester une bande dessinée numérique interactive tchèque du plus bel effet : Malý Alenáš par Matyáš Trnka, l'occasion une fois encore de montrer quelques liens improbables entre cinéma d'animation et BD. Présentée sous sa forme papier en une dizaine de tableaux d'un côté et de l'autre sur un écran tactile d'environ 80cm posé à la verticale, l'expérience est concluante. D'un côté sur le papier des cases avaient été remplacé par des flip-book, procédé original mais peu pratique à imprimer et fragile, et par d'autres astuces. Sur l'écran numérique, lorsqu'on touchait la case correspondante, le flip-book devenait un court-métrage animé. D'autres éléments pouvaient également être déplacés n'importe où sur la page alors qu'ils étaient en relief mais fixes sur papier. Et surtout le son fait aussi son apparition : peu utile pour les voix, on apprécie les moments musicaux ou les bruits d'ambiance notamment lors de courses en vélo. L'expérience a toutefois ses limites : elle convient à certains titres créés spécialement à l'occasion mais elle paraitra ridicule adapté à une BD déjà existante et faite pour le papier. En outre, sur un écran de 80 cm, c'est parfait mais sur un Ipad ou autre, ce sera petit et indigeste !

 

 

Demain, les résultats et une rencontre avec Mr Fox, et quelques héros de Burton...

 

 


 

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