Chroniques d'une fille de fan de Cloclo

Aude Boutillon | 13 mars 2012
Aude Boutillon | 13 mars 2012

Cher journal,

Dernièrement, ai fait une fleur à ma mère. Des semaines que je l'entends palabrer sur Cloclo, le dernier Siri. « Le dernier quiii ? ». Mais si, Maman, le type qui a réalisé le film d'action avec le mec de Taxi. Non ? Bon. Lui ai suggéré de m'accompagner à la projection dudit Cloclo, à une condition près : tenue irréprochable. Pas de karaoké, pas de gigotements en rythme. Ai une respectabilité à maintenir, moi. Prévu un plan B de fuite discrète en cas de trahison de ses engagements.

Ai dû affronter une semaine de SMS réguliers à base de : « C'est sûr que c'est bon ? », « C'est à quelle heure ? » et autres « L'acteur qui fait Cloclo sera là ? ». Quelle fille dévouée je fais. Arrivées un peu à la bourre ; le rédac chef me fait les gros yeux. Ca commence bien... Heureusement, la projo n'est pas très ponctuelle non plus, ce qui laisse l'occasion à Maman de dévorer silencieusement le press book pendant que je passe en revue John Carter avec Simon, qui ne trouve rien de mieux à faire que de s'appesantir sur « cette actrice tout droit sortie d'un film de boules ». Maman fait comme si elle n'avait pas entendu. Les lumières s'éteignent.




2h18. 2h18 d'interprétation aux petits oignons, de virtuosité de mise en scène, certes, mais surtout 2h18 de traumas infantiles réveillés. Des flashes. Une rencontre avec une ancienne Claudette, reconvertie dans la restauration. Un mini-Cloclo tout de strass vêtu, qui toise son public avec condescendance. Maman derrière la machine à coudre, qui appose sur mon costume orange la dernière étoile argentée. La claque sévère d'une prof de danse, à l'occasion d'un pas de Magnolia Forever mal exécuté. Les défilés de sosies flippants, figés dans un maquillage outrancier. Les pèlerinages sur les lieux de vie d'une icône dont la déification me terrorise. Le moulin. Le dernier appartement (oui, celui avec l'électricité capricieuse). La sépulture.

Je glisse un mot de ma douleur au rédac' chef, qui se fout de ma tronche. Sympa.

Dernière séquence du film, et avec elle sa fin connue de tous. Un mouchoir bruisse sur ma gauche. Inutile de me retourner, cette scène, l'ai vécue un paquet de fois.

Les lumières se rallument. Laisse à Maman le temps de reprendre ses esprits, puis tourne la tête. Sourire illuminé. « Ah la la, c'que c'était bien. L'acteur, là, il s'est approprié le personnage, c'est fou ! » (on réentendra cette phrase cinq fois avant la fin de la journée). « Et puis vraiment, son existence est tellement bien racontée. Son enfance, sa vie d'artiste, tout y passe, sans qu'on ne s'ennuie une seconde. Même toi, qui connaissais déjà tout ça -merci pour ça, d'ailleurs, Maman-, ça ne t'a pas embêtée, hein ? ». Force est de reconnaître qu'elle a raison. « Non, vraiment, j'étais à fond dedans. On se retrouve vraiment pris dans une spirale, et on n'a pas le temps de souffler ! ». Maman, elle la connaît tellement par cœur, la vie de Claude François, qu'elle reconnaît qu'il est « dommage qu'ils n'aient pas parlé de l'attentat auquel il a échappé, ni du fait qu'Alexandrie Alexandra soit sortie le jour de ses obsèques. M'enfin, le film pouvait pas durer 3 heures, non plus ! ». Ne suis en effet pas certaine de survivre à une demi-heure de gomina et de voix nasillarde supplémentaire.




Sortons. La vois écouter attentivement mes collègues s'émerveiller d'une direction artistique menée de main de maître et de plans-séquences grandioses. Tout ça, elle s'en fout. L'idole qu'elle n'a jamais pu approcher vient de reprendre vie devant ses yeux pendant plus de deux heures, alors le reste, franchement... Un journaliste lâche un « Je ne suis pas sûre que les fans se précipiteront pour le voir, ni qu'ils seront ravis du résultat ». Le malheureux. La voilà qui remonte au front. « Ah si. Ah SI SI SI ». Difficile d'être davantage en connaissance de cause, faut dire. « Moi, en tous cas, je vais en parler partout autour de moi, et y retourner, p'tet' même plusieurs fois ! ». Maman fait vivre le cinéma français, et ça, c'est beau.

Pendant ce temps-là, Sandy a entendu parler de mes exploits de Claudette miniature. « Envoie-moi une photo par mail », qu'il me dit. Ben voyons. Manquerait plus que la profession ait vent de cette époque embarrassante.

 

 
 

 

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