Les biopics d'acteurs, jeux interdits ?

Simon Riaux | 4 avril 2012
Simon Riaux | 4 avril 2012
Nous vous proposions il y a quelques semaines un dossier sur les biopics musicaux, où se posait de manière évidente la problématique du mimétisme. Nécessaire, souhaitable, factice, réducteur, ou véritable défi, la question de savoir s'il faudra ou non imiter celui qu'on interprète se pose avec plus de force dès lors que le personnage principal n'est pas seulement une personnalité publique, mais bel et bien un acteur. Le septième art étant encore tout jeune, relativement peu d'œuvre auront mis en scène, autrement qu'à l'occasion de clins d'œils anecdotiques, des acteurs de cinéma ou de théâtre que le public aura connu de leur vivant. Un obstacle bien insuffisant pour que nous ne traitions pas de l'épineuse question : quid des acteurs jouant des acteurs ? La réponse en un tour d'horizon des performances et œuvres les plus notables. Souvent pour le meilleur, parfois pour le pire.

 


 

 

L'Homme au mille visages, Joseph Pevney, 1958

Un film qui nous en apprend bien plus sur l'industrie Hollywoodienne du début du XXème siècle et sur son fonctionnement durant les années 50, que sur son sujet principal, à savoir Lon Chaney, acteur inclassable et fascinant. Rares sont les spectateurs qui le savent ou s'en souviennent, mais le biopic est tout sauf une invention récente, et la mode actuelle n'est jamais que l'écho minimaliste de ce que fut le genre des années 30 jusqu'aux années 60. George Custen (Positif N° 540) a ainsi recensé quelques 300 œuvres biographiques réalisées durant cette période. Or, l'heure n'était pas aux radiographies sociétales ou aux portraits sans concession, mais bien aux hagiographies édifiantes, destinées à enseigner aux masses les secrets de la réussite à coup de bons sentiments et autres propos parfois lénifiants.

Ainsi on en apprendra très peu sur le véritable Lon Chaney, remarquablement interprété par James Cagney, puisque Universal n'as pu ou voulu traiter de la plus passionnante partie de sa carrière, celle menée sous l'égide le MGM, et des films qu'il joua pour Browning. Le Lon Chaney de L'Homme aux mille visages est donc un mirage, mais mieux que n'importe quel autre film, il nous renseigne sur l'état d'esprit d'Hollywood, qui n'hésite jamais à plier les faits à son idéologie, jusque dans une invraisemblable scène où le comédien mourant, lègue sa trousse de maquillage à son fils en larmes. À l'époque, le biopic revêt valeur éducatrice qui nous paraît totalement hors de propos aujourd'hui, alors que même le cinéma semble avoir été contaminé par l'entreprise de transparence absolue édictée par la télévision puis démultipliée par Internet. Notons que le film est relativement précis dès lors qu'il s'agit d'évoquer les méthodes de tournages du début du siècle.

 


  

W.C. Fields et Moi, de Arthur Hiller, 1978

Nous commençons à rentrer dans le vif du sujet, et ce qu'ila de plus ambigu, avec ce récit du destin formidable et chaotique d'un des plus grands comédiens de la première moitié du XXème siècle, le hiératique W.C. Fields. Rod Steiger lui donne ici chair, grâce à un maquillage réussi, qui nous fait sans mal croire à une réelle proximité physique. Choix audacieux, l'acteur décide de ne singer en rien son modèle, dont la voix et la diction étaient pourtant tout aussi reconnaissables que ses mimiques. Au lieu de cela, il établit une véritable proposition, nous donne à lire entre les lignes, et offre donc une possible interprétation de son existence.

Bien sûr les spécialistes de Fields pourront être choqués par les quelques libertés que le récit prend avec l'histoire, mais ils ne trouveront probablement rien à redire à la proposition de Steigler, inspirée, qui parvient à conférer à cet homme fascinant, imposant, mais si éloigné de nous, une humanité évidente et bouleversante.

 


 

Chaplin, de Richard Attenborough, 1992

Après s'être payé Gandhi, le grand Richard ferait bien son sort à Chaplin, et conçoit un long-métrage tour à tour fresque historique et plongée intimiste dans la vie d'un homme avec qui la vie ne fut pas toujours tendre. Pour tenir le rôle d'une des plus grandes stars de cinéma qui soit, emblème de la liberté et un temps du rêve américain, Attenborough choisit un jeune premier alors promis à une carrière exceptionnelle. Robert Downey Jr. n'a alors pas encore explosé en vol, et si tout n'est pas rose, rien ne laisse présager que l'acteur passera prochainement par la case prison.

Le film est loin d'être parfait, trop long ou mal rythmé, il peine à se hisser au-dessus de son statut de d'hommage luxueux, ma prestation de Robert Downey Jr. demeure encore aujourd'hui la principale force de l'entreprise. Elle est pourtant souvent excessive, parfois mal canalisée, et souvent éloignée de son modèle. Toutefois, cette folie que l'on sent poindre, chez Downey Jr. comme chez Chaplin finit par affleurer puis contaminer l'ensemble du film, jusqu'à nous faire oublier ses carences, et proposer une œuvre hybride et fascinante, dont on sait trop, de Charlie ou de Robert qui vampirise et révèle l'autre.

 


 

Coluche, L'histoire d'un mec, d'Antoine De Caunes, 2008

Exemple type du biopic loupé, Coluche est au confluent de plusieurs thématiques et influences, entre lesquels il ne choisit jamais, tant et si bien qu'il en vient à gommer ses propres qualités, pourtant énormes. Ni récit biographique, puisqu'il resserre son scénario sur quelques mois, ni cri d'amour inconsidéré puisque les parts d'ombres et défauts de l'artiste y sont plus qu'évoqués, le film n'est pas pour autant la déconstruction d'un mythe. Le long-métrage hésite ainsi entre hommage, plaisanterie, drame, histoire et fable sociale, sans jamais trouver son ton.

Dommage, d'autant plus que François-Xavier Demaison livre une prestation brillante, qui aurait pu lui assurer d'autres rôles que ceux de banquiers aux petits bras dans lesquels il est souvent cantonné. Électrique, toujours sur le fil, il fait de Coluche une véritable antenne radio, captant les frémissements et soubresauts de ceux qui l'entourent, leurs passions, leurs désirs, leurs attentes. Son portrait est insaisissable et virevoltant, et ce malgré des dialogues, un découpage et un scénario rarement à la hauteur.

 


 

Man on the Moon, de Milos Forman, 2000

Imaginez un comique américain prénommé Andy Kaufman, incompris et incompréhensible, provocateur et subversif, imprévisible et pyromane. Envisagez maintenant que Milos Forman lui consacre un film de 118 minutes, où il enchaîne et mélange quiproquos, sketchs, mises en abîme et réalité. Songez à présent que le dit Andy Kaufman soit interprété par le potentiellement génial Jim Carrey, au sommet de son art, et pas encore écartelé entre velléités auteurisantes et soucis du box-office, mais mû par une recherche kamikaze du rôle ultime. Rappelez-vous qu'il y a peu de chances que vous ayez jamais entendu parler du fameux Andy Kaufman depuis votre ferme périgourdine, et vous réaliserez qu'il vous sera impossible de démêler le vrai du faux, le biographique de l'invention, la réalité du délire.

Car au-delà des fréquents éclats de rire qu'il provoque et de la subversion qu'il répand, le film est aussi un portrait en creux de son acteur principal, qui se transforme petit à petit en monstre fascinant. Pas étonnant que Carrey n'ait plus retrouvé de rôles aussi puissant, tant il semble évident que l'expérience n'a pas pu le laisser indemne.

 


 

Moi, Peter Sellers, de Stephen Hopkins, 2004

La réalisation de Hopkins a beau faire tout son possible pour s'extirper du carcan du biopic classique, ce n'est pas la mise en scène qu'on retiendra ici, mais bien l'interprétation d'un Geoffrey Rush en apesanteur. On n'avait pas connu l'acteur aussi bon depuis Shine, autre biographie qui l'avait révélée quelques dix années plu tôt. On ajouterait qu'il aura fallu passer outre plusieurs piraterie pour retrouver dans Le Discours d'un roi tout son éclatant talent, que même Colin Firth ne parvint pas à éclipser. Pour un peu, on en viendrait à penser que Geoffrey a besoin de cette tutelle de la réalité pour donner la pleine mesure de ses capacités. Mais c'est effectivement avec sa vision de Peter Selles qu'il révèle la plus large gamme. Insupportable, mégalomane, délirant, brillant, franc à l'extrême, reclus dans une vie fantasmée, Sellers fascine alors que le comédien pousse la prise de risque jusqu'à alterner sauvagement composition inspirée et mimétisme de haute volée.

 


 

Dragon, L'histoire de Bruce Lee, Rob Cohen, 1993

Rob Cohen n'est pas n'importe qui. Nous parlons ici du réalisateur de Cœur de Dragon, Fast & Furious, xXx et La Momie 3, soit un champion de l'action ouvertement débile et décérébrée, qui nous fit grâce en 1993 d'ouvrir son petit cœur candide, révélant ainsi des torrents de naïveté mielleuse, capable de faire mourir de rire jusqu'au plus impassible garde suisse du Vatican. De l'orientation clairement sentimentale du récit, aux omissions énormes et zones d'ombres oubliées opportunément, en passant par le choix d'un comédien dont l'unique performance est de partager son patronyme avec l'homme qu'il interprète, il n'y a pas grand chose à sauver dans ce biopic, destiné à rassembler sur un même canapé la ménagère à la larme facile et son jules dont les abdos ont laissé la place à une panse tièdasse. Un portrait plus que favorable au seul homme qui eut jamais le dessus sur Chuck Norris, dont on ne peut que saluer la fidélité à l'ouvrage dont il s'inspire, Bruce Lee : the only man I knew, rédigé par la femme de l'intéressé. Résultat, si vous cherchez à connaître intimement votre idole martiale, passez votre chemin, à moins bien sûr d'être déjà convaincu que Bruce est la réincarnation des Bisounours, venu répandre les pains dans la gueule et l'amour sur Terre.

 


   

Les Acteurs, de Bertrand Blier, 2000

Mal aimé voire détesté, dans ces colonnes comme ailleurs, Les Acteurs n'en est pas moins un film à redécouvrir d'urgence pour qui voudra bien l'appréhender sans les à priori de rigueur envers la période la plus pauvre du cinéma de Bertrand Blier. À condition de passer au-dessus son rythme poussif, ses scories ou encore ses tics et tocs, l'exercice se révèle une des œuvres les plus profondes et sensibles qui aient été données de voir sur l'acteur comme matière éminemment poétique et humaine. L'artiste caricature la caricature, dresse les cabotins, confronte les poseurs à eux-mêmes, tout en auscultant la folie douce, et les doutes tenaces d'hommes et de femmes que leur art consume à toute vitesse. À mille lieues des prétentions égocentrées d'un Bal des actrices, Blier réalise une immense lettre d'amour à tous les comédiens. Un film imparfait et touchant, qui ne pourra laisser insensible quiconque a déjà mis les pieds sur une scène.

 


 

 

 

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